La Macronie s’oppose bien timidement à l’offensive de Retailleau sur l’AME

Le nouveau ministre de l’Intérieur plaide pour la suppression de ce dispositif de soins pour les étrangers. Les quelques figures macronistes qui s’y s’opposent publiquement peinent à cacher la relative docilité du camp présidentiel.

Lucas Sarafian  • 26 septembre 2024 abonné·es
La Macronie s’oppose bien timidement à l’offensive de Retailleau sur l’AME
Bruno Retailleau, avec le préfet de police de Paris Laurent Nunez, lors d'une visite d'un commissariat de police à La Courneuve, le 23 septembre 2024.
© Dimitar DILKOFF / AFP

Une fronde en macronie ? L’hypothèse semble être paradoxale tant les députés de la coalition présidentielle se sont plutôt distingués pour respecter à la lettre les consignes de vote données par les états-majors. Se rebelleront-ils un jour ? Le moment est peut-être arrivé. En cause, la première offensive politique de Bruno Retailleau. Le 23 septembre sur TF1, le nouveau patron de la place Beauvau estime qu’il est nécessaire de revoir le dispositif de l’aide médicale d’État (AME), ce panier de soins pour les étrangers sans papiers qui gagnent moins de 10 000 euros par an.

« On a un souci, c’est que nous sommes un des pays européens qui donne le plus d’avantages. Et je ne veux pas que la France se singularise, que la France soit le pays le plus attractif d’Europe pour un certain nombre de prestations sociales d’accès aux soins », considère le nouveau ministre de l’Intérieur, qui pousse pour transformer l’AME en dispositif d’urgence, restreignant ainsi les conditions d’accès à cette aide.

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Lors des débats sur la loi immigration de l’hiver dernier, la droite sénatoriale avait déjà réussi à supprimer l’AME pour la remplacer par une aide médicale d’urgence (AMU), limitée aux maladies graves, aux soins liés à la grossesse, aux vaccinations et aux examens de médecine préventive.

Cette modification rêvée par la droite et l’extrême droite a été rayée de la loi finale grâce au Conseil constitutionnel. Mais Bruno Retailleau ne lâche pas l’affaire. Dans une stratégie qui consisterait à emprunter les idées de l’extrême droite pour occuper son espace politique, le ministre de l’Intérieur va même plus loin le lendemain. Sur CNews, il affirme vouloir reprendre « un certain nombre de ces articles » censurés. Sans s’interdire d’utiliser la voie réglementaire pour réformer ou supprimer l’AME.

Totem

Ces déclarations crispent en Macronie. « C’est un sujet trop important pour en faire un marqueur politique. Ce dispositif est nécessaire. Il est obligatoire, humain, de garder un dispositif pour les sans-papiers », estime Denis Masséglia, député Ensemble pour la République (EPR) du Maine-et-Loire. « C’est un totem qui ressort régulièrement à droite. Bruno Retailleau a au moins le mérite de la constance. En décembre dernier, la droite défendait la même position », lâche Christophe Marion, député EPR du Loir-et-Cher.

Parlons des vrais sujets, pas des marottes éculées du RN.

C. Beaune

« Parler de l’AME, chaque jour, comme si c’était un sujet central, responsable de tous nos maux et même du déficit budgétaire, c’est déjà un problème en soi, écrit sur X (ex-Twitter) l’ancien ministre de l’Europe et des Transports Clément Beaune. Parlons des vrais sujets, pas des marottes éculées du RN. »

L’ensemble de « l’aile gauche » de la Macronie déterre le même rapport sur le sujet. Publié le 4 décembre 2023 et commandé par Élisabeth Borne quand elle était encore première ministre, le document dirigé par Claude Evin, ministre sous François Mitterrand, et Patrick Stefanini, conseiller de droite depuis les années 1990 et secrétaire général du ministère de l’Immigration sous Nicolas Sarkozy, considère que l’AME est un dispositif nécessaire, « encadré sur le plan réglementaire, mis en œuvre et contrôlé de manière professionnelle par les services de l’Assurance-maladie et qui ne génère pas de consommations de soins faisant apparaître des atypismes, abus ou fraudes structurelles ». « Ce rapport a servi à dépassionner ce débat. Et on ne peut pas dire que Stefanini soit un dangereux trotskiste », ironise Christophe Marion.

L’AME n’est ni une pompe aspirante, ni un levier économique très important.

