Le bloc central ou la tentation du retour au suffrage indirect et censitaire ?
Le bloc central est plus que jamais minoritaire dans le pays, sociologiquement comme politiquement. Se dévoile en filigrane une récusation du suffrage universel, de plus en plus décomplexée, estime Francis Daspe, président de l’AGAUREPS-Prométhée.
La nomination à Matignon de Michel Barnier constitue clairement une injure à la démocratie fondée sur l’expression de la souveraineté populaire. Et de son respect… L’outil de cette dernière en est le suffrage universel direct, conquis de haute lutte. Ce déni démocratique a été perpétré par le bloc central (appelé aussi selon les cas bloc bourgeois ou bloc élitaire), organisé autour du président Macron.
Le mode opératoire d’escamotage du suffrage universel s’est en effet donné à voir sans fard.
Deux stratagèmes, parmi d’autres, ont été conviés pour réaliser la basse besogne. Il y a d’abord eu une tentative de contourner le vote par un retour déguisé au suffrage indirect. S’est ensuite exercée la volonté d’agréger à soi des marges et des périphéries de ce bloc central, considérées comme Macron-compatibles.
Le mode opératoire d’escamotage du suffrage universel s’est en effet donné à voir sans fard. Les Français ont voté, mais peu importe leur volonté. Un petit cénacle d’élus, autodésignés raisonnables, va se mettre autour de la table pour faire un autre programme expurgé d’éventuelles scories. Car un programme répondant aux besoins exprimés par le peuple ne peut être jugé valable par cette caste de possédants. Ce fut la réaction pavlovienne de la Macronie. Quand bien même la réforme des retraites est rejetée par près de 90 % de nos concitoyens, hors de question d’y toucher de la moindre manière qui soit ! Voici le nouveau totem du bloc central !
Ce fut aussi le sens de la proposition émise par Raphaël Glucksmann, émérite représentant d’une des deux rives périphériques du bloc central, qu’il serait cependant hasardeux de nommer de gauche. Au nom de la pratique de la négociation et de la recherche du consensus sur le modèle de la machinerie européenne, le chef de file de la liste Place Publique / Parti socialiste aux dernières élections européennes estimait qu’il fallait en rabattre sur les ambitions du programme du Nouveau Front Populaire, qu’il n’a d’ailleurs pas vraiment accepté.
Compromis ou compromission
Jugé trop radical, le programme, tout juste bon à gagner des voix et à se faire élire, n’est même pas le point de départ dans la phase initiale du potentiel exercice du pouvoir. Quant au point d’arrivée, pas compliqué d’imaginer l’ampleur des reculs qui seront concédés… Compromis ou compromission, à chacun de se faire une idée.
Ce fut enfin le parti pris de la Droite républicaine (c’est-à-dire Les Républicains, à peine expurgés des ciottistes), incarnée notamment par Michel Barnier. Quand bien même ce furent les revendications sociales avancées, répondant à des urgences, qui permirent la victoire du Nouveau Front Populaire, pas question d’amender de quelque manière que ce soit les politiques d’austérité pourtant en grande partie responsables de la désespérance sociale. Que ce soit un parti qui a obtenu autour de 6 % des voix aux élections législatives qui dirige le nouveau gouvernement, peu importe en définitive, pourvu qu’on conserve l’ivresse du maintien des orientations favorables aux plus riches.
Le bloc central est plus que jamais minoritaire dans le pays, ceci aussi bien sociologiquement que politiquement. En réalité, se dévoile en filigrane une récusation du suffrage universel tout court, de plus en plus décomplexée. Affleure même une nostalgie de formes renouvelées de suffrage censitaire, par le biais duquel le pouvoir était réservé « aux propriétaires et aux lumières » de l’époque, autrement dit « aux riches et aux sachants » du temps présent.
Le bloc central se satisfait aisément de taux d’abstention élevés, écartant du champ démocratique les catégories les plus précaires et les plus modestes. Rejeter de la sorte une proportion de plus en plus forte des éléments populaires hors du système électoral (abstentionnistes et non inscrits sur les listes électorales), en s’y résignant à bon compte un peu trop rapidement, équivaut en définitive à un retour de facto à des formes de suffrage censitaire.
Censure
Passer au tamis, dans un second temps, une fois le verdict populaire rendu, les enseignements des élections et les propositions programmatiques ainsi plébiscitées, afin de trier ce qui est réaliste et ce qui est illusoire (ou trier le bon grain de l’ivraie), conduit à instaurer un suffrage indirect. Car de la sorte, l’expression des électeurs est censurée par un cercle de grands élus, de grands notables et de grands lobbies chargés de faire revenir à la raison le plus grand nombre. Un peu pareil quand le candidat Hollande, l’ennemi (prétendu) de la finance, fut impitoyablement rappelé à l’ordre par le président Hollande, initiateur (résolu) d’une politique de l’offre néolibérale et antisociale.
Le peuple est bien le problème pour ces gens-là.
C’est qu’il faut bien tabler sur les idiots utiles des périphéries. Ceux de droite rétifs à un quelconque rééquilibrage du partage des richesses, ceux à sa gauche (donc loin d’assurer d’être de gauche) avec des sociaux-libéraux détestant le Nouveau Front Populaire, à la fois dans ses structures, ses personnes et son programme.
Le peuple est bien le problème pour ces gens-là. Il faudrait l’effacer, dans une logique de « cancel vote ». Cette logique délétère s’était déjà exprimée en 2005, à la suite de la nette victoire du non au référendum portant sur le traité constitutionnel européen. Les dégâts démocratiques avaient été considérables, alimentant des formes de désenchantement et de fuite de la sphère du débat public. Ce qui vient de se passer après ces élections législatives est du même tonneau. Le bloc central, désavoué dans les urnes, se satisferait bien de dissoudre dans un même élan le peuple et la démocratie en revenant au cadre rassurant d’un suffrage censitaire et indirect.
Voici un des obstacles à surmonter prioritairement pour notre camp. Le nouveau rassemblement, à l’appel des organisations étudiantes, écologiques, et féministes, prévu partout en France ce samedi 21 septembre, contre le coup de force de Macron constitue un jalon non supplémentaire. N’y a-t-il pas plus beau symbole que le jour anniversaire de l’abolition de la monarchie et de la proclamation de la République à l’occasion de la Révolution française ?
Des contributions pour alimenter le débat, au sein de la gauche ou plus largement, et pour donner de l’écho à des mobilisations. Ces textes ne reflètent pas nécessairement la position de la rédaction.
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