Économie : les 3 grandes arnaques macronistes

Pour le camp présidentiel, il n’y aurait pas d’alternative à sa politique de l’offre, qui serait un succès incontestable. Démontage en règle d’un enfumage.

Pierre Jequier-Zalc  • 20 septembre 2024 abonné·es
Économie : les 3 grandes arnaques macronistes
Manifestation contre la réforme des retraites à Paris, le 7 mars 2023.
© Lily Chavance

Ils s’en gargarisent à longueur de journée. Les macronistes mèneraient, depuis sept ans, une politique économique aux résultats flamboyants. Une affirmation que même le déficit public record et la hausse de la pauvreté ne viennent fissurer. Pourtant, derrière les postures, le bilan est loin d’être exceptionnel. Tour d’horizon des arnaques du camp présidentiel.

Une attractivité économique en trompe-l’œil

« La France est le pays le plus attractif d’Europe pour les investissements étrangers pour la 5e année consécutive ! Quelle fierté ! » Sur X (ex Twitter), Bruno Le Maire, désormais ex-ministre de l’Économie, se félicite de la publication, par le cabinet de conseil EY, du nouveau baromètre sur l’attractivité de la France. On est début mai 2024.

Pour avancer cela, l’ancien locataire de Bercy s’appuie sur une donnée majeure qui, depuis des années, est un des éléments de langage principaux des macronistes pour vanter leur bilan : le nombre de projets d’investissements étrangers. La France en possède donc, au niveau européen, le plus. En 2023, c’étaient 1 194 projets contre 733 en Allemagne, par exemple.

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Cocorico ! Sauf qu’une fois qu’on a dit ça cela, on n’a pas dit grand-chose. « Si l’on réfléchit un tant soit peu, ce chiffre n’a guère d’utilité », tacle, dans une tribune très argumentée dans Le Monde, Lucas Chancel, économiste, professeur associé à Sciences Po et à la Harvard Kennedy School, codirecteur du World Inequality Lab à l’Ecole d’économie de Paris.

En effet, pour l’économiste, il faut regarder l’impact concret de ces projets sur l’économie française. Et là, le bilan est tout de suite moins éclatant. Toujours selon le même baromètre, en 2023, ces 1 194 projets ont généré 39 773 créations d’emplois. Un nombre qui représente… 0,13 % de la population active. « Force est de constater que le chiffre demeure bien faible par rapport à l’importance que certains voudraient lui prêter », poursuit Lucas Chancel.

La présentation faite de ces chiffres apparaît surtout comme un moyen de légitimer une certaine politique économique.

L. Chancel

Surtout, quand on compare ces créations d’emplois à l’échelle européenne, la France est loin d’être en haut de celle-ci. « Le nombre d’emplois créés devrait au minimum être rapporté à la taille du pays pour que la comparaison ait du sens. Une fois cet ajustement fait, la France arrive en huitième position derrière le Portugal, la Serbie, l’Irlande, la Hongrie, l’Espagne, le Royaume-Uni et la Grèce », souligne l’économiste.

La « formidable » attractivité économique de la France est donc largement discutable. Pourtant, en le rabâchant à longueur de journée, les macronistes en font un de leur argument phare pour justifier la poursuite de leur politique économique. « Oui, l’économie française est solide. Oui, elle est attractive. Non, ce n’est pas un hasard ! La stabilité de notre politique de l’offre est saluée unanimement par les investisseurs : nous n’en dévierons pas », écrit, par exemple, Bruno Le Maire sur X.

