« Si Paul Watson est extradé au Japon, on ne le reverra pas »
La justice danoise doit à nouveau statuer sur une éventuelle extradition vers le Japon de Paul Watson, défenseur des baleines, le 2 octobre 2024. Lamya Essemlali, présidente de Sea Shepherd France, revient sur toute l’histoire qui a conduit à la criminalisation de l’activiste.
En juillet dernier, Paul Watson et son équipage naviguaient vers le Pacifique Nord afin d’empêcher le navire usine japonais Kangei Maru d’aller chasser la baleine. Inauguré en mai, celui-ci peut capturer des animaux de 70 tonnes, stocker plus de 600 tonnes de viande et a annoncé l’objectif de capturer 200 baleines en 2024. Impensable pour Sea Shepherd, fondée par Paul Watson, qui a lancé une nouvelle campagne coup de poing.
Lors d’une escale à Nuuk, capitale du Groenland, pour se ravitailler en carburant, Paul Watson est arrêté par la police danoise, à cause d’un mandat d’arrêt international émis par le Japon il y a douze ans. Le pirate des mers risque une extradition au Japon et 15 ans de prison. Lamya Essemlali, présidente de Sea Shepherd France et amie de Paul Watson, revient sur les chefs d’accusation et toute l’histoire qui a conduit à cette criminalisation de l’activiste. La justice danoise doit à nouveau statuer sur une éventuelle extradition vers le Japon de Paul Watson, le 2 octobre (1).
Article mis à jour le 4 septembre 2024 : un juge a décidé la prolongation de la détention de Paul Watson de 28 jours, une nouvelle audience est fixée le 2 octobre. Les avocats de Sea Shpeherd vont faire appel.
Le 21 juillet, Paul Watson est arrêté au Groenland par la police danoise et emprisonné, à cause d’un mandat d’arrêt international émis par le Japon. Pouvez-vous expliquer les raisons ?
Lamya Essemlali : Paul Watson a été arrêté sur la base de faits qui se sont déroulés en Antarctique en 2010 et un mandat d’arrêt avait été émis contre lui en 2012. Les chefs d’accusation sont : « conspiration d’abordage », « destruction de propriété privée », « blessures » et « obstruction au business ». Ce mandat repose uniquement sur les aveux de Pete Bethune, un ancien membre de Sea Shepherd, arrêté en 2010, qui lui ont été extorqués après deux mois d’emprisonnement au Japon. Il a raconté que l’abordage en question avait été fait sur instructions de Paul Watson. Or, c’est bien Pete Bethune qui est monté à bord du baleinier Shōnan Maru 2, le 15 février 2010 car un mois auparavant, ce même baleinier avait percuté et coulé l’Ady Gil, son bateau.
Il est monté sur le baleinier pour présenter la facture au capitaine. L’accusation de « destruction de propriété privée » fait référence au filet antiabordage de leur bateau qui a été déchiré. Ce filet a une valeur de 800 euros tandis que le bateau de Pete qui a été coulé par les Japonais vaut deux millions d’euros ! Pour les blessures, l’accusation la plus grave, il s’agit d’un marin japonais qui affirme avoir été brûlé au visage par de l’acide. Ce jour-là, une boule puante a été envoyée sur le baleinier mais celle-ci ne contenait que de l’acide butyrique, donc biologique et inoffensif. Cela provoque juste une odeur intense de vomi qui rend la viande impropre à la consommation.
De plus, ce n’est même pas Paul Watson qui a lancé cette boule puante. Nous avons des images qui prouvent tout cela car notre bateau était équipé de caméras pour la série Justiciers de mers (Whale Wars). Notre avocate avait fait le découpage minutes par minutes avec ces images pour l’audience au tribunal le 15 août mais le juge n’a pas été intéressé. De plus, ces preuves existaient déjà en 2010 lors du procès de Pete Bethune, au Japon mais le procureur a refusé de visionner les images car elles auraient innocenté Pete Bethune, et auraient surtout rendu impossible le mandat d’arrêt contre Paul Watson.
Est-ce qu’il y a une raison précise qui fait que l’arrestation a eu lieu cet été, au Groenland, un territoire sous autorité danoise ?
