« Le Club des enfants perdus » : méfiez-vous de l’enfant sage

Rebecca Lighieri met en scène l’intériorité d’un père et de sa fille qui nourrissent des visions du monde aux antipodes l’une de l’autre, sans qu’ils cessent pour autant de s’aimer.

Lola Dubois-Carmes  • 11 septembre 2024 abonné·es
« Le Club des enfants perdus » : méfiez-vous de l’enfant sage
© Toa Heftiba / Unsplash

Le Club des enfants perdus / Rebecca Lighieri / POL, 528 pages, 22 euros.

Le tragique se mêle au vaudeville et au fantastique pour faire de ce roman dramatique un long poème. Emmanuelle Bayamack-Tam, alias Rebecca Lighieri, raconte l’histoire de Miranda, une femme dans sa vingtaine, plutôt timide, voire franchement terne. Dans sa famille, socialement privilégiée et plutôt fonctionnelle, Miranda n’a souffert de rien, hormis peut-être de la froideur de sa mère.

La première partie du récit est racontée du point de vue d’Armand, le père de Miranda, tâchant désespérément de comprendre sa fille, tandis que la seconde moitié adopte le regard de la jeune femme, étonnamment plus complexe que présumé. Le père, comédien reconnu et heureux de vivre, fait donc face à sa progéniture dépressive, timide et cherchant sa place dans le monde.

Un drame sombre où le malaise côtoie le rire.

Et pour cause. Miranda est secrètement dotée d’un ensemble de pouvoirs assez subtils et imparfaits, consistant notamment à prédire le futur, à se glisser dans la peau des autres et à lire dans leurs pensées. Sans le décider, ce personnage, emblématique de la « Gen Z » et de son époque, peut se retrouver mentalement à la place d’un enfant au milieu de bombardements, d’un migrant qui se noie ou d’un tueur qui donne cours à sa barbarie. Une hyper-empathie envahissante et torturante.

Le monde est une scène de violences, d’exploitation du vivant, de catastrophes climatiques et, surtout, d’indifférence, qui la bouleverse. Le lecteur se retrouve alors ballotté d’un esprit cartésien et enjoué à une perception de la réalité empreinte de surnaturel et beaucoup plus complexe, le menant au constat de l’impossible compréhension d’autrui.

Ambivalence

Une conclusion d’impénétrabilité portée par l’évidence que chacun se cache derrière un masque. Les références théâtrales tissent d’ailleurs le fil rouge du récit : les parents et le petit ami de Miranda sont comédiens, mais l’héroïne, dont le nom est emprunté à une pièce de Shakespeare, donne le change mieux que quiconque. Elle s’assimile d’ailleurs volontiers aux personnages de contes, Poucette d’Andersen et Alice de Lewis Carroll en tête, autant qu’aux membres torturés du Club des 27 – ces artistes morts à 27 ans. Son costume de petite fille sage dissimule en réalité une adolescente à la sexualité débridée et à l’esprit souvent vicieux.

Cette ambivalence fait d’elle un personnage surprenant, impulsant des rebondissements dignes d’une pièce de vaudeville. Un contraste qu’on retrouve dans l’écriture, alternant vocabulaire cru et prose poétique, sans jamais être ampoulée. Rebecca Lighieri signe ainsi un drame sombre où le malaise côtoie le rire.

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Littérature
Temps de lecture : 3 minutes