Comment la définition pénale du viol influence le procès des violeurs de Mazan
Alors que de nombreux collectifs féministes plaident pour une intégration de la notion de consentement dans le code pénal, c’est cette notion qui est au cœur du procès des 51 accusés à Avignon.
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Procès de Mazan : de la défense à l’indécence Les 83 violeurs : la banalité du mâleÀ peine prononcée, cette phrase a déjà fait le tour des réseaux sociaux, suscitant effroi, colère ou dégoût. Au procès des violeurs de Mazan (Vaucluse) à Avignon, autour des micros et des caméras, Me Guillaume de Palma, l’avocat de plusieurs des 51 hommes accusés d’avoir violé Gisèle P., lâche : « En France, il ne faut pas avoir recueilli le consentement de la victime pour faire en sorte nécessairement qu’il n’y ait pas de viol. » Autrement dit : une personne qui a été pénétrée sans son consentement n’est pas « nécessairement » violée, selon l’avocat.
Dans ce procès historique, tant sur le nombre d’accusés – 51, dont Dominique, le mari de Gisèle P. (32 personnes sont encore recherchées), que sur les faits commis – des viols s’étalant entre 2011 et 2022, tous organisés et filmés par l’époux qui droguait méthodiquement sa compagne, la notion de consentement est au cœur des débats.
Dans leur défense, plusieurs auteurs accusés ont expliqué qu’il ne pouvait s’agir d’un viol puisque « le mari était là ». Laissant entendre que l’accord de la personne pour un acte sexuel peut être délégué de fait, et qu’un mari peut décider à lui seul si son épouse est consentante ou non. En réponse aux nombreux articles sur le sujet, dont certains venant de la presse internationale, des internautes avançaient aussi qu’en « dix ans, [Gisèle P.] a forcément été consentante à un moment ».
Culture du viol
Ces arguments jettent une lumière crue sur l’absence de réflexion masculine autour du consentement, sur la négation des vécus des femmes victimes et, plus largement, sur la culture du viol qui entoure ce procès et appesantit toute la société. Une culture du viol analysée comme fil rouge du « continuum féminicidaire » théorisée par Christelle Taraud, dans Féminicide : une histoire mondiale (La Découverte, 2022). Terrible sur le fond, la déclaration de Me Guillaume de Palma reste pourtant valide selon le droit français.
Le fait qu’un acte sexuel se produise sans consentement ne suffit pas à caractériser le viol ou l’agression sexuelle.
Me E. Handshuh
Défini par l’article 222-23 du code pénal, le viol représente « tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, ou tout acte bucco-génital commis sur la personne d’autrui ou sur la personne de l’auteur par violence, contrainte, menace ou surprise ». En France, il n’y a de viol que si la personne qui pénètre le fait avec au moins l’un de ces quatre critères. En revanche, si la pénétration se fait sans violence, sans contrainte, menace ou surprise, mais que la personne pénétrée n’était pas consentante, il n’y a pas, aux yeux du code pénal, de viol.
C’est tout l’enjeu du procès Mazan : les avocats des hommes accusés plaident la « non-intentionnalité » : les 51 hommes visés ne se seraient tout simplement pas rendus compte que Gisèle P. n’était pas consentante. « À partir du moment où on arrive à prouver que la personne qui a commis des actes de viol avait conscience de commettre des actes de viol, il y a viol. Sinon, il n’y a pas viol », ajoutait Me Guillaume de Palma dans sa déclaration à la presse.
« Le fait qu’un acte sexuel se produise sans consentement ne suffit pas à caractériser le viol ou l’agression sexuelle », regrette Emmanuelle Handshuh, avocate et membre du collectif #NousToutes. Tout l’enjeu des plaintes pour viol réside donc dans le fait d’apporter, pour la victime, la preuve d’au moins un de ces quatre critères. Une preuve qui prend très souvent des airs d’obstacle infranchissable, puisque « les actes sont très souvent commis sans brutalité », note l’avocate. D’autant que plus de neuf victimes sur dix connaissent leur agresseur, relevait un article du Monde datant de 2018.