Paul Watson a vécu en France de 2014 à 2016, et il est revenu il y a un an pour s’y installer définitivement avec sa famille. Il a aussi vécu pendant des années aux États-Unis, sans se cacher. Le Japon n’a jamais essayé de l’arrêter alors que le mandat d’arrêt était toujours en cours. Au printemps dernier, Paul a publiquement annoncé qu’il se rendrait dans le Pacifique nord pour barrer la route au plus gros baleinier jamais construit et inauguré par le Japon en mai dernier. Le Japon a su que Paul s’arrêterait au Groenland pour recharger en carburant. Le Groenland, rattaché au Danemark, a accédé à la requête du Japon sûrement parce que Sea Shepherd a des relations houleuses avec ce pays depuis des années à cause de la chasse des dauphins aux îles Féroé.
Nous sommes un gros caillou dans la chaussure du Danemark et ce n’est pas anodin si Paul a été arrêté là.
Ce territoire, sous protectorat autonome du Danemark, tue des dauphins selon une tradition ancestrale qu’ils appellent le Grindadráp. Pour éviter que le courant indépendantiste ne fasse trop de bruit, le Danemark les aide à faire perdurer leurs traditions, et se charge de se débarrasser des écolos, notamment Sea Shepherd. On en arrive à une situation totalement ubuesque : un pays de l’Union européenne qui a signé toutes les lois de protection des mammifères marins interdisant strictement de tuer des dauphins, mobilise ces frégates militaires pour nous empêcher de sauver les dauphins aux îles Féroé !
On dénonce cela depuis des années, nous sommes donc un gros caillou dans la chaussure du Danemark et je pense que ce n’est pas anodin si Paul a été arrêté là. D’ailleurs, nous avons appris récemment qu’un nouveau mandat d’arrêt a été émis en mars dernier spécifique pour le Danemark, donc le Japon se doutait que ce serait un pays allié. Après, c’est le pays en question qui choisit d’arrêter la personne ou pas, donc c’est un vrai choix politique.
Interpol a servi un motif politique, ce qui est contraire à son règlement.
Vous pointez également la responsabilité d’Interpol dans cette affaire…
Interpol a également une grande part de responsabilité dans la situation actuelle car a accepté d’inscrire Paul Watson sur sa notice rouge, en se basant sur ce mandat d’arrêt fallacieux, et sans visionner les images. Interpol a donc servi un motif politique, ce qui est contraire à son règlement. La notice rouge a pour mission d’aider les polices internationales à traquer des criminels de guerre, des tueurs en série etc. mais n’est pas destinée à être utilisée par certains gouvernements pour traquer leurs opposants politiques ou des activistes écologistes.
Or, c’est de plus en plus fréquent : nous avons trouvé un rapport du Parlement européen datant de 2017 sur les dérives de la notice rouge d’Interpol qui montre l’absence de travail d’enquête pour juger de la validité des mandats d’arrêt, donc de plus en plus de notices rouges sont mises en place sur des motifs politiques. D’ailleurs, le cas de Paul Watson est mentionné dans ce rapport comme un exemple de dérive. Depuis 2012, Paul Watson ne peut plus voyager librement. Il a vécu en exil en mer pendant quinze mois, et n’a pu voyager qu’entre la France et les États-Unis, toujours avec cette épée de Damoclès de l’arrestation au-dessus de la tête.
Pourquoi le Japon s’acharne-t-il sur Paul Watson depuis tant d’années ?
Paul Watson est la bête noire de la flotte japonaise car depuis 2005 il intervient dans le sanctuaire baleinier antarctique où ce pays a tué illégalement, et en toute impunité, des dizaines de milliers de baleines. Il a été condamné par le tribunal international de La Haye en 2014 pour chasse illégale dans ce sanctuaire, et a violé le moratoire international sur le commerce de viande de baleine. Il a également été condamné par la cour fédérale australienne en 2015 pour braconnage de baleines dans le territoire australien antarctique à payer un million de dollars d’amende – qu’il n’a jamais payé.
Le Japon se comporte comme un État écoterroriste. Il est dans une quête de vengeance.
