L’extrême droite et le procès Mazan

Doctorante et membre du #MeTooTheatre, Marie Coquille-Chambel analyse la manière dont l’extrême droite tente de s’approprier le procès Mazan par sa grille de lecture raciste.

Marie Coquille-Chambel  • 25 septembre 2024
Partager :
L’extrême droite et le procès Mazan
Peinture murale créée par Maca_dessine représentant Gisele Pelicot, à Gentilly, le 21 septembre 2024.
© GEOFFROY VAN DER HASSELT / AFP

Avec la diffusion de plus en plus massive sur les réseaux sociaux de revues de presse d’extrême droite telles que « F de souche » (partageant chaque article faisant état d’un viol commis par une personne étrangère ou racisée), l’apparition de collectifs féminins navigant entre Reconquête ! et le Rassemblement national et l’intérêt croissant des partis nationalistes pour les « droits des femmes » dans leurs prises de position médiatiques, la question des violences sexuelles dépasse aujourd’hui le simple cadre du féminisme pour devenir un enjeu électoral au sein de l’extrême droite.

Sur le même sujet : À Paris, en soutien à Gisèle P. : « On en a marre de survivre »

En cette rentrée, le procès Mazan prend une place médiatique inédite pour des viols commis sur une femme inconnue du grand public et met à mal toute la construction élaborée par l’extrême droite depuis #MeToo, car les agresseurs ne correspondent pas à leur narratif : immigré sous OQTF dans un lieu public.

Celle-ci tente alors de ramener le procès Mazan à l’islam – « Pourquoi les féministes sont-elles capables de dénoncer la soumission chimique mais pas la soumission islamique ? » (1) –, de trouver à l’instar d’Alice Cordier des motivations racialisantes à Dominique Pelicot mais, surtout, martèle que le procès Mazan n’est pas le procès du patriarcat ou de la masculinité puisque le patriarcat n’existerait pas en France et serait conditionné à « certaines » communautés.

1

Gabrielle Cluzel sur CNews le 17 septembre 2024.

Alors, pourquoi cette stratégie médiatique du champ identitaire ? Parce que ce procès est un contrepoint à l’instrumentalisation des violences subies par les femmes pour appliquer une politique sécuritaire et autoritaire : plus de police, plus d’expulsions, voire rétablissement de la peine de mort. On aurait naïvement pu croire à une déstabilisation de ce narratif mais il n’en est rien.

L’ambition (…) est d’amener le féminisme populaire à l’extrême droite.

De fausses équivalences sont alors mises en œuvre comme en témoigne un tweet de Damien Rieu qui illustre parfaitement la tentative de déplacement des viols intrafamiliaux aux viols dans l’espace public : « Objectivement les militantes féministes ont raison de se mobiliser après l’atroce affaire Mazan. Mais cela ne fera pas oublier leur silence complice sur les violeurs de rues dont l’origine, dans 90 % des cas, est celle que vous savez et qu’ils connaissent aussi. »

Sur le même sujet : « Vous avez déjà entendu le RN parler de patriarcat ? »

L’ambition illustrée ici, de l’extrême droite et des médias bolloréens, est d’amener le féminisme populaire à l’extrême droite, en reprenant la rhétorique sur la culture du viol pour la racialiser et s’ancrer dans les théories du différentialisme culturel et stigmatiser les hommes noirs et arabes, étrangers ou migrants au nom des femmes et de leur sécurité pour asseoir des projets d’expulsions, mais également pour amener un électorat féminin à voter pour ces partis.

Sur le même sujet : Les 83 violeurs : la banalité du mâle

Puisse ce procès, par l’atroce banalité des profils de « bons pères de famille » des accusés, rappeler que les violeurs ne sont pas, en grande majorité, des étrangers mais bien ceux qui nous entourent et permettre à la gauche de repolitiser la question des violences sexuelles face à leur inertie quant à l’instrumentalisation de ces violences.

Soutenez Politis, faites un don.

Chaque jour, Politis donne une voix à celles et ceux qui ne l’ont pas, pour favoriser des prises de conscience politiques et le débat d’idées, par ses enquêtes, reportages et analyses. Parce que chez Politis, on pense que l’émancipation de chacun·e et la vitalité de notre démocratie dépendent (aussi) d’une information libre et indépendante.

Faire Un Don

Pour aller plus loin…

Juliette Rousseau : « J’essaye de détricoter les mythes de la ruralité »
Entretien 25 septembre 2024 abonné·es

Juliette Rousseau : « J’essaye de détricoter les mythes de la ruralité »

Comment porter une parole sensible, de gauche et féministe dans un milieu rural d’apparence hostile ? L’autrice de Péquenaude utilise sa plume tantôt douce, tantôt incisive pour raconter sa campagne bretonne natale, où elle est retournée vivre, en liant les violences sociales, patriarcales et écologiques.
Par Vanina Delmas
Yanis Varoufakis : « Nous travaillons tous gratuitement pour les Gafam »
Technologies 25 septembre 2024 abonné·es

Yanis Varoufakis : « Nous travaillons tous gratuitement pour les Gafam »

« Dès que je tweete, j’ajoute du capital au profit d’Elon Musk. » Dans son dernier livre, l’ex-ministre de l’Économie grec propose une analyse novatrice de l’économie mondiale, à l’heure de la concentration des richesses par les géants du Net. 
Par Olivier Doubre
Lou Trotignon : « J’ai voulu montrer que la transidentité pouvait être joyeuse » 
Entretien 18 septembre 2024 abonné·es

Lou Trotignon : « J’ai voulu montrer que la transidentité pouvait être joyeuse » 

Sur scène ou en manif, l’humoriste queer utilise l’humour comme un outil politique et d’éducation populaire. Son spectacle, Mérou, dont la tournée a repris en septembre, s’adresse à toutes et tous.
Par Pauline Migevant
Pavese, les égarements d’un poète avant tout
Idées 18 septembre 2024 abonné·es

Pavese, les égarements d’un poète avant tout

L’écrivain italien tint durant les dernières années du régime mussolinien un journal intime, retrouvé en 1962, où il livrait des assertions philo-­fascistes. La chercheuse Francesca ­Belviso l’a fait paraître en 2020 en Italie, relatant également ses difficultés à le faire publier. Cet inédit sulfureux est aujourd’hui traduit en ­français.
Par Olivier Doubre