À Paris Dauphine, les travailleurs du nettoyage obtiennent la réintégration de leurs collègues

Depuis une petite semaine, une trentaine de salariés d’OMS Synergie, en charge du nettoyage de l’Université Paris Dauphine, est en grève. Un mouvement social faisant suite au licenciement brutal de dix d’entre eux.

Pierre Jequier-Zalc  • 17 septembre 2024 abonné·es
À Paris Dauphine, les travailleurs du nettoyage obtiennent la réintégration de leurs collègues
© Pierre Jequier-Zalc

« Depuis 1995, je viens tous les jours laver cette université. Et du jour au lendemain, sans même un avertissement, une mise à pied ou une autre sanction, je suis viré. » C’est avec de l’amertume et de la colère que Bihaky, travailleur du nettoyage à l’Université Paris Dauphine, raconte ce qu’il lui arrive depuis le 10 septembre. Ce jour-là, il apprend que, comme neuf de ses collègues, il est licencié sur-le-champ par l’entreprise qui l’emploie, OMS Synergie. « À Dauphine, il y a 34 salariés du nettoyage. Donc c’est une réduction de près d’un tiers, c’est énorme », glisse Leïla Mabrouk, qui organise le mouvement social pour la CFDT-SFP.

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L’argument avancé par l’entreprise pour justifier ce coup de balai est assez obscur. Il reproche aux salariés de ne pas avoir utilisé leur badgeuse pour justifier de leur présence. Un simple prétexte pour la syndicaliste : « Cette badgeuse a été mise en place il y a un an. Donc, les salariés présents sur le site depuis longtemps n’ont pas pris l’habitude de badger. Mais cela ne veut pas dire qu’ils n’étaient pas là. Le travail était fait ! » Un motif qui a aussi fait tomber de sa chaise Bihaky. « Si c’est ça le vrai problème, ils auraient pu nous mettre un avertissement ou nous convoquer pour nous expliquer. Pas nous mettre dehors directement », confie le salarié.

« Comment tu nourris tes enfants quand tu perds ton travail comme ça ? »

Pour tous les travailleurs du nettoyage au sein de l’université, comme pour leurs soutiens, le motif réel est bien plus évident : faire des économies, sur leur dos. En effet, depuis qu’OMS Synergie a remporté l’appel d’offres, l’entreprise essaie de réduire au maximum les effectifs. À sa reprise du marché, en mars 2023, 7 personnes n’avaient pas, dans un premier temps, été reconduites. Une demi-journée de grève avait finalement permis d’éviter cela. Depuis, six départs n’ont pas été remplacés.

On a un message au directeur de l’université : il ne peut pas faire du profit sur le dos des misérables, sur nous, les travailleurs invisibles.

Ce licenciement massif n’est donc logiquement pas passé auprès des salariés qui, accompagné de la CFDT-SFP, se sont tous mis en grève le 11 septembre. « Comment tu payes ton loyer ? Comment tu nourris tes enfants quand tu perds ton travail comme ça ? », interroge Ladji, travailleur du matin depuis 6 ans à Paris Dauphine. Il affirme ne pas avoir hésité une seconde à se mettre en grève en solidarité avec ses collègues pour exiger leur réintégration. « On est loin d’être en sureffectif. Le matin, les cours commencent à 8 heures et il faut courir pour nettoyer toutes les salles avant », raconte-t-il.

(Photo : Pierre Jequier-Zalc.)

Rassemblés dans le hall de l’université, gilet orange sur le dos – couleurs de la CFDT –, les travailleurs n’épargnent pas la direction de Paris Dauphine. « Ils sont largement complices », lâche Ladji. Les salariés accusent notamment l’université d’avoir fourni à l’entreprise les images de vidéosurveillance montrant qu’ils ne badgeaient pas. La direction, de leur côté, a refusé toute rencontre avec les grévistes. « On a un message au directeur de l’université : il ne peut pas faire du profit sur le dos des misérables, sur nous, les travailleurs invisibles », lance un gréviste.

Fortes tensions

Pis, la direction de l’Université a largement renforcé les effectifs de sécurité pour, les premiers jours, empêcher les grévistes et leurs soutiens d’accéder à l’université. Ce qui a donné des situations tendues. « Les premiers jours étaient très compliqués. Il y a eu de fortes tensions devant la faculté », raconte Mohammed Anjjar, membre du bureau de la CFDT Propreté. Il assure que deux militants ont même dû être hospitalisés quelques heures après des bousculades. Contactés, Paris Dauphine et OMS Synergie n’ont pas répondu à nos sollicitations.

(Photos : Pierre Jequiez-Zalc.)

Il est peu après 9 heures quand ce militant syndical s’empare d’un mégaphone et réunit les salariés grévistes présents. Il a une bonne nouvelle à annoncer. « Après des négociations avec OMS Synergie, nous semblons nous diriger vers une réintégration sans condition des dix salariés licenciés », annonce-t-il, sous les applaudissements des grévistes. Une question demeure toutefois : une éventuelle sanction pour ces salariés qui ne badgeaient pas. « La direction parlait d’une mise à pied, mais elle a abandonné », assure Mohamed Anjjar.

Les négociations se poursuivent ce mardi après-midi, notamment sur les conditions de travail. Les travailleurs demandent ainsi une amélioration de celles-ci avec, par exemple, l’obtention d’un treizième mois. « Et si OMS ne veut pas, on ira demander directement à l’université », promet le cédétiste. Mais pour les travailleurs, la réintégration de leurs collègues est déjà une immense victoire. « L’essentiel est là. Ce mouvement qu’on a mené tous ensemble me rend fier », glisse Bihaky. Où quand la lutte paie.

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Travail
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