Présomption de consentement
En l’absence de preuve, de nombreuses plaintes sont classées sans suite et de nombreux procès sont perdus par les victimes de violences sexuelles. Surtout lorsque des appréciations sexistes dû à des stéréotypes de genre viennent biaiser le regard des magistrats, alors que les quatre termes ne sont pas définis par la loi : « elle avait un décolleté, elle a accueilli l’homme chez elle, elle avait accepté la veille », énumère Emmanuelle Handshuh. En 2020, 0,6 % des viols déclarés par des majeurs ont fait l’objet d’une condamnation, selon le service de statistiques du ministère de la Justice.
Afin de « renverser la présomption de consentement » dans le droit français, de nombreux collectifs, juristes, politiques et universitaires féministes exigent depuis longtemps un changement de définition. Quelques voix s’y sont aussi opposées, comme celle de la philosophe Manon Garcia ou celle de la juriste américaine, Catharine MacKinnon. Dans leurs griefs, elles avancent notamment que la justice aurait tendance à se focaliser sur la victime qui aurait pour seule mission de prouver qu’elle a bien manifesté son non-consentement.
Du reste, ces voix critiques sont peu nombreuses, et plusieurs pays ont déjà intégré la notion de consentement dans leur droit interne, comme la Belgique et l’Espagne – nation très souvent louée pour l’efficacité de sa lutte contre les violences sexuelles. Aussi, les modifications que souhaitent les organisations féminisent visent plutôt à ajouter la notion de consentement comme caractéristique supplémentaire du viol plutôt qu’à la remplacer aux quatre critères déjà existants.
Enfin, ces voix qui défendent une définition plus étoffée souhaitent que la personne accusée puisse prouver qu’elle a bien recueilli un consentement libre et éclairé de son ou sa partenaire. Un accord qui puisse se situer en dehors de « toute dépendance économique, administrative, relation d’autorité ou vulnérabilité constante », explique l’avocate.
Sanctions européennes
Cette demande aurait pu être entendue à l’échelle européenne dès cette année. Lancée en 2022, la Commission a voulu mettre sur la table le chantier une directive qui définissait le viol comme l’absence de consentement. Mais Emmanuel Macron et la diplomatie française se sont systématiquement opposés à cette proposition, à l’instar de la Pologne et de la Hongrie – peu connus pour leur respect des droits des femmes. Résultat : l’article 5 définissant le viol autour de la notion de consentement a été supprimé. Il ne figure pas dans le texte adopté par le Parlement européen en avril dernier (1).
Article mis à jour le 13 septembre 2024.
Des millions de femmes en Europe auraient pu bénéficier d’une justice plus équitable en faveur de leurs droits. La France s’y est opposée.
M. Vogel
« Des millions de femmes en Europe auraient pu bénéficier d’une justice plus équitable en faveur de leurs droits. Mais non, la France s’y est opposée sans aucun mandat parlementaire », dénonce la sénatrice Mélanie Vogel. Alors que la France maintenait sa position en prétextant des arguments juridiques, l’écologiste déposait, le 16 novembre 2023, sa proposition de loi « reconnaissant l’absence de consentement comme élément constitutif de l’agression sexuel et du viol ». Le texte n’a pas pu sortir de la chambre haute.
Trois mois plus tard, c’est au tour du groupe insoumis à l’Assemblée nationale, par la voix de l’élue parisienne, Sarah Legrain, de déposer une proposition de loi relativement similaire. Pressé par les parlementaires et les associations, le chef de l’État change opportunément sa position le 8 mars, Journée internationale des droits des femmes. Interrogé par l’association Choisir la cause des femmes, Emmanuel Macron dit vouloir s’engager à faire entrer le consentement dans la définition du viol dans le droit français. Pourtant, dès les premiers débats en 2023, il s’est personnellement opposé à ce que ce soit le cas à l’échelle européenne. « C’était honteux », réagit Mélanie Vogel devant ce changement soudain de position présidentielle.
