Chez Jean-Michel Blanquer, des débats qui visent les musulmans
Fin août, avait lieu l’université d’été du Laboratoire de la République, think thank fondé par Jean-Michel Blanquer en 2021. Dans certains ateliers, une partie de l’auditoire et des intervenants ont eu des échanges racistes, centrés notamment sur l’islam.
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Caroline Fourest, mère Croisades Raphaël Enthoven ou l’anti-pensée Sophia Aram harangue Rachel Khan, l’anti-antiracisteDans la salle verte de la bibliothèque d’Autun, en Saône-et-Loire, une femme, médecin dans un centre médico-psychologique, prend la parole, outrée : « Je suis étonnée du nombre explosif de personnes en situation irrégulière qui saturent totalement le système de soins. Vous faites une tentative de suicide, vous restez 24 heures ; vous êtes un Africain, vous restez un an, deux ans, trois ans. Est-ce que ça, vous le prenez en compte dans le calcul de la pauvreté ? »
La question est adressée à Nicolas Pouvreau-Monti, fondateur de l’Observatoire de l’immigration et de la démographie (OID). La scène se passe le vendredi 30 août, à l’atelier « démographie et immigration » de l’université d’été du Laboratoire de la République, think thank fondé en 2021 par l’ex-ministre de l’Éducation nationale Jean-Michel Blanquer, pour promouvoir les valeurs de la République. L’événement, dont la communication est assurée par Image 7, l’agence d’Anne Méaux (1), regroupe 500 personnes selon les organisateurs. En ce vendredi matin, les dix ateliers correspondent aux dix commissions du cercle de réflexion.
Ancienne recrue du GUD, Anne Méaux a assuré la campagne du candidat Fillon en 2017, conseillé Alain Madelin, Gérard Longuet ou Hervé Novelli et nombre de grands patrons.
À l’atelier sur l’immigration, Nicolas Pouvreau-Monti égrène chiffres et statistiques liant démographie, fécondité, immigration. L’autre invité, Fernand Gontier, ancien directeur de la police aux frontières, s’exprime sur le contrôle de ces dernières avant d’être interrogé sur le lien entre délinquance et immigration. Le but de la discussion, a précisé en introduction le modérateur, est de « remettre les pendules à l’heure » sur un sujet « qui fait souvent l’objet d’une lecture idéologique ». Après une heure d’exposé, une femme prend la parole : « Merci pour le débat apaisé. Parce que j’ai peur de passer pour une fasciste quand je dis qu’il y a un problème d’immigration. »
Les analyses produites par l’OID ne sont pourtant pas dépourvues d’idéologie. Son fondateur, Nicolas Pouvreau-Monti, est proche de l’eurodéputée Reconquête ! Sarah Knafo, selon le livre enquête L’Extrême Droite, nouvelle génération (Marylou Magal et Nicolas Massol, Denoël, 2 024). En novembre dernier, il introduisait un colloque organisé par la fondation Identité et démocratie, un think thank du groupe d’extrême droite au Parlement européen. Parmi les membres qui composent le conseil d’orientation de son observatoire (censé fixer les axes prioritaires et l’indépendance de l’institut), Pierre Brochand a été conseiller d’Éric Zemmour et Xavier Driencourt celui du Rassemblement national.
Ce dernier est aussi membre, avec l’avocat Thibault de Montbrial, du comité stratégique du média d’extrême droite Frontières (anciennement Livre noir) financé par un proche d’Éric Zemmour. Enfin, Michel Auboin (qui fait aussi partie du comité scientifique du Laboratoire de la République) a participé en mars dernier aux états généraux de l’immigration, organisés par le Rassemblement national.
La quasi-totalité des musulmans en France sont des immigrés ou des descendants d’immigrés.
N. Pouvreau-Monti
L’échange s’agite lorsque Jean-Pierre Sakoun, président d’Unité laïque, s’insurge que le mot « islam » n’ait toujours « pas été prononcé », après une heure et demie de débat. Mario Stasi, président de la Licra, invité de l’université et présent dans l’auditoire, réagit vivement, dénonçant l’amalgame. « La question de l’islam, c’est l’un des éléphants au milieu de la pièce, répond Nicolas Pouvreau-Monti. Parce qu’à l’exception de phénomènes très localisés comme à Mayotte, il n’y a pas d’islam natif en France. La quasi-totalité des musulmans en France sont des immigrés ou des descendants d’immigrés. »
De son côté, Fernand Gontier tempère : « Ça me paraît compliqué de faire des lois spéciales pour des gens qui viennent de pays musulmans. La loi s’applique à tous. » À la fin du débat, un homme chilien, en France depuis 30 ans, s’exprime en disant qu’il y a peut-être un « souci de gouvernance globale » sur le sujet de l’immigration. Le maire d’Autun, lui, parle des expériences d’intégration locales et réussies des personnes étrangères.
