« Trash Vortex » : conscience plastique

Dans son onzième roman, Mathieu Larnaudie explore avec ironie le vertige des élites face au précipice du cataclysme à venir. Ou l’art de se donner bonne conscience sans rien changer.

Lola Dubois-Carmes  • 28 août 2024 abonnés
« Trash Vortex » : conscience plastique
Les clins d’œil au lecteur ancrent pleinement l’histoire dans les peurs contemporaines pour en dresser une satire qui n’épargne personne
© Marc Melki

Trash Vortex / Mathieu Larnaudie / Actes Sud / 448 pages / 23 euros.

Trash Vortex, en référence au « septième continent » de plastique, nous emporte tel un gyre océanique parmi les puissants, politiques et économiques, confrontés à un futur jugé hypothétique. La vieille Madame Eugénie Valier, à la tête d’une multinationale dont elle a hérité, observe sa propre disparition se profiler et ne cesse de ruminer avec obsession celle, imminente, de l’humanité. En réponse à cette crainte, et certainement aussi pour régler ses comptes avec son défunt père, la femme d’affaires décide de liquider la quasi-intégralité des branches de l’entreprise et d’en reverser les fonds à une fondation.

La mission de celle-ci ? Nettoyer le septième continent de plastique situé dans le Pacifique Nord. Mais derrière cette noble cause, les divers personnages qui gravitent autour du projet apparaissent avant tout animés par d’autres motivations, qu’elles soient politiques, égotiques, financières ou carriéristes.

Les références à l’actualité et à la culture populaire, évidentes mais jamais nommément désignées, comme l’affaire Benalla ou l’accident du sous-marin disparu près de l’épave du Titanic, ponctuent le récit. Ces clins d’œil au lecteur ancrent pleinement l’histoire dans les peurs contemporaines pour en dresser une satire qui n’épargne personne. L’intrigue autour du démantèlement du groupe médiatico-industriel se révèle alors être avant tout un prétexte à une narration qui n’a rien de linéaire, sautant d’une intériorité à une autre pour dérouler une vision impressionniste de la problématique de l’héritage, familial et civilisationnel.

Accepter de flotter

Ni drame bruyant ni coup de théâtre. Simplement la description d’un monde qui s’effondre et d’élites qui s’évertuent à persévérer dans un mode de vie destructeur tout en drapant leurs paradoxes du voile des bonnes œuvres ou en cherchant à s’en extirper. Ce sont leurs angoisses et leurs automatismes, et surtout l’obstination à ne pas les remettre en question, qui guident leurs choix et entraînent avec eux la société tout entière.

Les longues phrases se déploient comme des vagues, parfois immenses, avant de venir s’écraser à la page suivante.

Pour son onzième roman, Mathieu Larnaudie a choisi de filer la métaphore marine, aussi bien sur la forme que sur le fond. Les longues phrases se déploient comme des vagues, parfois immenses, avant de venir s’écraser à la page suivante. Les cinq chapitres, mimant les cinq océans, nous poussent à l’exploration d’autant de réalités. Il faut alors prendre exemple sur la traversée de ce canard en plastique à travers les mers, débarqué d’un porte-conteneurs, auquel le roman consacre un chapitre, pour se laisser porter par les multiples digressions. Inutile de craindre la dérive, inutile de l’anticiper, il est préférable d’accepter de flotter.

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Littérature
Temps de lecture : 3 minutes