Affaire Imane Khelif : le sport, la nouvelle arme des transphobes
L’autrice et militante transféministe, Lexie, analyse la manière dont les attaques qu’a subies la boxeuse Imane Khelif s’inscrivent dans un mouvement transphobe plus large utilisant, dorénavant, le sport.
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L’or et la honte, c’est le bilan que peut tirer la boxeuse algérienne Imane Khelif de sa participation aux Jeux olympiques de Paris 2024. C’est aussi ce que je retiens de l’événement sportif international alors que celui-ci semble avoir imposé des œillères à un pays qui connaît sa pire crise constitutionnelle depuis 1968 et qu’il n’a pas manqué, dès les premières réactions à la cérémonie d’ouverture, de devenir un sujet d’examen minutieux de militant.es et politiques anti-LGBTQIA+… sans surprise pour les principaux.les concerné.es. Retour sur une obsession réactionnaire qui empêche à l’esprit de dépassement et solidarité du sport de se déployer à l’échelle de la diversité humaine.
Il s’agit d’une organisation mondialisée de la haine transphobe qui se structure autour de têtes d’affiche médiatiques.
Le 1er août, alors qu’Imane Khelif devait affronter la boxeuse italienne Angela Carini, cette dernière renonce au combat après 46 secondes sur le ring. Un « coup trop fort », un abandon qui met le feu aux poudres. Dans la foulée, Philippe Vardon tweete et invoque les violences faites aux femmes pour parler d’un combat olympique (1). Gilbert Collard désigne Khelif de « transsexuel algérien » (2) ; il transforme le choix d’abandon de l’italienne en « aberration idéologique ». Toute la fachosphère mondiale, celle qui a fait du combat contre l’existence des personnes transgenres reprend et déforme l’affaire. Imane Khelif est pourtant cisgenre, et a priori hétérosexuelle…
« La boxeuse algérienne Imane Khelif, médaillée d’or, porte plainte pour ‘harcèlement moral’ », Le Monde, 10 août 2024.
Idem.
Qui aurait pu prévoir ? Eh bien, la communauté trans l’annonçait.
Depuis des années, alors que les médias insistent pour traiter ces questions comme des faits divers, c’est en fait une guerre culturelle qui se joue, réaction directe aux changements sociaux d’inclusivité portés par les nouveaux droits queers, le mouvement #MeToo et ses embranchements dans les différentes sphères socioprofessionnelles.
Il s’agit en effet d’une organisation mondialisée de la haine transphobe qui se structure autour de têtes d’affiche médiatiques qui dénoncent des « abus » de présence trans dans les espaces publics, lancent des paniques morales, que reprennent ensuite en main des organisations et responsables politiques. J.K. Rowling et son influence auprès des lobbys antitrans au parlement écossais (3), Dora Moutot reçue par Jacqueline Eustache Brinio (4), porteuse d’un récent projet de loi visant à rendre plus difficile les transitions en France…
What does Scotland’s anti-hate speech law matter to JK Rowling?, Matthew Reddin, avril 2024, The Big Smoke.
Jacqueline Eustache-Brinio, tweet du 12 avril 2024, rapporté par Le Coin des LGBT.
Le sport est au cœur de ces projets politiques antitrans. Il s’agit d’une véritable porte d’entrée de mesures restrictives et stigmatisantes. En effet, en 2024, sur 642 projets de loi transphobe déposés aux États-Unis, 61 concernaient la pratique des sports individuels et collectifs selon Trans Legislation Tracker, au niveau professionnel, universitaire ou scolaire et une volonté active d’y interdire les participations trans, tous âges confondus, indépendamment des législations de contrôle internationales.
Ces projets cherchent également à redéfinir les catégories de sexe à des quotas hormonaux et génétiques encore plus contraignants que ceux déjà en place. Il s’agit du troisième sujet le plus représenté dans ces projets de loi après l’éducation et l’accès aux soins médicaux.