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Lucas Chancel conclut : « La présentation faite de ces chiffres apparaît surtout comme un moyen de légitimer une certaine politique économique […]. On connaît pourtant la situation actuelle : nos services publics sont à la peine, alors que le déficit de l’État dérape, notamment du fait du manque de volonté du gouvernement de prélever davantage les plus aisés. […] Mais mieux répartir n’est toujours pas au programme puisqu’il faut maintenir l’« attractivité » hexagonale. »

Le plein-emploi, une autosatisfaction contestable

« Pour la première fois depuis un demi-siècle, le plein-emploi est à portée de main en France. » Lors de son discours de départ de Bercy, Bruno Le Maire n’en démord pas. Nous serions à deux doigts d’atteindre le plein-emploi, c’est-à-dire de faire passer le taux de chômage sous la barre des 5 %. Pour Emmanuel Macron et ses troupes, cet objectif est devenu une véritable obsession depuis la réélection du chef de l’État en 2022. Une boussole guidant toutes les politiques publiques et économiques. 

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Pourtant, atteindre cet objectif d’ici à 2027 paraît aujourd’hui bien improbable. Depuis début 2023, le taux de chômage ne recule plus et stagne entre 7,2 et 7,5 %. « Réveillez-vous ! », « nous n’y sommes pas », avait tancé le chef de l’État à ses troupes fin 2023, ulcéré par ces chiffres et par les prévisions de l’Insee, qui n’annonce aucune baisse notable du taux de chômage pour les mois à venir.

Malgré cela, les macronistes continuent de survendre leur bilan en termes d’emploi. « Je me battrai pour qu’il n’y ait pas de rupture sur une politique favorable à l’attractivité économique, à l’emploi », explique, par exemple, l’ancien premier ministre Gabriel Attal dans Le Point cette semaine. L’argumentaire se fonde sur deux faits, incontestables : la baisse de deux points du taux de chômage depuis 2017 et la création de deux millions d’emplois.

La France est au-dessus de la moyenne européenne sur quatre grands critères de pénibilité.

En revanche, ce qui est contestable, c’est l’interprétation de ces chiffres. Ainsi, plusieurs données permettent de nuancer ce « succès ». Tout d’abord, une comparaison européenne permet de se rendre compte que la France est loin d’être parmi les meilleurs élèves de la baisse du taux de chômage. « Entre le troisième trimestre 2017 et le dernier trimestre 2023, le chômage n’a reculé ‘que’ de 1,9 point de pourcentage en France. C’est moins bien que la moyenne de l’Union européenne (- 2,1 points), la moyenne de la zone euro (- 2,5), le Portugal (- 2,5), l’Italie (- 3,9) ou encore l’Espagne (- 5) », remarque ainsi Alternatives économiques.

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Ensuite, une autre question se pose sur la création d’emplois. Des boulots, oui, mais lesquels ? Et, de nouveau, le chiffre de 2 millions peine à masquer une réalité moins rose que le bilan satisfait de Bruno Le Maire. Ainsi, par exemple, un tiers des emplois salariés créés en 2021 et 2022 ont été des postes en alternance. « Ce qu’on observe aujourd’hui, c’est qu’on est dans une politique d’apprentissage à tout prix où on n’interroge ni la qualité des emplois créés ni l’impact que ce système a sur la formation académique des jeunes, au lycée professionnel comme dans l’enseignement supérieur », soulignait l’économiste Christine Erhel, directrice du Centre d’études de l’emploi et du travail (CEET) dans nos colonnes en début d’année.

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En 2024, les contrats d’apprentissage ont ainsi dépassé le million, avec un coût faramineux pour les finances publiques (20 milliards d’euros par an) et des aides mal ciblées qui bénéficient aussi beaucoup aux apprentis en Bac +3 et plus. « Il s’agit davantage d’aides aux entreprises que d’aides à l’insertion professionnelle des jeunes », constatait, en juillet 2023, la Cour des comptes.

Enfin, les Français ont des conditions de travail plus dégradées que la moyenne de l’Union européenne. La France est au-dessus de la moyenne européenne sur quatre grands critères de pénibilité : les postures douloureuses, le port de charges lourdes, les mouvements répétitifs de la main ou du bras et l’exposition à des produits toxiques. Pourtant, malgré ces chiffres inquiétants, les gouvernements successifs d’Emmanuel Macron sont restés les bras croisés face à cette réalité. Au contraire, en réformant à tour de bras l’assurance-chômage et en allongeant l’âge légal de départ à la retraite, ils ont contribué à rendre le travail plus pénible et plus précaire.

