Face à Macron, les fragilités du Nouveau Front populaire

Les divergences d’orientations politiques, notamment au Parti socialiste, fragilisent l’union des gauches. Emmanuel Macron et les siens ont bien identifié la brèche.

Lucas Sarafian  • 4 septembre 2024 abonné·es
Face à Macron, les fragilités du Nouveau Front populaire
Les élus et les représentants du NFP sont sur scène à la fin d’un meeting, organisé lors des universités d’été du PS, à Blois, le 30 août 2024.
© Frederic Petry / Hans Lucas / AFP

Et si c’était le début de la fin ? L’union des gauches, sous le nom de Nouveau Front populaire (NFP), constituée pour contrer l’extrême droite dans l’urgence des législatives anticipées de juin dernier, et proposer un contrat de gouvernement, pourrait-elle subitement s’effondrer ? L’hypothèse est sérieuse tant les détracteurs du NFP, de gauche comme de droite, s’emploient à fracturer l’union des gauches.

Faut-il s’empêcher de censurer un gouvernement qui défend quelques mesures de gauche, même les moins radicales ? Faut-il accepter le jeu parlementaire fait de compromis et de concessions ou se placer en opposition frontale à un quelconque exécutif de coalition ? Doit-on s’entêter à mener campagne derrière Lucie Castets alors qu’Emmanuel Macron a exclu de la nommer dès ses premières consultations ?

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C’est au Parti socialiste (PS) que ces interrogations s’exposent le plus au grand jour. Selon les opposants du Premier secrétaire, Olivier Faure, le PS doit se saisir de cette opportunité pour accéder au pouvoir et tenter de pousser à gauche la politique macroniste. Pour la direction de l’appareil, partisan d’un alignement stricte avec le NFP, il est hors de question d’adopter la stratégie qui condamnerait les socialistes à devenir une béquille du macronisme. La gauche a une candidate : Lucie Castets. D’après eux, l’énarque pourrait accéder à Matignon si un gouvernement est rapidement mis en échec par l’Assemblée nationale.

« Sortir des postures » pour créer une majorité

Pour les détracteurs de Faure, les critiques pleuvent. « Nous sommes dans un moment de clarification nécessaire du PS qui doit rester un parti de gouvernement. Il ne doit pas suivre la stratégie du bruit et de la fureur, de l’insurrection dans la rue », charge la maire de Vaulx-en-Velin (Rhône) et proche de François Hollande, Hélène Geoffroy. « Nous ne serons jamais la caution d’Emmanuel Macron mais nous savons faire la différence entre l’intérêt du Président et l’intérêt général », considère l’édile de Rouen, Nicolas Mayer-Rossignol. « Le mandat qui a été donné aux députés républicains, c’est le respect du front républicain. Nous devons sortir des postures pour créer des majorités de non-censure », estime la présidente socialiste de la région Occitanie, Carole Delga.

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« Est-ce que nous sommes en capacité de mettre en œuvre tout notre programme ? Ce n’est pas possible. Donc c’est soit la discorde, c’est-à-dire le chaos, soit la concorde, c’est-à-dire la responsabilité. Au PS, nous devons être responsables, juge le maire de Saint-Ouen (Seine-Saint-Denis), Karim Bouamrane. Il faut qu’on arrête avec la politique de la petite semaine.» Pêle-mêle, ces opposants souhaitent que la gauche rouvre les discussions avec le chef de l’Etat en vue de la constitution d’un gouvernement et refusent que les quatre groupes du NFP dans l’hémicycle s’opposent à un exécutif qui défendrait quelques lois de gauche, comme une aide pour l’achat des fournitures scolaire, un plan pour les victimes de violences conjugales, des mesures consacrées au handicap ou sur le logement.

