Gouvernement Barnier : comment le RN joue avec les nerfs d’Emmanuel Macron 

En mettant son veto à la nomination de certains ministres, Marine Le Pen influe sur la composition du gouvernement Barnier auquel elle accorde une durée de vie limitée. Le temps de remettre en ordre de marche électorale son parti d’extrême droite.

Nils Wilcke  • 21 septembre 2024 abonné·es
Gouvernement Barnier : comment le RN joue avec les nerfs d’Emmanuel Macron 
« Nous sommes l’alternance », a répété Marine Le Pen à ses troupes, lors du séminaire parlementaire de rentrée du RN, le 15 septembre, convaincue de tenir à sa merci le gouvernement de Michel Barnier.
© Ludovic Marin / AFP

À quoi joue Marine Le Pen ? Lors de sa rentrée politique le 9 septembre, la cheffe du Rassemblement national faisait savoir qu’elle ne censurerait pas Michel Barnier dans l’immédiat. « Nous allons mettre le futur gouvernement sous surveillance », affirmait l’élue. Avec cette mise en garde, peut-être pas suffisamment prise en compte par les macronistes : « Nous n’accorderons pas de blanc-seing. Si, au fil des semaines, les Français devaient à nouveau être oubliés ou maltraités, nous n’hésiterons pas à censurer le gouvernement. »

L’Élysée scrute chaque prise de parole du RN sur les nominations potentielles.

Officiellement, le RN ne fait pas peur à Emmanuel Macron, qui s’est assuré que le parti d’extrême droite ne censurerait pas d’office un gouvernement Barnier, lors d’un entretien Marine Le Pen, selon Le Monde. Une stratégie risquée, loin de faire l’unanimité en Macronie. « On donne bien trop d’importance au RN », s’agace le député EPR (Ensemble pour la république, ex-Renaissance) Ludovic Mendes auprès de Politis, pour qui le deal du chef de l’État est une « erreur stratégique ». « Madame Le Pen ne cherche qu’une seule chose, destituer le président pour prendre le pouvoir, comme LFI », ajoute l’élu de Moselle.

« Le RN ne fait pas partie de l’équation », affirme un peu vite en off le conseiller d’un éminent ministre démissionnaire, qui tente de minimiser l’action du parti d’extrême droite. En réalité, l’Élysée scrute chaque prise de parole du RN sur les nominations potentielles, selon nos informations. Dernière victime en date du veto RN, Gérald Darmanin, qui a annoncé lui-même ce vendredi qu’il ne redeviendrait pas ministre sous le gouvernement Barnier.

« Emmanuel Macron n’était pas contre garder Gérald mais Alexis Kohler (le secrétaire général de l’Elysée, N.D.L.R.) et Barnier ont mis leur veto », témoigne un visiteur du soir du Château. Selon un soutien du nouveau premier ministre, l’ancien « M. Brexit » n’a pas manqué de relever les propos tenus par Jordan Bardella, lundi, sur RTL, menaçant de faire tomber son gouvernement s’il lui venait l’envie de « recycler M. Darmanin, M. Dupond-Moretti et les pontes de la Macronie jusqu’à Xavier Bertrand ».

Sur le même sujet : En nommant Michel Barnier, Emmanuel Macron fait le choix du RN

Valse de déclarations contradictoires

Jeudi, Marine Le Pen en remet une couche : « À partir du moment où l’on pose comme critère que le premier ministre traite l’ensemble des forces politiques de manière courtoise et républicaine, ce n’est pas pour avoir quelqu’un comme Monsieur Dupond-Moretti », au gouvernement fait-elle savoir dans Le Parisien. Message reçu cinq sur cinq à l’Élysée et à Matignon.

Cette mandature devra être la plus courte possible car la situation politique actuelle ne saurait durer.

Marine Le Pen

Les cadres du RN semblent prendre un « malin plaisir » à critiquer chaque nomination : « Le commissaire européen (Stéphane Séjourné, N.D.L.R.) choisi par Emmanuel Macron (alors qu’il devrait l’être par le premier ministre) est une négation totale des résultats des élections européennes », tweete Marine Le Pen sur X lundi. C’est le choix de « la République des copains », a renchérit Laurent Jacobelli sur LCI.