Obsession sur les musulmans
« Défi environnemental », « République indivisible », « République sociale ». Des ateliers sont dispatchés dans les salles de la mairie, indiqués par des bénévoles, reconnaissables au pin’s « Marianne » sur leur tee-shirt. C’est dans le salon d’honneur de la mairie, décoré par des lustres et des moulures au plafond, qu’a lieu l’atelier sur la laïcité, animé par Michel Lalande, ancien préfet, membre du comité scientifique du Laboratoire de la République.
Il faut un vrai sursaut citoyen, parce que c’est comme ça que se fait la ‘frérisation’, la ‘halalisation’ de notre société.
F. Bergeaud-Blackler
« Mes avocats m’ont dit que je ne pouvais rien faire », déplore, avec un air de désarroi, le gérant d’un centre commercial qui cherche à rompre le contrat de bail commercial d’une locataire qui porte désormais le voile.« Il faudrait mettre en place des ateliers de secours pour les gens qui sont confrontés à ces problèmes. Pour mutualiser les expériences et les réponses, répond l’anthropologue Florence Bergeaud-Blackler, autrice d’un livre sur les Frères musulmans. Il faut un vrai sursaut citoyen, parce que c’est comme ça que se fait la ‘frérisation’, la ‘halalisation’ de notre société. »
Au cours de l’échange, un auditeur dénonce « les 50 000 instagrameurs qui prescrivent à la jeunesse comment attacher son voile ». Une autre s’en prend à la société de conseil Convivencia intervenant dans les « entreprises » et les « collectivités territoriales », et « qui défend, non pas la laïcité, mais la liberté de religion ». « Cette confusion passe par les mots. Tant qu’on ne se sera pas réapproprié les mots de la République, on n’y arrivera pas », réagit un auditeur.
L’ancien gendarme Médéric Chapitaux, auteur d’une thèse en sociologie sur le « radicalisme » dans le sport, et dirigeant de l’entreprise Challenges Academia, est, lui aussi, invité à s’exprimer. Celui qui fait partie du Conseil des sages de la laïcité et des valeurs de la République, instance créée en 2018 par Jean-Michel Blanquer, propose d’étendre la loi de 2004 sur le voile aux clubs de sport. En avril dernier, la critique de cette loi avait valu au politiste Alain Policar d’être démis du Conseil.
Face à la volonté exprimée par beaucoup d’interdire le voile dans tous les espaces possibles, un homme tient à rappeler que « les solutions simples n’existent pas pour encadrer la liberté de conscience ». Une documentaliste exprime sa crainte : « Comment ne pas tomber dans la chasse aux sorcières ? » Lorsque Michel Lalande, l’ancien préfet, propose de voter à main levée sur le fait de naturaliser ou non une femme musulmane souhaitant être auditionnée par une autre femme en présence de son mari, quelqu’un intervient pour stopper la scène : « Non ! On n’est pas là pour ça ! » Le débat aurait pu continuer longtemps, mais la salle doit être libérée. Avant ça, un invité surprise conclut l’atelier : l’évêque d’Autun, Mgr Benoit Rivière.
« Bataille des idées »
Dans le hall de la mairie, des bénévoles – qui constituent la majorité des jeunes présents – distribuent le programme. La veille était dédiée à l’égalité des territoires et à la jeunesse. L’après-midi du vendredi est consacrée à une table ronde sur la « Paix au Proche-Orient », à une conférence sur la « culture de la plainte et victimisation » par le philosophe Pascal Bruckner ou encore un débat sur la « liberté de conscience » entre Philippe Val, ancien patron de Charlie Hebdo, et Raphaël Enthoven, cofondateur du journal Franc-Tireur.
Pour lutter contre l’extrême droite, il faut lutter contre l’extrême gauche.
J-M. Blanquer
Parmi les autres têtes d’affiche : l’ex-premier ministre de François Hollande Manuel Valls, le philosophe Étienne Klein, et des éditorialistes comme Rachel Khan. Un programme illustré par Xavier Gorce, parti du Monde après que l’un de ses dessins sur l’inceste, jugé offensant pour les victimes, a été dépublié. Du côté de la majorité présidentielle, seule la députée Renaissance Violette Spillebout était de la partie pour parler de la « crise de l’information ». Il faut dire que dans son nouveau livre, La Citadelle, tout juste paru, Jean-Michel Blanquer, qui revient sur ses années au ministère de l’Éducation nationale, n’épargne pas certains macronistes.
Pour l’ancien ministre qui se targue d’une « victoire sémantique » pour avoir « vulgarisé » l’expression « islamo-gauchisme », l’enjeu du laboratoire est de mener « la bataille des idées ». Quant à « l’islamophobie », il estime que c’est « une victoire sémantique des islamistes ». Refusant de laisser la démographie ou le patriotisme à l’extrême droite, il souhaite incarner un bloc central. Central mais pas trop. Jean-Michel Blanquer le dit : « Pour lutter contre l’extrême droite, il faut lutter contre l’extrême gauche. »