« Nous ne sommes pas différents, nous sommes des individualités »

Première femme transgenre française et afrodescendante à remporter un concours de beauté international, Kevhoney Scarlett souhaite donner du poids aux voix des minorités.

• 25 septembre 2024 abonné·es
« Nous ne sommes pas différents, nous sommes des individualités »
Keyvhoney Scarlett à la Pride des banlieues, en juin 2022.
© Pride des banlieues


Première femme transgenre française et afrodescendante à remporter un concours de beauté international, Kevhoney Scarlett souhaite se servir de cette récompense pour donner du poids aux voix des minorités. Elle raconte sa volonté de devenir une inspiration et souhaite adresser un message d’union et de respect. 


En écrivant ces mots, je ne réalise toujours pas que j’ai marqué l’histoire française. Je suis la première femme trans afropéenne à décrocher une couronne dans un concours international de beauté. Quand j’ai commencé les concours en 2019, c’était par curiosité. Je voulais écrire un article dénonçant les diktats et les carcans inconscients que nous impose une société patriarcale. En six ans, les choses ont évolué au rythme des mobilisations et des manifestations.

En incarnant Marianne, j’ai appris à quel point une ignorance historique, sociale et juridique peut amener à la haine.

Comme notre Marianne républicaine (que j’ai eu l’honneur d’incarner), j’ai pris conscience que je représentais une rupture avec un système établi qui invisibilise des minorités (qui sont la majorité une fois solidaires). En tant que femme intersectionnelle (LGBTI+, afrodescendante), je vis au quotidien bon nombre de discriminations.

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De mes rencontres (tant positives que négatives) lors de diverses interventions publiques, j’ai appris qu’un titre donne du poids à nos actions et à nos voix. Les diamants d’une couronne sont les vies qu’on doit défendre. La convergence de nos combats est la clé pour assurer nos droits à tou·tes. Être allié·e et soutenir l’existence et les droits des autres n’enlèvera jamais à personne ses propres droits. Voilà le message que j’ai voulu faire passer lors de mon discours d’ouverture pour la Marche des fiertés de Paris, cette année.

Beaucoup ont peur de perdre leurs acquis. Mais on ne peut conserver des droits acquis au détriment des autres car, aujourd’hui, ces autres prennent leur juste place dans la société pour ne plus être invisibles. L’équité est une question de balance.

Comme on a pu le voir pendant la cérémonie d’ouverture des JO 2024 : chacun compte.

En incarnant Marianne, j’ai appris à quel point une ignorance historique, sociale et juridique peut amener à la haine. Nombreux sont ceux qui, sur les réseaux sociaux, sous couvert d’anonymat ou en quête de gloire virtuelle, alimentent la désinformation. Désinformation qui nourrit des propositions de lois racistes : une représentation médiatique biaisée sépare des familles et tue ! Comme on a pu le voir avec les féminicides subis par nos adelphes transgenres d’hier, d’aujourd’hui et de demain. Kesaria, Geraldine, Angelina et tant d’autres qu’on n’oubliera pas.

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La représentation est une nécessité commune. On juge tous au premier regard, à tort ou à raison ; mais on apprend aussi. Avoir conscience de ses erreurs et éviter de reproduire un schéma sémantique destructeur est la clé pour nourrir un monde tolérant.

On est tous des enfants de Marianne, malgré l’héritage colonialiste inclus dans notre histoire commune. Aujourd’hui, la France est un symbole de mixité et d’inclusion. D’où la nécessité de représentations fidèles au paysage social et culturel. Nous ne sommes pas différents, nous sommes des individualités. Comme on a pu le voir pendant la cérémonie d’ouverture des JO 2024 : chacun compte. Chacun a sa place, et c’est ce que j’ai appris en faisant des concours de beauté internationaux.

Je veux être une inspiration pour toutes ces personnes qui ont besoin d’une graine d’espoir pour s’aimer et aimer l’autre.

Nous sommes un pays de droits, conservons-les pour tou·tes, afin d’éviter de perdre notre droit de jouir d’une vie paisible. Voir des femmes et des hommes fuir leur pays parce qu’être une personne qui veut vivre sa vie peut exposer aux violences, en raison de lois qui autorisent, obligent ou félicitent la délation ou le meurtre sous prétexte d’honneur : je dis stop !

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Aujourd’hui je veux appeler à l’union. Aller vers l’autre, entendre l’autre, se faire entendre, dire stop n’est pas facile mais nécessaire. Je remercie mes haters (1) pour cette leçon de vie que j’essaye de m’imposer au quotidien : « Je suis valable et je mérite d’être écoutée, entendue, soutenue et visible. »

1

Anglicisme utilisé pour exprimer une suspicion de malveillance à l’égard d’un internaute en raison d’un conflit d’opinions.

Aujourd’hui, je veux être une inspiration pour toutes ces personnes qui ont besoin d’une graine d’espoir pour s’aimer et aimer l’autre. Pour trouver le courage de répondre à la haine par l’amour, la connaissance et la fermeté. Je ne sais pas si les institutions, les médias et la population française sauront entendre et soutenir mon message d’union et de respect en me rendant visible. Mais, tel Martin Luther King, j’espère que le peu de personnes touchées réussiront à intégrer et à faire germer cette intention dans leurs actions et leur combat quotidien.

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Carte blanche

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