Barnier I : on prend les mêmes et on recommence version droite bleu marine

 

La première équipe de Michel Barnier raconte un virage idéologique profond vers la droite dure et le non-respect des deux principales leçons des législatives : le rejet de la politique d’Emmanuel Macron et le front républicain. 

Lucas Sarafian  • 21 septembre 2024 abonné·es
Barnier I : on prend les mêmes et on recommence version droite bleu marine

Garanti 100% réactionnaire. Michel Barnier et Emmanuel Macron viennent de s’entendre sur un gouvernement trois mois et demi après la dissolution annoncée par le Président au soir des européennes du 9 juin. Le chef de l’Etat voulait un gouvernement « d’union nationale » ou de « rassemblement ». C’est raté. La première équipe de 39 ministres de l’ancien négociateur de l’Union européenne sur le Brexit réunit toutes les nuances de la droite. Et les figures de l’aile radicale arrivent en nombre. 

Le symbole de ce virage idéologique s’appelle Bruno Retailleau. Le chef de file des sénateurs Républicains (LR), un temps envisagé à l’Économie, arrive à l’Intérieur. Opposant au mariage pour tous et à l’inscription de l’IVG dans la Constitution, bras droit de François Fillon et ancien proche de Philippe de Villiers, le nouveau locataire de la Place Beauvau ne s’empêche pas de dire en 2023 sur Franceinfo qu’il existe un « lien » entre les révoltes des quartiers populaires suite à la mort de Nahel et l’immigration : « Pour la deuxième et la troisième génération, il y a une sorte de régression vers les origines ethniques. »

Profils extrêmement conservateurs

Le sénateur et « Monsieur immigration » de LR, François-Noël Buffet, débarque aux Outre-mer. En 2021, il est rapporteur d’une mission d’information sur la sécurité à Mayotte et défend un renforcement des limitations de l’accès à la nationalité française par le droit du sol dans l’archipel. Très conservateur, lui aussi participe aux manifestations contre le mariage pour tous, il vote également contre l’extension de la PMA en 2021 et s’abstient sur la constitutionnalisation de l’IVG. Othman Nasrou, proche de Valérie Pécresse, vice-président de la région Ile-de-France et nouveau secrétaire d’Etat à la Laïcité tient les mêmes positions anti-progressistes. Patrick Hetzel, député du Bas-Rhin, coresponsable du projet de Michel Barnier à la primaire de la droite en 2021 et très actif pour s’opposer à la constitutionnalisation de l’IVG à la Chambre basse, est nommé à l’Enseignement supérieur. Résumé : un florilège de profils qui pourraient appliquer une politique défendue par le Rassemblement national (RN). « Ça va être le gouvernement de la “Manif pour tous”», charge la présidente du groupe insoumis à l’Assemblée, Mathilde Panot. 

Emmanuel Macron a néanmoins posé un petit veto sur la sénatrice Laurence Garnier, proposée au ministère de la Famille par Michel Barnier. Elle sera finalement secrétaire d’Etat à la Consommation. Son opposition à la constitutionnalisation de l’IVG, à l’interdiction des thérapies de conversion et au mariage pour tous auraient pesé dans la balance. C’est finalement la sénatrice de Seine-Maritime Agnès Canayer qui a été nommée à cette place. 

Si Laurent Wauquiez, pressenti à l’Intérieur et à Bercy, n’est finalement pas membre du gouvernement, la droite est en force. Au mépris de l’une des grandes leçons des législatives : le front républicain. Car LR est la seule formation à avoir mis un signe égal entre la gauche et l’extrême droite avant le deuxième tour de ce scrutin. La vice-présidente de l’Assemblée nationale et secrétaire générale de LR, Annie Genevard, sera chargée de l’Agriculture – Julien Dive, ancien député et proche de Xavier Bertrand était envisagé à ce poste. La vice-présidente LR du Sénat, Sophie Primas, arrive au Commerce extérieur. Le maire LR de Châteauroux, Gil Avérous, arrive aux Sports et à la jeunesse. Et la sénatrice de Paris Marie-Claire Carrère-Gée prendra en charge la Coordination gouvernementale. François Durovray, président du conseil départemental de l’Essonne et proche de Xavier Bertrand, devient ministre délégué aux Transports. Le maire de Valence, Nicolas Daragon, sera délégué à la Sécurité du quotidien. Le député du Rhône Alexandre Portier prend la Réussite scolaire et l’enseignement professionnel. Inconnue du grand public, Salima Saa, conseillère de coopération intérieure à l’ambassade de France au Royaume-Uni et ancienne proche de Bruno Le Maire, est la nouvelle secrétaire d’Etat chargée de l’Egalité entre les femmes et les hommes. 

La photo finish penche très sérieusement à droite. « Ce n’est pas une question de noms, même si ça pique un peu. Au fond, ils appliqueront tous la politique du Premier ministre. Mais je remarque qu’on a demandé de l’équilibre dans la politique qui va être conduite. Et là, il manque clairement des gages pour respecter les 8 millions d’électeurs de gauche dans le pays », regrette Bruno Millienne, porte-parole du Modem. La seule prise à gauche porte le nom de Didier Migaud. L’ex-président de la commission des Finances à l’Assemblée, ancien premier président de la Cour des comptes pendant dix ans et actuel président de la Haute autorité pour la transparence de la vie publique, quitte son poste pour atterrir au ministère de la Justice. Un très maigre rééquilibrage. « Nous avions un gouvernement macroniste avec des LR. Nous aurons maintenant un gouvernement LR avec des macronistes. Tout ça pour une continuité politique permise par la bienveillance du Rassemblement national qui va permettre à Emmanuel Macron et son gouvernement de continuer une politique de mépris et de casse sociale. Tout en renforçant l’aspect conservateur qui s’était révélé ces derniers mois », analyse la cheffe de file des écologistes à l’Assemblée, Cyrielle Chatelain.

