À Paris, en soutien à Gisèle P. : « On en a marre de survivre »
Lancée à l’appel de la militante féministe Anna Toumazoff, une série de rassemblements s’est organisée ce 14 septembre dans toute la France en soutien à Gisèle P. et à toutes les victimes de violences sexuelles.
Dans le même dossier…
L’extrême droite et le procès Mazan Procès de Mazan : de la défense à l’indécence Comment la définition pénale du viol influence le procès des violeurs de Mazan Les 83 violeurs : la banalité du mâleEt si le procès de Mazan était « un point d’appui » historique dans la lutte contre les violences sexistes et sexuelles (VSS) ? C’est l’espoir qu’a lancé la journaliste Giulia Foïs (1) à la foule amassée au pied de la statue de la République, à Paris, ce samedi 14 septembre. Lancée à l’appel de la militante féministe Anna Toumazoff, une série de rassemblements en soutien à Gisèle P. et à toutes les victimes d’agression ou de viol était organisée dans de nombreuses villes en France.
Engagée dans la lutte contre les violences sexistes et sexuelles, Giulia Foïs est l’autrice de Ce que le féminisme m’a fait, Paris, Flammarion (2024).
C’est l’ampleur inédite de ce procès – 51 hommes sont accusés d’avoir violé Gisèle P., méthodiquement droguée par son mari, pour des faits s’étalant sur dix ans -, et la visibilité de tous les autres, qui pousse Giulia Foïs, devant plusieurs milliers de personnes présentes au rassemblement parisien, à croire à un sursaut des pouvoirs publics et des hommes en général face à la culture du viol.
Au milieu de pancartes où l’on pouvait lire « Pas tous les hommes mais que des hommes », ou « Les monstres n’existent pas, les violeurs si », la journaliste a notamment fait référence au mouvement de contestation qui s’était engagé en Espagne, en 2022, après que cinq hommes ont été condamnés pour « abus sexuels » et non « pour viol ». Des manifestations inédites qui avaient conduit à une intégration du mot « consentement » dans la définition pénale du viol.
« Le juge avait sous estimé la colère des femmes. Elles ont dit qu’elles n’allaient plus retourner au travail, qu’elles n’allaient plus étudier. Elles ont fait grève. Elles sont allées dans la rue. Et aujourd’hui, l’Espagne a mis le blé qu’il fallait. Parce que oui, quand on aime, on compte », a pointé la journaliste. Maud Pidou, des Centres d’information sur les droits des femmes et des familles (CIDFF), a aussi rappelé les « 3 milliards d’euros » dont a besoin la lutte contre les violences sexistes et sexuelles. « Nous espérons que ce procès amènera toutes les femmes à se soulever et à se mettre en grève », a-t-elle appelé.
Justice, éducation nationale, services de santé, de police et de gendarmerie : plusieurs intervenantes et intervenants ont pointé le manque de formation sur la lutte contre les VSS au sein des pouvoirs publics. Mais ce sont aussi, et surtout, l’attitude des hommes, leur inaction et la banalité de leurs violences qui ont été dénoncées.
Le psychologue Morgan Noam, engagé sur la lutte contre le sexisme notamment sur sa page Instagram, enjoint, par exemple, les hommes à prendre en charge leurs émotions. « Acceptons de nous remettre en question. Nos mères, nos sœurs et nos copines ne sont pas nos psys. Arrêtons de penser qu’il existe une nature masculine qui justifierait nos comportements. Il n’y a pas de nature dominante mais une volonté de dominer », explique-t-il. Une intervention suivi d’un slogan « Les hommes chez le psy » scandé par les personnes présentes.
Pour la plupart vous êtes des violeurs, mais en plus vous fermez vos gueules quand vos amis sont des violeurs.
Jessica
S’adressant elle aussi directement aux hommes, Jessica, du collectif #NousToutes, a fait soulevé la foule par un discours particulièrement fort. « C’est à cause de vous, parce que non seulement pour la plupart vous êtes des violeurs, mais en plus vous fermez vos gueules quand vos amis sont des violeurs. On vous reproche pas seulement d’être des violeurs, on vous reproche de fermer vos bouches », lance-t-elle, lassée de devoir répéter sa « colère ». « On en a marre de survivre, on en a marre d’avoir peur ». Au procès des violeurs de Mazan, deux hommes ayant pris contact avec Dominique P. s’étaient finalement rétractés, sans pour autant alerter les services de police.
« On ne doit pas considérer ces hommes accusés comme des malades mentaux. Ce sont des hommes qui ont justifié leur viol par le seul fait que le mari a consenti pour sa femme », a aussi pointé le psychologue Joseph Agostini, qui appelle aussi sa profession à se former à la reconnaissance de la soumission chimique. Le thérapeute a aussi dénoncé « le système pornographique ». « Quand on voit que des sites proposent des fenêtres avec le mot clef ‘femme endormie’. C’est de la complicité criminelle », pointe-t-il.
Une forme de complicité qu’Alizée Vincent, « journaliste à Arrêt sur image et survivante », a aussi noté dans le traitement médiatique des violences sexistes et sexuelles. « C’est Europe 1 qui révèle les prénoms des victimes de Florent Varin alors qu’elles réclamaient l’anonymat depuis plus de dix ans. C’est France Télé et Netflix qui publient des séries sur Outreau sans prendre en compte une partie des victimes. C’est Patrick Sébastien qui prend la défense de Depardieu en 1991 lorsque l’acteur assumait lui-même d’avoir participé à des viols. C’est Le Figaro qui déplore que les femmes auraient moins d’envie sexuelle. Une partie de la presse mainstream méprise les femmes », explique-t-elle.
Un peu plus tard, une performance était organisée par le collectif d’activistes, Le bruit qui court. Plusieurs femmes ont adapté la chanson chilienne du collectif féministe Las Tesis, « Un violador en tu camino » – « Un violeur sur ton chemin »). En 2019, des milliers de femmes entonnaient ce chant dans la rue pour dénoncer les violences genrées. À Paris, les activistes scandaient un texte de soutien aux victimes tout en insistant, le doigt pointé devant elles : « le violeur c’est toi ».