Le Japon se comporte comme un État écoterroriste. Mais il transpose cette accusation sur Paul Watson qui finalement ne fait que respecter l’intégrité d’un sanctuaire international et le moratoire international sur la chasse commercial. Si dans cette histoire il y a de l’illégalité, c’est du côté japonais. Le Japon est dans une quête de vengeance, pas de justice. On se retrouve face à État qui s’est senti humilié par Sea Shepherd, notamment par cette série télé qui s’est retrouvée diffusée dans des milliers de foyers et qui a clairement montré les harponnages de baleine en plein sanctuaire. Au niveau international, cette affaire met en lumière le manque de volonté politique de faire respecter les lois de protection de l’environnement.
J’aimerais voir tous les chefs d’État des pays qui ont ratifié ces textes internationaux exiger la libération de Paul Watson puisque finalement il a fait leur boulot ! Pour le moment, il n’y a que la France qui s’est exprimée publiquement pour sa libération. Mais nous sommes face à des intérêts économiques importants et quand vous êtes une grande puissance comme le Japon, troisième puissance économique mondiale, vous êtes protégés. Ce sentiment d’impunité qu’a le Japon lui permet de traquer comme un criminel la personne qui a sauvé des baleines et simplement voulu faire respecter les lois.
Que demandez-vous concrètement ?
Nous ne demandons pas la clémence ou un traitement de faveur, mais que justice soit rendue ! Aujourd’hui, nous sommes face à un dossier fabriqué de toutes pièces, une traque politique. Nous disons au Danemark, qu’en tant que pays avec un système judiciaire et carcéral assez avant-gardiste, il ne peut pas décemment extrader Paul Watson au Japon sur des motifs politiques, et vers un pays qui a un système carcéral resté à l’âge de pierre ! Au Japon, vous pouvez vous retrouver en prison, mis en détention à l’isolement pendant 23 jours consécutifs, renouvelables, dans l’obscurité totale ou en pleine lumière 24/24, sans avoir le droit de voir un avocat, sous interrogatoire constant, jusqu’à ce que vous fassiez des aveux.
Puis le procès se tiendra sur la base de ses aveux obtenus dans de telles conditions. C’est ce qu’a vécu Pete Bethune en 2010 : au bout de deux mois de traitements extrêmement difficile, il a conclu un accord secret avec le procureur japonais qui n’était intéressé que par Paul Watson. Pete révèle cela dans le documentaire Watson… Si Paul Watson est extradé au Japon, on sait qu’on ne le reverra pas, qu’il mourra là-bas. Ils vont tout faire pour l’humilier, lui soutirer des excuses – Paul ne s’excusera jamais d’avoir sauvé des baleines. Il a 74 ans, donc l’extrader au Japon c’est l’envoyer à la mort.
La mobilisation citoyenne pour soutenir Paul Watson est très forte depuis le mois de juillet, notamment en France. Avez-vous l’impression que Paul Watson et Sea Shepherd sont devenus des symboles ?
Si le Danemark décide de l’extrader, je pense que ça marquera un tournant pour la société civile, ça pourrait déclencher une vague de colère, un sentiment d’injustice très intense… Paul Watson cristallise quelque chose de bien plus grand que sa personne. Il bénéficie d’une certaine notoriété, on le voit avec toute la mobilisation de la société civile pour le soutenir donc on peut se dire que les autorités hésitent quand même à l’extrader.
Imaginez ce qui peut se passer pour les autres militants écologistes qui se retrouvent dans une telle situation !
Mais imaginez ce qui peut se passer pour les autres militants écologistes qui se retrouvent dans une telle situation ! Ils n’ont aucune chance ! Si avec toute cette mobilisation, ces soutiens, on n’arrive pas à obtenir justice, cela signifie qu’on est rentré dans une ère où, de manière totalement officielle et décomplexée, les grandes puissances peuvent passer au rouleau compresseur, les lois, les activistes, les opposants politiques et les animaux. Je pense qu’il y aura une contre-offensive, une réaction d’ampleur au niveau de l’opinion publique qui est aujourd’hui imprévisible.