« On m’a signifié que je n’avais pas le droit d’étudier »

Réfugié politique syrien, Rudi Osman témoigne des problèmes auxquels sont confronté·es les étudiant·es exilé·es.

• 4 septembre 2024
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« On m’a signifié que je n’avais pas le droit d’étudier »
© Redd F / Unsplash

Réfugié politique syrien, Rudi Osman témoigne des problèmes auxquels sont confronté·es les étudiant·es exilé·es qu’il accompagne avec l’association qu’il a fondée. Aujourd’hui, ce sont près de 3 000 personnes, de 28 nationalités, qui bénéficient de cette entraide.


Lors du « printemps arabe » de 2011, je me suis engagé en faveur de la démocratie en Syrie. À l’époque, j’étais étudiant en droit à l’université de Damas et journaliste citoyen. Mon engagement portait sur la lutte pour un pays libre, démocratique et laïque. J’ai été arrêté à plusieurs reprises et soumis à la torture pendant de longues journées. Après ma dernière arrestation, il m’a été clairement indiqué que je devais disparaître. Je suis passé en Jordanie pour m’installer à côté de la frontière syrienne, où j’ai continué à documenter la réalité des réfugiés syriens. Là encore, j’ai été arrêté et sommé de quitter le territoire. Grâce à l’action de Reporters sans frontières, j’ai pu quitter la région et trouver refuge en France.

Une obsession m’animait : me construire un avenir dans cette nouvelle société.

À mon arrivée en tant que réfugié politique, j’ai repris mes activités de journaliste et, avec des amis, j’ai participé à la création de Radio Rozana à destination des Syriens. Cependant, une obsession m’animait : me construire un avenir dans cette nouvelle société tout en continuant à me battre pour une société plus juste. En parallèle de ce travail exigeant, je suivais des cours de français chaque jour afin d’atteindre un niveau suffisant pour reprendre mes études.

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Quelle ne fut ma surprise lorsque, malgré le droit que j’avais d’étudier en tant que réfugié politique, on m’a dit que ce n’était pas possible. Ni les assistants ni les services des universités n’ont pu me fournir de solution. J’ai sollicité l’aide d’une amie pour rédiger une lettre de motivation, un CV, et envoyer mon dossier de candidature à plusieurs universités. L’une d’elles m’a accepté, ce qui m’a permis de reprendre le chemin de la faculté.

Nous avons créé une véritable communauté d’entraide.

Mais mon niveau de connaissance de la langue était insuffisant pour suivre des cours dans des amphithéâtres et rien n’était prévu par l’université pour m’aider à progresser en français. J’ai repris un travail pour financer des cours supplémentaires. Je n’avais jamais entendu parler des concepts tels que la dissertation à la française, la méthodologie de rédaction ou le « commentaire d’arrêt ». Et personne n’était là pour m’accompagner : les professeurs étaient inaccessibles, les étudiants ne communiquaient pas entre eux et l’administration n’avait rien prévu pour des élèves comme moi.

Je ne mentionne même pas les défis liés à la prise de notes, à la compréhension du système universitaire français, à la lutte pour obtenir un temps supplémentaire lors des examens, ou encore aux préjugés racistes que j’ai parfois rencontrés. Heureusement, des amis m’ont aidé et guidé. Je me suis alors dit que je n’étais probablement pas le seul dans cette situation. C’est ainsi qu’avec quelques camarades nous avons fondé l’Union des étudiants exilés (UEE), afin d’accompagner celles et ceux qui souhaitent reprendre leurs études ou faire valoir leurs diplômes.

Ma demande de naturalisation, introduite il y a deux ans, n’a toujours pas été traitée.

Nous avons accompagné 5 étudiants, puis 10, puis 100. Nous connaissions tous les obstacles à la reprise d’études : manque de stabilité financière, difficultés d’accès au logement, manque d’informations sur les procédures d’inscription, etc. Nous avons mis en place un accompagnement complet : reconnaissance des diplômes, cours de français, méthodologie académique, accès au logement et aux bourses, etc. Aujourd’hui, nous accueillons plus de 300 étudiants et futurs étudiants par mois, soit 3 000 par an, représentant 28 nationalités. Nous avons créé une véritable communauté d’entraide, et notre équipe compte désormais 13 employés et 2 stagiaires à Paris, Lille et Lyon.

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En 2022, l’UEE est devenue lauréate de la prestigieuse fondation La France s’engage. J’ai également été nommé Obama Leader en 2022 et membre du bureau à l’European Migration Forum la même année. Pourtant, tout reste difficile au quotidien. En tant qu’entrepreneur social réfugié, je suis confronté à des batailles incessantes : comment comprendre ce système complexe, convaincre les administrations, naviguer dans les méthodes de travail, respecter le droit du travail et, surtout, comment financer ce travail associatif qui devrait, en réalité, être pris en charge par l’État ?

D’un point de vue personnel, ma situation reste instable. Bien que le renouvellement de mon titre de séjour ait été accordé, la préfecture ne m’a pas donné de rendez-vous pour le récupérer depuis plus d’un an et demi ! Il a fallu insister. De même, ma demande de naturalisation, introduite il y a deux ans, n’a toujours pas été traitée, selon les informations disponibles. Pourtant, je remplis tous les critères : je travaille, je paie mes impôts, j’ai créé des emplois, j’ai repris mes études, je parle français. Et je suis loin d’être le seul dans cette situation. Quel découragement !

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Carte blanche

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