Deux mois avant cette déclaration, une mission parlementaire a été lancée, une mission parlementaire a été lancée (2). Elle était pilotée par la députée Renaissance, Véronique Riotton, et sa collègue écologiste, Marie-Charlotte Garin. Alors que des premières auditions étaient lancées, la dissolution vient couper l’herbe sous le pied des députées. Entre temps, le Conseil de l’Europe ne cesse de sanctionner la France pour son non-respect du cadre général de lutte contre les violences sexistes (autrement appelée Convention d’Istanbul), ratifié en juin 2023. Le texte prévoit entre autres que le consentement « doit être donné volontairement comme résultat de la volonté libre de la personne considérée dans le contexte des circonstances environnantes ».
Idem.
Un tel changement dans le droit pénal français engagerait une toute nouvelle manière d’aborder les plaintes pour viol ou agression sexuelle. C’est ce à quoi travaillent plusieurs organisations féministes, dont #NousToutes, en vue d’une nouvelle proposition de loi. Le prochain garde des Sceaux sera-t-il sensible à leurs arguments, alors que le gouvernement risque de pencher à la droite extrême ?
En attendant, le procès des violeurs de Mazan pourrait bien relancer l’urgence de cette question, alors que le programme autour de l’éducation à la sexualité reste dans un silencieux statu quo. Car la notion de consentement, au-delà de l’intérêt juridique qu’elle porte, pourrait être une des réponses les plus fortes face à la culture du viol. En Espagne, l’intégration du consentement dans la définition du viol avait été permise par un mouvement important de contestation dans les rues après une première condamnation de cinq hommes pour « abus sexuels » et non pour « viol ». En France, à l’appel de l’autrice et militante Anna Toumazoff, des rassemblements (voir encadré ci-dessous) sont prévus ce samedi 14 septembre.
Lancés à l’appel de l’autrice et militante Anna Toumazoff, des rassemblements sont organisés à 14 h, samedi 14 septembre, dans de nombreuses villes, en soutien à Gisèle Pélicot et à toutes les victimes de viol. Dans un post sur sa page Instagram, Anna Toumazoff écrit : « 91% des viols surviennent dans l’entourage. Les victimes sont vos amies, vos femmes, vos soeurs, vos mères, vos grand-mères. Les auteurs sont vos amis, vous mais, vos frères, vos pères, vos grand-pères. Ça vous touche, dégoûte, scandalise, révolte ? Ne soyez pas comme ceux qui n’ont rien dit. Choisissez votre camp. Rejoignez-nous ». Les rassemblements prévus :
AJACCIO : 10 h, Palais de Justice
ANNECY : 14 h, place François de Menthon
ANGOULÊME, 11 h Palais de Justice
AUXERRE : 11 h, monument pour l’élimination des violences faites aux femmes, au pied de la Passerelle de la Liberté
AVIGNON : 13 h, porte Limbert
BAYONNE : 11 h, Palais de justice
BASTIA : 18 h, Palais de Justice
BORDEAUX : 14 h, Hôtel de Ville
CAEN : 14 h, place Bouchard
CLERMONT-FERRAND : 15 h, place de Jaude
DIJON : 14 h, place Darcy
GRENOBLE, 14 h mairie
LIÈGE : 14 h, Palais de justice
MARSEILLE : 14 h, Palais de Justice
METZ : 14 h, Parvis des droits de l’homme
MONTPELLIER : 14 h, place de la Comédie
NANTES : 14 h, place Bouffay
NICE : 11 h, place Massena
ORLÉANS : 16 h, place Sainte-Croix
PARIS CENTRE : 14 h, République
PARIS FÊTE DE L’HUMA : 18 h
POITIERS, 15 h place Notre Dame
RENNES : 14 h, République
ROUEN : 15 h, Palais de Justice
SAINT-ÉTIENNE : 11 h, Palais de Justice
TOULOUSE : 14 h, Jean Jaurès
TOURS : 17 h, place Jean Jaurès
VANNES : 16 h, place des Lices
VILLEFRANCHE-SUR-SAÔNE : 14 h, place des Beaux-arts, près du kiosque
VSS : le consentement, un retard français et Procès de Mazan : une justice pour toutes