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Comptes publics : le mur du réel

C’est peut-être le discours le plus d’actualité chez les macronistes. Ils seraient les seuls capables de bien gérer les comptes de la nation. Une affirmation qui fait sourire de trimestre en trimestre, quand les utopiques projections de croissance de Bercy se heurtent à la dure réalité d’une croissance en berne… et aux comptes publics, toujours plus dans le rouge. En effet, le déficit public atteint des niveaux record et les projections actuelles prévoient une nouvelle hausse pour l’année à venir. Au point que Michel Barnier, le nouveau premier ministre, a qualifié cette semaine la situation budgétaire de « très grave ».

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Malgré cet état de fait, Bruno Le Maire a défendu bec et ongles son bilan lors de son départ de Bercy, assurant qu’il ne faudrait surtout pas « retourner en arrière ». Pourtant, si les comptes publics se portent si mal, l’ex-ministre de l’Économie y est pour beaucoup. En cela, plusieurs raisons.

Tout d’abord, par la gestion des crises à répétition, que ce soit celle du covid-19 puis celle de l’énergie suite à l’invasion russe en Ukraine. Pour répondre à ces crises, l’État a massivement dépensé pour aider les Français. Des aides bien souvent primordiales pour les ménages, face à l’arrêt de l’économie puis à la flambée des prix de l’énergie.

Seules 11 % des ‘aides budgétaire totale à la réduction des prix et au soutien aux revenus’ étaient ciblées.

Cependant, celles-ci n’ont été que très peu ciblées, bénéficiant donc aussi à certains qui n’en avaient pas forcément le besoin. Comme le rapporte Alternatives économiques, seules 11 % des « aides budgétaire totale à la réduction des prix et au soutien aux revenus » étaient ciblées. Une part faible, inférieure à nos voisins européens. En Belgique ou aux Pays-Bas, par exemple, la part d’aides ciblées était plus de deux fois plus importante.

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Surtout, les aides publiques pour répondre à ces crises n’expliquent pas une bonne partie de l’état actuel des comptes publics. En effet, ceux-ci sont notamment plombés par une « crise des recettes ». En supprimant ou en réduisant à tour de bras les impôts, notamment sur le capital, les politiques macronistes ont retiré de précieuses recettes au budget de l’État. Plus de 60 milliards d’euros en 2023 a estimé la Cour des comptes.

Le dernier baromètre du Secours populaire fait état de 62 % des Français touchés ou menacés par la pauvreté. Un chiffre record depuis 2007.

Pourtant, cette politique de l’offre, avec d’incessantes réductions d’impôt pour les entreprises et les plus aisés, n’a pas porté ses fruits. La croissance reste en berne et le retour sur investissement n’est donc pas à la hauteur des attentes du camp présidentiel. Pour parler plus crûment, le ruissellement n’a pas eu lieu. Malgré cela, à l’image des récentes déclaration de l’ancien ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, les troupes macronistes font des impôts un totem politique. Il ne faudrait, surtout pas, les augmenter, y compris pour les plus riches qui voient leur fortune exploser depuis l’arrivée d’Emmanuel Macron à l’Élysée.

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Cette « ligne rouge », que plus personne – ni la Banque de France, ni la Cour des comptes, ni même une partie de la droite – ne soutient, n’offre donc qu’une seule solution pour faire baisser le déficit public : s’attaquer, encore une fois, aux dépenses. Une option aux conséquences potentiellement dramatiques alors que les aides au logement (APL) ont déjà été diminués, que l’assurance-chômage a été tailladée et que l’âge légal de départ à la retraite a été augmenté. On n’ose imaginer quelle pourrait être la suite, alors que le dernier baromètre du Secours populaire fait état de 62 % des Français touchés ou menacés par la pauvreté. Un chiffre record depuis 2007.

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