Aurélien Bellanger : « Le Printemps républicain est l’idiot utile du RN »

Dans son nouveau roman, Les Derniers Jours du Parti socialiste, Aurélien Bellanger dépeint un journaliste racontant la création du Printemps républicain et l’ascension de deux intellectuels médiatiques, toujours plus proches de l’extrême droite. Entretien.

Hugo Boursier  • 11 septembre 2024 abonné·es
Aurélien Bellanger : « Le Printemps républicain est l’idiot utile du RN »
Aurélien Bellanger, le 28 août 2024.
© Geoffroy VAN DER HASSELT / AFP

Dans son nouveau roman, Les Derniers Jours du Parti socialiste (Seuil), Aurélien Bellanger dépeint un journaliste racontant la création du Printemps républicain et l’ascension de deux intellectuels médiatiques, toujours plus proches de l’extrême droite.

Les Derniers Jours du Parti socialiste, Aurélien Bellanger, 480 pages, Seuil.

Vous racontez de manière très critique ce petit groupe dintellectuels, philosophes et journalistes qui défendent et veulent diffuser au sein de la gauche un discours sur la laïcité se confondant avec lislamophobie. Est-ce quil existe, selon vous, un discours sur la laïcité louable à gauche ? Et si oui, où se trouve-t-il ?

Aurélien Bellanger : Je ne suis pas un spécialiste de la laïcité. Mon point d’entrée dans ce roman, c’est le caractère délirant de l’islamophobie en France. Je me suis donc intéressé à la laïcité quand l’Observatoire de la laïcité a été très critiqué, parce qu’il faisait prétendument le jeu du communautarisme. On entendait alors que la religion appartenait d’abord à la sphère privée, mais que ce principe s’appliquait surtout aux musulmans. Il n’a jamais été question, de fait, de dissimuler les clochers d’église. Cette dissonance m’a intéressé. Je voulais montrer, quitte à exagérer, que ceux qui défendent les instructions trop fortes de l’islam dans la société sont les mêmes qui ont trouvé que la loi de 1905 allait trop loin parce que la France, en dernier lieu, était la fille aînée de l’Église.

Vous racontez l’ascension progressive de plusieurs personnages carriéristes. Dans ce cadre-là, l’islamophobie est-elle concrètement une idéologie qu’ils souhaitent porter, ou bien est-ce un argument de vente, parce qu’en ce moment cette idée-là a le vent en poupe, notamment avec la normalisation de l’extrême droite ?

Bonne question. Le font-ils strictement par cynisme ? C’est beaucoup plus profond que la question de l’islamophobie. Ils occupent une posture de gauche qui a été à un moment porté par le chevènementisme, à un autre moment par Clemenceau, avant lui par Michelet, etc. Cette gauche qui était jusque-là assez marginale a pu réunir des courants de pensée très différents sur le thème de la laïcité. Aujourd’hui, ils se sont retrouvés dans le Printemps républicain, et se présentaient même comme les représentants de la « vraie gauche ».

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Cela a permis à cette gauche de surfer sur les événements. Toutes proportions gardées, il s’est passé la même chose aux États-Unis : la révolution néoconservatrice n’avait pas strictement besoin du 11-Septembre. Elle existait avant mais les attentats lui ont permis d’asseoir sa domination intellectuelle. Les attentats de 2015, en France, ont permis au Printemps républicain de se trouver une cohérence historique.

Page 213, Charb dit : « Nous pourrions être devenus, à notre corps défendant, une arme entre les mains du camp réactionnaire. » Est-ce que, selon vous, le Printemps républicain et ses réseaux ont construit un pont avec lextrême droite ?

Charlie Hebdo est passé d’un modèle de provocation générale contre la police, l’État, l’armée, à une agence intergouvernementale du rire. D’une instance de critique, ils sont devenus une instance qu’il fallait défendre. Ils ne l’ont pas spécialement cherché, mais c’est une sorte de piège qui s’est refermé sur eux. Dans quelle mesure ont-ils été utiles à la montée du Rassemblement national ? Il s’est passé la même chose entre, d’un côté, le féminisme et l’homosexualité, et de l’autre, la caricature et le blasphème. Initialement, c’étaient des valeurs critiques dirigées contre la société. Mais, aujourd’hui, ce sont des produits d’exportation. L’Occident, c’est devenu un ensemble de pays qui défendent les femmes, les minorités sexuelles et les caricaturistes.