Désireux de s’afficher comme le premier parti d’opposition, le RN a décidé de « faire tourner en bourrique » la Macronie, croit savoir un député EPR qui dialogue souvent avec ses collègues d’extrême droite. Une semaine, Sébastien Chenu déclare sur CNews « très peu concevable » que son parti vote le budget, la semaine suivante sur France Inter, le vice-président du RN déclare finalement que « tout est sur la table »

Même valse de déclarations en apparence contradictoires chez Marine Le Pen qui a fait savoir lundi, lors de la rentrée parlementaire du RN à l’Assemblée, qu’elle misait sur une nouvelle dissolution dans un an. « Cette mandature devra être la plus courte possible car la situation politique actuelle ne saurait durer », a-t-elle ajouté. Dans les rangs des Macronistes, la petite phrase a fait son petit effet.

Autre preuve de la fébrilité de l’Élysée, les déclarations insultantes du député RN Jean-Philippe Tanguy, qualifiant Michel Barnier de « fossile » et de « l’un des hommes politiques les plus stupides de la Ve République » lors d’une interview sur France Inter, qui ont conduit les conseillers du président à s’enquérir auprès de l’entourage de Marine Le Pen s’il portait la parole officielle du parti. Résultat, M. Tanguy s’est attiré une réprimande de sa patronne. « Il y a eu des propos tenus par certains, que je n’ai pas du tout validés », assurait-elle dans La Tribune du dimanche. Sans réellement convaincre.

Un troupeau de « moutons noirs »

« Nous sommes l’alternance », répète-t-elle à ses troupes. Voire. Il y a l’échec des législatives, qui a montré que les Français résistaient à un gouvernement Bardella, malgré la victoire de l’extrême droite en nombre de voix (pas en nombre de sièges à l’Assemblée), grâce au barrage républicain de la gauche. Mais aussi les « affaires » qui pourrissent la rentrée du parti.

Mardi dernier, Médiapart révèle que Christine Engrand, députée RN du Pas-de-Calais, a utilisé ses frais de mandat à des fins personnelles, pour faire notamment garder ses deux chiens et s’abonner à des sites de rencontres. Puis, l’élue fait à nouveau les gros titres quelques jours après quand Le Parisien l’épingle pour avoir roulé avec un permis invalide depuis 2009. La députée présente piteusement ses excuses depuis la gendarmerie locale. Déjà privée de rentrée avec ses camarades à l’Assemblée, son cas sera examiné en commission des conflits du RN, parmi la pile des « moutons noirs » des législatives, comme les appelle Marine Le Pen. 

La patronne ne s’inclut pas dans le troupeau, alors qu’elle va pourtant elle-même passer devant le tribunal pour l’affaire de soupçons d’emplois fictifs au Parlement européen. Un dossier tentaculaire dans lequel elle joue son avenir politique et son ticket pour la présidentielle en 2017. L’affaire éclabousse désormais Jordan Bardella, envisagé comme un « joker » en cas de condamnation de Mme Le Pen. L’eurodéputé est mis en cause dans une enquête choc du journaliste de Libération, Tristan Berteloot (1), qui publie des documents prouvant que M. Bardella a lui-même fabriqué de fausses preuves du travail. Sollicités, les cadres du parti n’ont pas souhaité répondre à Politis à ce sujet.

1

La Machine à gagner. Révélations sur le RN en marche vers l’Élysée, éditions du Seuil, 240 p., 19,50 euros.

Nombreux dérapages

Samedi dernier, Jordan Bardella a fait le service après-vente des obstacles qui attendent ses troupes : « Aucune mansuétude ne nous sera accordée, le droit à l’erreur n’existe pas au RN », a assuré l’eurodéputé, les appelant à ne pas se complaire dans « l’autoflagellation et l’introspection ». Dans le même temps, le parti s’efforce de faire un grand ménage dans ses rangs.

La nomination de Bruno Retailleau vise à complaire au RN.

