D’un triste consentement

Caroline Yadan, députée macroniste, a apostrophé publiquement Le Monde, pour lui suggérer de sévir contre l’un de ses collaborateurs, coupable à ses yeux de faire partie de ces journalistes qui continuent de rendre compte aussi honnêtement que possible de l’enfer où près de 41 226 Palestinien·nes ont déjà péri.

Sébastien Fontenelle  • 17 septembre 2024
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D’un triste consentement
Manifestation de soutien au peuple palestinien, à Paris, en octobre 2023.
© Maxime Sirvins

À Gaza, l’armée israélienne tue – aussi –, régulièrement, des journalistes. Par dizaines.

En France, d’autres journalistes, au vrai assez rares dans le moment où ce massacre est relégué dans l’arrière-plan de l’actualité par le commentariat dominant, continuent de rendre compte aussi honnêtement que possible de l’enfer où près de 41 226 Palestinien·nes ont déjà péri – au jour où ces lignes sont écrites – depuis le mois d’octobre dernier (sans compter celles et ceux qui ont été, par centaines, assassiné·es en Cisjordanie).

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L’un de ces journalistes s’appelle Benjamin Barthe. Il est rédacteur en chef adjoint au Monde après avoir été pendant une décennie son correspondant à Ramallah, et le sérieux de ses articles sur la Palestine lui a notamment permis de remporter le prix Albert-Londres en 2008. Cette rigueur lui vaut depuis longtemps quelques solides inimitiés – et les habituelles calomnies et diffamations visant régulièrement celles et ceux qui refusent d’adhérer trop étroitement aux récitatifs de la propagande étatique israélienne.

Une députée du parti présidentiel apostrophe donc publiquement Le Monde, pour lui suggérer (…) de sévir contre l’un de ses collaborateurs.

Mais, la semaine dernière, c’est une élue macroniste, Caroline Yadan, députée de la huitième circonscription des Français établis hors de France et hôte régulière des chaînes dites « d’info » – où elle profère par exemple (1), et assez tranquillement, qu’« après être devenu le premier parti antisémite de France, La France insoumise est devenue le porte-parole du Hamas » – qui a posté sur X (ex-Twitter) ce long message, adressé au Monde : « Benjamin Barthe, votre rédacteur en chef adjoint du service international, adopte une posture éditoriale […] reprenant parfois mot pour mot la propagande et les chiffres du Hamas. Ses […] prises de position sur les réseaux sociaux sont souvent empathiques avec les terroristes palestiniens. [Il] est marié depuis 2008 à […] une activiste palestinienne qui ne cache ni sa détestation d’Israël ni sa haine des juifs et qui a basculé dans l’apologie du terrorisme décomplexé. N’y a-t-il pas, en l’espèce, un réel conflit d’intérêts problématique pour votre journal ? […] N’êtes-vous pas devenu, en définitive, le porte-parole de ceux qui, par leur haine passionnelle d’Israël, nourrissent la haine des juifs en France ? »

1

Sur une chaîne du très droitier groupe Bolloré, au mois de mai 2024.

Une députée du parti présidentiel apostrophe donc publiquement Le Monde, pour lui suggérer, à mots très peu couverts, de sévir contre l’un de ses collaborateurs, unanimement reconnu par ses pairs comme un excellent connaisseur de la réalité israélo-palestinienne, mais qu’elle accuse très sérieusement de propager, avec son épouse palestinienne, « la haine des juifs en France ».

Or, très curieusement, personne ou presque, au sein d’une corporation journalistique où l’on sait pourtant se montrer parfois jaloux de ses prérogatives, ne s’est offusqué de cette ahurissante démarche. Un tel silence porte un nom : c’est un dangereux et triste consentement.

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De bonne humeur

Sébastien Fontenelle est un garçon plein d’entrain, adepte de la nuance et du compromis. Enfin ça, c’est les jours pairs.

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