« Dahomey », retrouver une part de soi

Mati Diop met en scène la restitution d’œuvres d’art de la France au Bénin.

Christophe Kantcheff  • 10 septembre 2024 abonné·es
« Dahomey », retrouver une part de soi
Dahomey se révèle être un film à fleur de peau et solide dans l’évidence de ses revendications.
© Les films du losange

Dahomey / Mati Diop / 1 h 08.

« 9 novembre 2021. 26 trésors royaux du Dahomey s’apprêtent à quitter Paris pour être rapatriés vers leur terre d’origine, devenue le Bénin. » Par ces mots s’ouvre Dahomey, le nouveau film de Mati Diop, après son premier long-métrage de fiction, Atlantique (2019), dont le Grand Prix obtenu à Cannes lui avait assuré un fort retentissement. Revenir avec un documentaire pourrait être la marque d’une modestie. Pas du point de vue artistique, en tout cas, la Berlinale ne s’y étant pas trompée, qui lui a décerné au début de l’année son Ours d’or.

La tâche était ardue car le film aurait pu vite prendre un tour académique, voire institutionnel – la décision de restitution venant d’Emmanuel Macron, la réception étant orchestrée par le président du Bénin, Patrice Talon. Il en va tout autrement. Mati Diop a opté pour une liberté formelle et l’hybridité des genres. Ainsi, elle a fait entrer le documentaire dans le fantastique en faisant parler (en langue fon, très répandue au Bénin) et donc en accordant une conscience à l’une des vingt-six œuvres (on peut penser que les autres en ont une également et que cette œuvre-là est leur porte-parole).

Choix judicieux qui permet de mettre en scène par du vécu l’arrachement initial, c’est-à-dire le vol colonial (« Ma tête est encore assiégée par des bruits de chaînes »), et le transfert du musée du Quai-Branly au palais présidentiel béninois (dans un premier temps).

Réappopriation

S’il fallait démontrer pour la énième fois que la forme est politique, le film de Mati Diop en serait une formidable preuve. Et qui ne s’arrête pas là. Outre que la caméra de la cinéaste s’attarde aussi sur les ouvriers du palais présidentiel qui regardent les œuvres avec une forme de tendresse et d’admiration accueillantes, on suit également les vifs propos que s’échangent étudiants ou jeunes professeurs sur le sujet.

Leurs débats, souvent contradictoires sauf sur le refus d’encenser Macron et Talon, attestent d’une réappropriation d’une part de leur culture, et donc d’eux-mêmes, dont ils avaient été spoliés. Et la cinéaste, en les intégrant dans son film, trace un continuum entre la période d’avant la colonisation et le futur de la société béninoise, dans une logique décoloniale.

Accordant richesse des sensations (il faudrait parler des musiques de Wally Badarou et de Dean Blunt) et profusion des idées, Dahomey se révèle être un film à fleur de peau et solide dans l’évidence de ses revendications (qui n’ont pas besoin d’être assénées pour exister). À un moment donné, l’un des jeunes débatteurs dit : « On a enlevé la vie à ces œuvres, r­edonnons-leur la vie qu’on leur a enlevée. » Ce film s’y emploie à merveille !

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Cinéma
Temps de lecture : 3 minutes