Cette aile droite du parti est soutenue par tout ce qu’il reste d’éléphants socialistes : l’ancien Premier secrétaire Jean-Christophe Cambadélis, l’ex-ministre hollandais Stéphane Le Foll, le patron du groupe PS au Sénat, Patrick Kanner, l’ancien maire d’Argenteuil (Val-d’Oise) Philippe Doucet, l’ex-député des Bouches-du Rhône Patrick Mennucci, l’ancien sénateur David Assouline et l’eurodéputé Jean-Marc Germain. En bref, une moitié du PS. Assez pour fragiliser sérieusement le Nouveau Front populaire.

Emmanuel Macron cherche des soutiens au PS

Emmanuel Macron et les siens ont bien identifié la brèche. Ils pourraient donc donner des gages à cette frange de la gauche pour obtenir quelques soutiens à un gouvernement de coalition. Le «pacte d’action » concocté par le président du groupe Ensemble pour la République (EPR, ex-Renaissance), Gabriel Attal, et les deux vice-présidents du groupe, Stéphanie Rist et Marc Ferracci, comprend notamment la mise en place d’une commission transpartisane sur l’avenir de nos institutions, l’organisation d’une conférence sociale sur les salaires et le partage de la valeur, la mise en place d’un nouvel index mesurant l’égalité femmes-hommes dans le milieu professionnel ou la création d’un congé de naissance.

Selon un dirigeant d’EPR, un exécutif technique ou rassemblant quelques figures de gauche et de droite pourrait défendre quatre ou cinq textes prioritaires sur l’autorité, l’écologie, une réforme fiscale et une modification du mode de scrutin intégrant la proportionnelle. Cette dernière idée devrait ainsi être soutenue par Raphaël Glucksmann. L’eurodeputé et ex-tête de la liste d’alliance entre le PS et Place publique, sa propre petite formation, a défendu cette proposition lors de l’université d’été des socialistes à Blois (Loir-et-Cher) du 29 au 31 août.

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L’initiative permettrait ainsi de déstabiliser le NFP en replaçant au cœur du jeu celui qui rêve de ravir le leadership de l’insoumis Jean-Luc Mélenchon en vue de la prochaine présidentielle de 2027. Dans le même temps, celui qui compte se propulser sur la scène nationale en organisant sa rentrée en octobre rejoint ainsi les critiques émises dans les rangs d’Hélène Geoffroy et de Nicolas Mayer-Rossignol. « Aujourd’hui, Jupiter, c’est fini. Ce sont les forces politiques à l’Assemblée qui doivent faire émerger des majorités et un projet. Ce sont les forces au Parlement qui doivent désormais déterminer la stabilité du gouvernement. La question, ce n’est pas le casting, c’est ce qu’on peut faire. Les forces politiques peuvent-elles être capables de se mettre d’accord sur un agenda minimaliste ? C’est ça l’urgence », affirme Glucksmann.

Si Macron compose un gouvernement qui veut mettre en œuvre quelques mesures présentes dans le programme du NFP, il n’est pas possible de le censurer.

R. Eskenazi

« Ce n’est pas une question de casting mais d’orientation politique. Gabriel Attal ou Élisabeth Borne venaient aussi de la gauche, ce n’est pas pour ça qu’ils ont mené une politique de gauche. Certains au Nouveau Front populaire évoquent une censure presque automatique à un quelconque gouvernement si Lucie Castets n’était pas nommée. Lucie Castets n’est pas nommée et elle ne le sera pas. Si Emmanuel Macron compose un gouvernement qui veut mettre en œuvre quelques mesures présentes dans le programme du NFP, il n’est pas possible de le censurer », développe Romain Eskenazi, député socialiste du Val-d’Oise. En clair, la ligne officielle du NFP est clairement remise en question.

Olivier Faure pris en étau

« Emmanuel Macron a échoué trois fois. La gauche a réussi à se rassembler face à l’extrême droite. Et les manoeuvres macronistes pour fissurer le NFP ont échoué. Alors ne les aidons pas à réussir leur manœuvre, il faut aider l’unité », espère Alexis Corbière, député de Seine-Saint-Denis qui siège au sein du groupe écolo après avoir été « purgé » de La France insoumise (LFI). Mais la mission semble presque impossible. Car l’appareil d’Olivier Faure pourrait bien finir par lui échapper. Au sein de la formation socialiste, on envisage désormais sérieusement le possible échec du Premier secrétaire à être réélu lors du prochain congrès du parti en début d’année 2025.