Avec leur théorie de l’arc républicain ils fabriquent un terrain et une alliance entre le centre et l’extrême droite.

Le RN est passé d’une condamnation droitarde assez classique de l’homosexualité à : s’il y a trop de musulmans en France, les homosexuels seront en danger. De façon très opportuniste, ce grand parti réactionnaire a pu défendre des valeurs progressistes, en pointant du doigt des pays où ces valeurs sont bafouées. Et les caricatures obéissent à la même logique. Du côté du Printemps républicain, ce sont vraiment des idiots utiles du RN. Franc-Tireur met sur le même plan l’extrême droite et La France insoumise. Mais on constate – et cette semaine en fournit encore un exemple – que le centre politique se sent très à l’aise avec l’extrême droite.

Ils ne se rendent pas compte qu’avec leur théorie de l’arc républicain ils fabriquent un terrain et une alliance entre le centre et l’extrême droite, représentée par ces gens avec qui il serait devenu possible de travailler. Ils sont dans une lecture de comparaison des civilisations entre elles avec une certitude que « là-bas », ils sont moins avancés que « chez nous ». Et, surtout, ils sont totalement aveugles à l’épaisseur des sciences sociales qui décrivent un racisme institutionnel. Pendant les législatives, on n’a parlé quasiment que de l’antisémitisme – et c’est fondamental de s’interroger sur l’antisémitisme à gauche – mais jamais de l’islamophobie. Ça, c’est leur œuvre.

Pourquoi donner autant dimportance à des individualités, sans appréhender des transformations plus structurelles ?

Je le fais de manière subtile à la fin. Dans un roman précédant, L’Aménagement du territoire, je racontais l’histoire d’un empire du BTP qui se disloquait. Et un personnage, Pierre Piau, un activiste d’extrême droite, se retrouvait être l’héritier du groupe. À la fin des Derniers Jours du Parti socialiste, j’évoque ce même Pierre Piau, un industriel breton, qui va financer la campagne électorale de Frayère.

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Mais, effectivement, ce n’est pas frontalement le sujet du livre où il y a, d’un côté, un universaliste parisien voltairien, qui va s’acoquiner avec des thèses racistes, et de l’autre, un personnage qui va passer d’une défense proudhonienne d’une France éternelle à un maurrassisme exacerbé. Et tout libertaire qu’il soit, il va se rapprocher de l’extrême droite catholique locale, en Mayenne, où l’Ancien Régime n’est pas totalement parti.

Cette réduction de l’histoire à l’attitude carriériste de quelques-uns a poussé certains à qualifier votre propos de complotiste. Comment accueillez-vous cette réception ?

Les deux pages du prologue abordent spécifiquement ce sujet : j’évoque un historien du temps présent qui problématise la séduction de la thèse complotiste et illustre sa pensée avec l’exemple du Printemps républicain, renommé pour l’occasion « Mouvement du 9 décembre ». Comme je suis romancier et que je suis d’une tradition balzacienne, les sociétés secrètes m’amusent et je sais à quel point elles sont des inventions du roman-feuilleton, je peux me permettre d’en jouer. Ces reproches ne sont pas idiots. Ces personnes ont raison, mais c’est conscientisé dès le début du livre. J’ai créé volontairement un personnage de romancier ambigu. J’ai fabriqué du brouillage.

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Le discours sur cette laïcité qui se confond avec l’islamophobie est porté par des figures très médiatiques. Comment expliquez-vous que ce discours n’ait eu aucune réussite en politique ? En témoignent les multiples échecs de Valls, la vaine tentative de Laurent Bouvet, et le Printemps républicain qui n’est jamais devenu un mouvement politique de poids.

Ces idées ont gagné sans eux. Leur triomphe est à peu près total, mais cela interroge aussi l’intellectuel organique en politique. Ce sont des gens passionnés par la question politique, mais pas très bons dans le jeu politique.

La gauche est utopique ou n’est pas. Les premiers jours de la gauche, c’est de considérer qu’elle peut changer la société.

Quelle place accordez-vous à Emmanuel Macron, plutôt secondaire dans votre roman, dans l’ascension du Printemps républicain et la normalisation de lextrême droite ?

