Gaza : deux livres importants
Où notre chroniqueur de bonne humeur s’arrête sur deux ouvrages – Une étrange défaite de Didier Fassin et Gaza face à l’histoire d’Enzo Traverso – qui traitent du génocide à Gaza sans rien céder à la doxa de l’époque.
dans l’hebdo N° 1827 Acheter ce numéro
Deux livres très importants paraissent ces jours-ci : l’un chez La Découverte, écrit par l’anthropologue Didier Fassin (1), l’autre chez Lux, de l’historien Enzo Traverso (2).
Une étrange défaite. Sur le consentement à l’écrasement de Gaza, Didier Fassin, La Découverte, 198 pages, 17 euros.
Gaza devant l’histoire, Enzo Traverso, Lux, 136 pages, 14 euros. Précisons que La Découverte et Lux sont par ailleurs mes éditeurs, et me versent – très gentiment – plusieurs centaines de milliers de dollars sur un compte numéroté à Neuilly (Hauts-de-Seine) à chaque fois que je les cite ici, de sorte qu’après cette chronique, je devrais (enfin) pouvoir m’établir aux Seychelles, non loin d’une chaise longue.
Ces deux ouvrages ont ceci de commun que leurs auteurs traitent du génocide en cours à Gaza sans rien concéder – c’est le moins qui se puisse dire – à la doxa de l’époque et qu’ils vont, par conséquent, et selon toute probabilité, être salement vilipendés par le commentariat dominant.
De fait, ça a déjà commencé : parce que le titre de son livre – Une étrange défaite – fait évidemment référence à celui, fameux, que Marc Bloch avait consacré à la débâcle de 1940, Didier Fassin est d’ores et déjà accusé, sur les réseaux sociaux, de « nazifier Israël ». Cette assertion quelque peu outrageante est fausse – et d’autant plus extravagante que, dans la réalité, ce sont les dirigeants israéliens et leurs supporteurs et supportrices qui nazifient régulièrement les Palestinien·nes et leurs soutiens.
Mais elle a ceci d’intéressant qu’elle valide complètement la dénonciation par l’anthropologue du « paradoxe démocratique selon lequel critiquer un gouvernement » israélien « composé de ministres d’extrême droite, promoteur d’un suprémacisme religieux, auteur de lois discriminatoires, rejetant le droit international et commettant des massacres de populations civiles, expose à se trouver soi-même accusé d’iniquité ».
Enzo Traverso, dont le livre paraîtra le 4 octobre, rappelle quant à lui, dès ses premières pages, que « la guerre à Gaza n’est pas la Seconde Guerre mondiale, cela est bien évident ». Pour autant, ajoute-t-il, « les analogies historiques – qui ne sont jamais des homologies – peuvent nous orienter, même si elles mettent en scène des acteurs très différents et des événements qui n’ont pas la même échelle » : l’historien rappelle par exemple qu’il fut question, dans les années 1990, de « ’nazisme tropical’ lors du génocide des Tutsis au Rwanda et que le mot ‘génocide’ refit son apparition en Europe pendant la guerre en ex-Yougoslavie ».
Puis, dans les dernières pages de son très remarquable ouvrage, il répète que « Netanyahou n’est pas Hitler et son gouvernement n’est pas un régime nazi, c’est évident ». Avant d’ajouter cette mise en garde, à l’attention de celles et ceux qui usent effectivement – et très inconsidérément – de certaines analogies pour justifier l’horrible sort fait aux Palestinien·nes : « Après des décennies de comparaison obsessionnelle de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) – et maintenant du Hamas – avec les nazis, cette juxtaposition risque de se retourner contre Israël. »
Sébastien Fontenelle est un garçon plein d’entrain, adepte de la nuance et du compromis. Enfin ça, c’est les jours pairs.
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