L. Mendes, député EPR

Les députés Thomas Ménagé et Julien Odoul, respectivement députés du Loiret et de l’Yonne, ont été nommés codirecteurs de campagne des futures élections législatives pour le RN. Leur mission, « former de futurs candidats capables de répondre aux médias et en mesure de prendre la parole en public », selon La République du Centre. Le journal s’abstient de rappeler que le second est pourtant l’auteur de nombreux dérapages : insultes contre la journaliste Nassira El Moaddem en mai 2024 sur CNews, diffusion de fake news sur la gauche lors des dernières législatives ou encore une « blague » sur le suicide d’un paysan lors des élections régionales en 2021. Plus que jamais, le RN a du mal à s’extraire de ses contradictions.

Sur le même sujet : Au RN, un retour au programme xénophobe et ultra-sécuritaire

« Diviser pour mieux régner »

Seul lot de consolation, la stratégie de la bourrique, théorisée par les cadres du parti, semble porter ses fruits auprès de la Macronie. La nomination de Michel Barnier à Matignon, connu pour ses prises de positions conservatrices, ulcère le camp présidentiel, déjà peu enthousiaste à l’idée de gouverner sous la houlette de la droite. La proposition du Premier ministre de nommer Bruno Retailleau à l’Intérieur achève de faire s’étrangler les macronistes les plus fidèles : « Cette nomination n’a qu’un seul but, complaire au RN », déclare le député EPR Ludovic Mendes. Le sénateur LR de Vendée est connu pour ses prises de position très dures sur l’immigration, la PMA, l’IVG ou encore les LGBT+.

Le malaise s’étend au MoDem, allié historique d’Emmanuel Macron, qui hésite à rejoindre un gouvernement version Manif pour tous : « Le flotteur gauche n’y est pas », déclare le porte-parole du parti Bruno Millienne à la presse ; comprendre « c’est trop réac pour eux », traduit une source parlementaire. « Finalement, le RN occupe le créneau qui lui réussit le mieux : diviser pour mieux régner », soupire un cadre macroniste.

Pour aller plus loin…

Impôts : malgré l’échec du ruissellement, les macronistes figés dans la pensée unique
Fiscalité 19 septembre 2024 abonné·es

Impôts : malgré l’échec du ruissellement, les macronistes figés dans la pensée unique

Face aux alertes de la Cour des comptes, de la Banque de France, des oppositions de gauche et même de Michel Barnier, la Macronie s’entête à ne pas augmenter les impôts et reste fidèle à sa politique fiscale favorable aux plus riches. Au mépris de l’état budgétaire du pays.
Par Lucas Sarafian
Marc Pena (PS) : « Emmanuel Macron a outrepassé ses fonctions »
Entretien 13 septembre 2024 abonné·es

Marc Pena (PS) : « Emmanuel Macron a outrepassé ses fonctions »

Le député PS des Bouches-du-Rhône annonce déposer deux propositions de loi, l’une visant à réduire le temps imparti à un gouvernement démissionnaire et l’autre ayant pour objectif de créer une autorité indépendante censée réguler les fonctions d’un élu à la fois député et ministre.
Par Lucas Sarafian
Avec Michel Barnier à Matignon, les droites en mode fusion
Politique 10 septembre 2024 abonné·es

Avec Michel Barnier à Matignon, les droites en mode fusion

La désignation au poste de premier ministre de cette figure aux positions radicales précède la création d’une union des libéraux et conservateurs. La Macronie pourrait ainsi marcher dans le sillage de l’extrême droite.
Par Lucas Sarafian
Mathilde Panot : « Emmanuel Macron est en train de dégoûter les Français du vote »
Entretien 10 septembre 2024 abonné·es

Mathilde Panot : « Emmanuel Macron est en train de dégoûter les Français du vote »

« Tous les démocrates doivent s’inquiéter de la dérive autoritaire d’Emmanuel Macron. » Entretien avec Mathilde Panot, députée et présidente du groupe LFI à l’Assemblée nationale, ne mâche pas ses mots contre le président de la République, après la nomination à Matignon de Michel Barnier.
Par Lucas Sarafian