L’égalité contre la croissance ?
La baisse des inégalités peut être un moyen efficace non seulement pour rétablir une justice sociale, mais aussi remettre en question le culte de la croissance.
dans l’hebdo N° 1826 Acheter ce numéro
La hausse des inégalités économiques depuis les années 1980 est un fait partagé par l’ensemble des économistes. Elle est vertigineuse. 10 % des ménages les plus riches en France possèdent 47 % de la richesse nationale, et la richesse des 500 plus grosses fortunes de France est passée de 124 milliards à 1 170 milliards d’euros en vingt ans. Le consensus s’arrête au constat car, pour de nombreux économistes, ces inégalités sont nécessaires. Par exemple, Olivier Blanchard, ex-économiste du FMI, juge que les propositions du NFP (Smic à 1 600 euros et fiscalité des plus riches) sont plus dangereuses que celles du RN par la radicalité de leur redistribution. Mais dangereuses pour quoi ?
La richesse d’un milliardaire ne se matérialise pas seulement par le montant de son compte en banque. Ce n’est pas une richesse liquide, mais une valeur économique d’un capital matériel qui organise profondément les rapports sociaux de production (machines, terres, logements, infrastructures). Cette valeur économique serait nulle s’il n’y avait pas les rapports sociaux de production. Or la source des inégalités est au cœur de la production : dans la manière dont le capital exploite la nature et le travail.
La poursuite de la croissance du PIB est une impasse mortifère.
C’est la répartition primaire. Si la fiscalité est nécessaire, elle ne peut suffire puisqu’elle intervient après l’inégale répartition au sein de la production entre capital et travail. Plus l’accumulation du capital est forte, plus la fiscalité peine, à elle seule, à limiter la hausse des inégalités. Soumettre les revenus de Bernard Arnault à un plus fort impôt est nécessaire, mais cela n’empêche en rien les entreprises de LVMH d’exploiter et de détruire.
Mais jusqu’où aller dans la baisse des inégalités ? Y a-t-il une limite à ne pas franchir ? Pour Olivier Blanchard, la limite, c’est la dynamique productiviste du capital et donc la croissance. Une redistribution trop forte désinciterait les capitalistes à produire. Les économistes keynésiens rétorquent que les profits seront préservés du fait de l’augmentation de la consommation populaire portée par la hausse des bas salaires. Dans les deux cas, la limite, c’est la préservation de la croissance. Or la poursuite de la croissance du PIB est une impasse mortifère, car elle implique l’accroissement des dégradations écologiques.
Pourquoi s’arrêter au pied de la croissance ? La baisse des inégalités peut être un moyen efficace non seulement pour rétablir une justice sociale, mais aussi remettre en question le culte de la croissance. Une réduction drastique des profits par une hausse des bas salaires et une taxation des profits couplée à une réorientation productive conduiraient à une forme de décroissance dans un monde habitable et plus juste.
Chaque semaine, nous donnons la parole à des économistes hétérodoxes dont nous partageons les constats… et les combats. Parce que, croyez-le ou non, d’autres politiques économiques sont possibles.
Chaque jour, Politis donne une voix à celles et ceux qui ne l’ont pas, pour favoriser des prises de conscience politiques et le débat d’idées, par ses enquêtes, reportages et analyses. Parce que chez Politis, on pense que l’émancipation de chacun·e et la vitalité de notre démocratie dépendent (aussi) d’une information libre et indépendante.
Faire Un Don