De très nombreux macronistes

Emmanuel Macron a pu défendre certains de ses sortants puisque pas moins de sept ministres de la dernière équipe de Gabriel Attal restent au sein du gouvernement de Michel Barnier. Rachida Dati, un temps envisagée à l’Education nationale, débarque à la Culture lorsque Sébastien Lecornu reste aux Armées. Catherine Vautrin quitte le ministère du Travail et de la santé pour se diriger vers un ministère chargé du Partenariat avec les territoires et de la décentralisation. Agnès Pannier-Runacher, successivement secrétaire d’Etat auprès du ministre de l’Economie, ministre de l’Industrie, ministre de la Transition écologique et ministre déléguée auprès du ministre de l’Agriculture, retourne à la Transition écologique. Guillaume Kasbarian passe du Logement à la Fonction publique. Représentant du Modem, Jean-Noël Barrot, ministre délégué chargé de l’Europe dans la dernière équipe de Gabriel Attal après avoir été délégué au Numérique sous Elisabeth Borne, est promu aux Affaires étrangères. Au détriment de Gérald Darmanin qui rêvait du Quai d’Orsay. Marina Ferrari, auparavant secrétaire d’Etat au Numérique, change de poste pour s’occuper du Tourisme.

Michel Barnier accueille même une revenante du premier gouvernement macroniste : Geneviève Darrieussecq. Secrétaire d’Etat auprès de la ministre des Armées Florence Parly entre 2017 et 2020, ministre déléguée chargée de la Mémoire et des anciens combattants entre 2020 et 2022 et ministre déléguée chargée des Personnes handicapées entre 2022 et 2023, la membre du Modem prend aujourd’hui la Santé. 

Si le camp présidentiel a perdu les élections législatives, il arrive à se tailler la part du lion. La députée Ensemble pour la République (EPR, ex-Renaissance) de Paris Astrid Panosyan-Bouvet arrive au ministère du Travail. Le porte-parole du groupe EPR et membre de la commission des Affaires étrangères, Benjamin Haddad, sera délégué à l’Europe. Côté Bercy, Antoine Armand, le président de la commission des Affaires économiques, arrive au ministère de l’Economie, des finances et de l’industrie. Et Laurent Saint-Martin, ex-député battu en 2022 par l’insoumis Louis Boyard dans le Val-de-Marne, au Budget et aux Comptes publics. Ce dernier a été préféré à Mathieu Lefèvre, membre de la commission des Finances et proche de Gérald Darmanin. A l’Education nationale, la députée des Français de l’étranger Anne Genetet. Et à l’Energie, la députée de l’Ain Olga Givernet. Le député et très proche d’Emmanuel Macron Marc Ferracci prend l’Industrie. La députée des Hauts-de-Seine et ingénieure nucléaire, Maud Bregeon, est promue au porte-parolat. Le 27 mai dernier sur le plateau de CNews, elle avait estimé qu’il y avait « aujourd’hui en France, pas tout le temps mais parfois, un lien entre immigration et délinquance ». Enfin, le sénateur macroniste de Mayotte, Thani Mohamed Soilihi, est nommé secrétaire d’Etat à la Francophonie. Au bout du compte, difficile de croire que la coalition macroniste constitue le bloc le plus faible à l’Assemblée.

Du côté des partenaires macronistes, le président Horizons de la commission des Affaires sociales, Paul Christophe, atterrit au ministère des Solidarités, de l’autonomie et de l’égalité femmes-hommes. Et Marie-Agnès Poussier-Winsback, députée Horizons de Seine-maritime, débarque à l’Économie sociale et solidaire. La membre du Parti radical et sénatrice de Gironde, Nathalie Delattre, arrive à la tête du très épineux ministère des Relations avec le Parlement. La députée UDI du groupe Liot et proche de Jean-Louis Borloo, Valérie Létard, se chargera du Logement. Le maire UDI de Lorient, Fabrice Loher, est nommé ministre délégué à la Mer. La sénatrice centriste d’Ille-et-Vilaine Françoise Gatel arrive à la tête d’un ministère délégué à la Ruralité. Anomalie au sein de cet exécutif mi-LR, mi-EPR : Claire Chappaz, directrice de La French tech et nouvelle secrétaire d’État chargée de l’intelligence artificielle.

Néanmoins, la présence de ces très nombreux macronistes ne cachent pas les profils extrêmement droitiers qui crispent certains au sein du bloc central. La députée EPR Sophie Errante a d’ailleurs annoncé quitter le groupe EPR le 20 septembre. « La désignation de Michel Barnier et la composition du gouvernement marquent un virage net à droite, écrit-elle dans un communiquéL’incapacité à faire une réelle coalition qui était, à mon sens, la seule réponse à la reconnaissance de l’expression démocratique du résultat des législatives, marquent une rupture profonde avec les raisons pour lesquelles je me suis engagée aux côtés d’Emmanuel Macron en 2017. » « De manière générale, nous ne sommes pas satisfaits de ce qui se joue depuis deux mois. On était déjà très critiques sur la politique menée depuis 2023, sur les retraites, l’immigration, les arrivées de figures de droite au sein du gouvernement. Le fait d’avoir un Premier ministre issu des Républicains et un gouvernement qui prend cette orientation, ça ne nous réjouit pas, estime une représentante de l’aile gauche de la macronie. Nous attendrons le discours de politique générale, nous n’appelons pas à la censure mais aujourd’hui, nous avons plutôt nos deux jambes dans l’opposition que dans cette majorité. » Les prémices d’une fracture viennent peut-être d’apparaître.  

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