Les Jeux olympiques et plus largement les compétitions sportives internationales n’échappent pas à ces sujets de société construits et dominés par des organisations au parti pris drapé dans des appels à la nature et la tradition. Un sondage anonyme réalisé par la BBC en 2024 révèle ainsi que 70 % des sportives professionnelles britanniques sont contre la participation de sportives trans dans les catégories féminines (5).
Elite UK sportswomen survey finds majority uneasy with transgender athletes in female class, Reuters, mars 2024.
Le CIO impose aujourd’hui des quotas et contrôles biologiques plus stricts à celles-ci qu’aux athlètes cisgenres et aucun consensus scientifique ne dit qu’une femme transgenre conserve un avantage biologique dans ces compétitions après un traitement hormonal prolongé. Il a fallu attendre les Jeux de Tokyo en 2021 pour qu’une première femme trans participe, et trois athlètes transgenres ont pris part à l’Olympiade parisienne : une personne non binaire, un homme transgenre, qui n’ont pas fait de transition médicale, une femme trans hormonée en para-athlétisme.
Il ne suffit plus d’empêcher une présence trans ; il faut maintenant réaffirmer des standards de genres biologiques et esthétiques.
Leur participation n’a pas été médiatisée, mais l’aura de scandale qu’on impose à leur identité a poursuivi la compétition… sans vraie pertinence, en imposant des semaines de harcèlement à Imane Khelif, une femme cisgenre. C’est que cette transphobie et cette volonté de contrôle de nos corps, en devenant si mainstream, en devenant une obsession politique des droites conservatrice et réactionnaire, a fait tache d’huile.
Il ne suffit plus d’empêcher une présence trans ; il faut maintenant réaffirmer des standards de genres biologiques et esthétiques. C’est en effet un physique considéré comme trop masculin, trop laid, qui servent de premier indice et de limite symbolique imposée à une appartenance à la « bonne féminité » qui ne doit plus juste être cisgenre, mais revenir à des codes culturels traditionnels et contraignants. Se sont imposées de nouvelles frontières à la féminité.
Le 23 août 2024 J.K. Rowling réitérait en demandant à Imane Khelif de rendre public des tests ADN pour respecter son identité de genre. Au fil des années, alors que les personnes transgenres sont devenues l’épouvantail utile aux nouvelles paniques morales, celles-ci ont dans le même temps continué à nous utiliser pour restreindre encore les droits et les conditions d’existence des femmes (cisgenres). Souvent la question nous est posée : « Si vous, trans, êtes femmes, qu’est-ce qu’une femme ? », à quoi les interrogateurs.ices elleux mêmes continuent de donner des éléments de réponse : sont femmes une minorité de personnes que les besoins de contrôle du patriarcat continuent à réduire comme peau de chagrin, à mesure que lui seul impose des nouveaux critères arbitraires.
Un contrôle tel des normes de genre que des femmes cisgenres subissent maintenant des agressions transphobes.
Les Jeux de Paris étaient les premiers à atteindre la parité homme/femme. Un objectif louable qui ne doit pas être une finalité et ne doit pas laisser croire que l’égalité est atteinte. Les effectifs ne représentent en effet pas une égalité des conditions de pratique du sport, de traitement interpersonnel, notamment. Et cette parité est loin d’être acquise aux vues de diktats biologiques imposés à la participation, que de nombreuses femmes cisgenres dépassent.
Souvent racisés, ces critères doivent nous forcer à reconsidérer un regard patriarcal qui, s’il est transphobe, est aussi raciste, sexiste, et entraîne ces dernières années un contrôle tel des normes de genre que des femmes cisgenres subissent maintenant des agressions transphobes. La participation même des femmes dans les compétitions sportives reste récente, il a fallu attendre 1967 pour que Katherine Switzer puisse participer à un marathon. Les valeurs de l’olympisme ne doivent pas cacher les volontés eugénistes et la réappropriation du sport par les régimes totalitaires, les idéologies réactionnaires ; le scandale Imane Khelif n’en fut qu’un rappel cruel.
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