Si vous voulez gouverner sans le Nouveau Front populaire avec la droite, vous serez la droite.

O. Faure

Pris en étau, Olivier Faure tente, tant bien que mal, de déconstruire l’initiative macroniste devant les siens à Blois. « 166, c’est la coalition présidentielle. 193, c’est le Nouveau Front populaire. Faites le calcul : il suffirait que 14 députés socialistes acceptent demain de rejoindre la coalition Ensemble pour que la majorité relative passe de gauche à droite. Et c’est la raison pour laquelle Emmanuel Macron est prêt à vous lâcher tous les noms, il est prêt à vous dire que vous pourrez tout avoir, analyse Faure. Si vous voulez gouverner sans le Nouveau Front populaire avec la droite, vous serez la droite. Et on n’a jamais vu une équipe de droite faire une politique de gauche. »

Autre sujet qui fâche : le soutien du NFP accordé à Lucie Castets. L’énarque n’a pas été nommée et elle n’a que très peu de chances de l’être dans les semaines à venir si un gouvernement n’est pas rapidement mis en échec par l’Assemblée. Certains jugent donc que l’effort consacré à maintenir la légitimité de Castets est une perte d’énergie. « C’est vivre dans une réalité parallèle », dénonce le socialiste Philippe Doucet. « Elle restera notre candidate durant toute la législature », confirme un dirigeant insoumis.

Torpiller l’unité

Après deux tentatives, Emmanuel Macron pourrait bien réussir à torpiller l’unité des gauches. Les approches répétées de certains émissaires macronistes auprès de quelques socialistes et l’oubli volontaire de La France insoumise dans un communiqué le 28 août, après le premier round de consultations, ont échoué. Néanmoins, la formation d’un exécutif qui emprunterait quelques mesures inspirées du programme du NFP mettrait en péril l’union des gauches. Le camp présidentiel l’a très bien compris.

« Si on veut éviter une majorité de censure, le chef de l’État doit nommer un premier ministre et un gouvernement qui puissent prendre de l’espace au sein de la droite républicaine mais aussi au sein de la partie modérée du Nouveau Front populaire », raisonne Bertrand Mas-Fraissinet, membre de l’exécutif d’EPR, au moment des consultations d’Emmanuel Macron.

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« Si un gouvernement veut geler les retraites, souhaite une augmentation même minimale du Smic et introduit un impôt sur la fortune sur les patrimoines très élevés ou avec une petite composante climatique, le Parti socialiste aurait du mal à censurer ce gouvernement. Alors que La France insoumise ne pourrait jamais accepter de soutenir un gouvernement », imagine Stefano Palombarini, maître de conférences à l’Université Paris 8 Vincennes-Saint-Denis qui a publié, avec Bruno Amable, Où va le bloc bourgeois ? (La Dispute, 2022).

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Et dans ce cas de figure, que feraient les Écologistes ou le Parti communiste ? Les verts adoptent, depuis plusieurs semaines, une ligne très unitaire. À l’université d’été des socialistes, Marine Tondelier, la secrétaire nationale des écolos, avance que « pour que la gauche continue d’avoir son influence, il faut qu’elle reste unie. Ce que je dis pour le Nouveau Front populaire, je le dis aussi pour le Parti socialiste ».

Dans un communiqué publié le 2 septembre, le groupe vert au Palais-Bourbon réaffirme son opposition à « l’obsession d’Emmanuel Macron d’assurer la continuité d’une politique rejetée par les Français » et déclare soutenir la nomination de Lucie Castets. Du côté du Parti communiste, très proche des positions insoumises à l’Assemblée, les députés pourraient également s’aligner sur la ligne mélenchoniste. Mais amputé de l’une de ses composantes, le Nouveau Front populaire ne serait plus vraiment ce qu’il était. Et la gauche se condamnerait automatiquement au statut d’opposition. Une sentence brutale.

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