Dans le Printemps républicain, quasiment aucune place. Même si me suis rendu compte sur le tard que mon livre était, en fait, un livre sur Macron. Ce n’était pas du tout la volonté du début. Le livre trouve son sens dans la rencontre de l’écrivain avec Macron. C’est la première fois que la France a élu un homme qui n’a pas de surmoi institutionnel : c’est quelqu’un qui pense être au-dessus des institutions. Il n’est pas tenu par la Ve République, ni par un parti.

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Sept ans après sa création, c’est toujours une coquille vide. C’est lui et le peuple, c’est tout. Je crois que le libéralisme ne peut plus être qu’autoritaire. Macron n’a jamais été et ne sera jamais un Tony Blair à la française. C’est un bonapartiste. Mais il risque de se faire piéger par la droite, sauf s’il fait un coup d’État. Ce que préféreraient sûrement les milieux économiques.

Pourquoi avoir insisté sur le fait que la rupture en cours au sein du PS se soit produite sur un sujet culturel – la fameuse « insécurité culturelle » – et non sur des différences économiques, par exemple ?

Comment le PS est devenu raciste, cela me semblait être très grave. Ce qui m’a intéressé, c’est qu’il y a quand même la volonté très bizarre de ne pas trop froisser les opinions imaginaires des ouvriers blancs. On le voit nettement avec les réticences d’un François Ruffin autour de la critique du racisme. La gauche a oublié qu’elle était contre le travail.

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La gauche est utopique et elle est contre le travail, la Nation, la police et l’armée. Après, on peut travailler à être plus réaliste, mais toute gauche qui oublie que c’est la base de son programme dérive. Les 35 heures doivent d’ailleurs être vues comme une vraie mesure de gauche, de victoire du travail contre le capital. Avec à terme, de manière asymptotique, l’abolition totale du travail.

Vous trouvez que François Ruffin s’écarte de la gauche quand il souhaite s’intéresser au travail ?

Il serait temps de prendre acte de la désindustrialisation terminale de notre économie. Il n’y a qu’à voir les difficultés que rencontre l’industrie automobile, où travaillent de nombreux ouvriers : le capitalisme est en train de changer. On peut promettre que la France va se réindustrialiser, mais c’est s’ancrer dans une vision de l’économie très déconnectée du réel.

Le pacte de votre livre avec le lecteur annonce que vous racontez les derniers jours du Parti socialiste. Si ce sont les derniers jours du PS, que peuvent être les premiers jours de la gauche ?

La gauche est utopique ou n’est pas. Les premiers jours de la gauche, c’est de considérer qu’elle peut changer la société. Ce sont des perspectives révolutionnaires. Quand je fais une manif et que, pendant dix minutes, ça part en manif sauvage et qu’il y a un soupçon d’autonomie qui se crée sous mes yeux, j’ai l’impression que la gauche renaît.

On est loin du Nouveau Front populaire

Le NFP existe sur la base d’un programme de concession. Mais contrairement au marasme idéologique qu’ont accompagné la chute du mur de Berlin et la sidération de tous devant la mondialisation, la gauche est mieux accompagnée aujourd’hui. Elle veut la fin du patriarcat. Elle place le racisme au cœur des débats – un sujet sur lequel elle est infiniment plus pertinente qu’elle n’a jamais été.

La gauche est mieux accompagnée aujourd’hui.

Ce n’est pas un hasard si Caroline Fourest publie cette semaine un livre ambigu sur #MeToo ou que Raphaël Enthoven passe son temps à dire que les antiracistes sont les racistes d’aujourd’hui. La gauche croit aux sciences sociales, ce n’est pas le cas de la droite. C’est d’ailleurs un défi posé aux romanciers parce que le récit sociologique a donné un nouveau souffle à la littérature française ces dernières années.

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Vous racontez la manière dont certaines des figures tuant le PS ont joué avec le langage. En le considérant comme une matière plastique, capable de dire tout et son contraire, important des mots – woke, par exemple – des États-Unis dans le contexte français, tout en se faisant les hérauts de la langue française, imperméable aux nouveaux pronoms. Braconner des idées d’extrême droite quand on vient de la gauche oblige-t-il à travestir le langage ?

Les deux intellectuels les plus connus de France sont des clowns pathétiques. Il y a eu une époque où le philosophe le plus connu de France, c’était Jean-Paul Sartre. Maintenant, ce sont Raphaël Enthoven et Michel Onfray. Ils ne font pas partie de la pensée. Quand Éric Naulleau dit qu’il est de gauche, visiblement, le prétendu « camp de la raison » n’a pas besoin de l’extrême gauche pour déraisonner.

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