B. Millienne

Au Modem, qui pourrait faire aujourd’hui figure d’aile gauche tant le parti macroniste s’est droitisé en sept ans, quelques voix s’élèvent aussi. « C’est un marronnier de la droite. L’AME n’est ni une pompe aspirante, ni un levier économique très important puisque ça représente 0,5 % du budget de la Sécurité sociale », soupire Bruno Millienne, porte-parole de la formation bayrouiste, qui a signé en novembre 2023 une tribune dans La Croix appelant à protéger ce panier de soins. Un texte soutenu par 26 parlementaires du Modem, dont la nouvelle ministre de la Santé, Geneviève Darrieussecq, alors députée des Landes.

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Du côté de l’aile droite, ils sont en revanche peu nombreux à s’exprimer publiquement. « Ce rapport explique que la sauvegarde de l’AME, c’est un enjeu de santé publique, et pas d’attractivité comme le dit Bruno Retailleau. Transformer cette aide ou la supprimer serait une erreur et ne ferait qu’engorger les urgences. D’ailleurs, le corps médical est contre la suppression de l’AME », explique à Politis Agnès Firmin Le Bodo, ex-ministre déléguée chargée de l’Organisation territoriale et des professions de santé, éphémère ministre de la Santé et de la prévention et aujourd’hui porte-parole de Horizons, le parti d’Édouard Philippe.

Paroles en l’air

Néanmoins, ces déclarations ne sont, pour le moment, que des paroles en l’air. Car aucun macroniste interrogé ne semble prendre le risque de s’opposer frontalement au gouvernement de Michel Barnier si l’exécutif défend une proposition de loi. « Que Bruno Retailleau fasse des propositions dans un projet de loi, je défendrai mes amendements, j’apporterai des modifications et, enfin, je voterai pour ou contre le texte », annonce Denis Masséglia. « Je n’aime pas parler de ‘ligne rouge’. Mais posons le débat dans l’hémicycle, j’attends de voir ce qu’il y aura dans un texte. Et s’il propose la suppression de l’AME, il n’y a pas de doute de mon côté, ce sera non », assure Christophe Marion.

Mais combien seront-ils à partager cette position ? Selon les pronostics d’Agnès Firmin Le Bodo, « la majorité du camp présidentiel est opposée » à la suppression de l’AME. Mais d’après elle, les troupes macronistes seraient partagées si le ministre de l’Intérieur met sur la table la transformation de ce panier de soins en aide médicale d’urgence (AMU). « Il n’y a pas de ligne officielle, il y a des débats », concède un député EPR.

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Pour Bruno Millienne, la grande majorité de la coalition présidentielle serait opposée à la suppression : « Que Bruno Retailleau pose cette question sur la table, il en a le droit. Mais ça ne passera jamais à l’Assemblée nationale. » Encore faut-il que les macronistes acceptent d’entrer en opposition avec les Républicains (LR), un groupe qui leur sert d’assurance-vie pour maintenir son poids au gouvernement comme à l’Assemblée.

Tout ce qui touche à mes valeurs, à ma conception d’une France de droits et de devoirs pour tous, une France ouverte, peut m’amener à censurer.

S. Dupont

Pour le moment, seul Stella Dupont, députée apparentée au groupe EPR ouvre la porte à une censure. « Tout ce qui touche à mes valeurs, à ma conception d’une France de droits et de devoirs pour tous, une France ouverte, peut m’amener à censurer, même si ce n’est pas ce que je souhaite faire a priori. Et compte tenu de la vision politique de différents ministres, dont Bruno Retailleau, le risque de voir ce type de mesures (la suppression de l’AME, la restriction des prestations sociales pour les étrangers ou une caution pour les étudiants étrangers, N.D.L.R.) se concrétiser est réel », estime la députée du petit parti En Commun, la formation présidée par Barbara Pompili, ex-ministre de la Transition écologique sous Jean Castex, dans une interview accordée à Libération.

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D’après Le Parisien, certains députés EPR ont évoqué l’idée de convoquer le ministre de l’Intérieur et le garde des Sceaux devant la Commission des lois lors de leur réunion de groupe hebdomadaire le 24 septembre. Par ailleurs, les opposants de la dernière loi immigration ne sont plus très nombreux : 26 députés sur les 59 parlementaires s’étant opposés ou abstenus n’ont pas réussi à se faire réélire. Au vu de la docilité et du manque de poids, une rébellion semble difficile à imaginer.

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