À Blois, Olivier Faure tente de tenir les murs de la vieille maison socialiste

Réuni dans le Loir-et-Cher pour son université d’été, le Parti socialiste est tiraillé sur la stratégie à adopter concernant les compromis à accepter face à Emmanuel Macron et le soutien accordé à Lucie Castets. En toile de fond, l’alliance avec La France insoumise divise toujours autant.

Lucas Sarafian  • 1 septembre 2024 abonné·es
À Blois, Olivier Faure tente de tenir les murs de la vieille maison socialiste
Olivier Faure, avant son discours de clôture lors du Campus du parti à Blois, le 31 août 2024.
© GUILLAUME SOUVANT / AFP

La guerre de Blois aura-t-elle lieu ? Dans le chef-lieu du Loir-et-Cher, les vestiges du passé médiéval constituent le décor parfait. Mais cette fois, les chevaliers laissent placent à des centaines de socialistes et les épées sont remplacées par des désaccords stratégiques, des divergences programmatiques et des textes d’orientation. La petite pièce de théâtre est, certes, moins spectaculaire. Néanmoins, une université du parti à la rose peut être tout aussi sanglante.

« Une université d’été, c’est surtout l’occasion d’un grand rassemblement des socialistes. Mais ça n’empêche pas le débat interne », euphémise Romain Eskenazi, nouveau député du Val-d’Oise. Parler de « débat interne » serait édulcorer la situation. Car la grande famille socialiste, qui se réunit du jeudi 29 au samedi 31 août à la Halle aux grains et aux alentours, se déchire sur tout ou presque.

Nous sommes en train de nous fourvoyer. Suivre la ligne de Mélenchon est une erreur.

H. Geoffroy

En haut de la pile des sujets qui fâchent, le soutien accordé au parti à Lucie Castets, le choix du Premier secrétaire, Olivier Faure, d’avoir accepté, comme les autres partenaires du Nouveau Front populaire (NFP), de boycotter les consultations d’Emmanuel Macron. Et surtout, l’alliance avec La France insoumise (LFI). En vérité, c’est toujours ce dernier sujet qui anime les opposants de Faure. Ils jugent leur patron « systématiquement soumis aux insoumis », « mutique face au diktat de Jean-Luc Mélenchon » ou « rendu inaudible à côté du bruit et de la fureur ».

Centre de la gauche

« Nous sommes en train de nous fourvoyer. Suivre la ligne de Mélenchon est une erreur, une spirale négative. Sa volonté de provoquer une présidentielle anticipée, nous n’y survivrons pas », charge la maire de Vaulx-en-Velin (Rhône) et proche de François Hollande, Hélène Geoffroy, qui profite d’une table-ronde consacrée à l’analyse des européennes et des législatives le jeudi 29 août pour rentrer dans le vif du sujet.

Assis à sa droite, David Assouline, ex-sénateur de Paris, en remet une couche : « Avec Mélenchon et LFI, la ligne rouge est dépassée et les Français le savent. Dans quel moment de notre histoire avons-nous eu pour partenaire un parti considéré comme le plus antisémite de France ? » Reconverti avocat de la défense d’Olivier Faure, Pierre Jouvet, secrétaire général du parti et élu récemment eurodéputé, leur répond que « depuis 2022, nous n’avons fait que progresser, car le PS a repris sa place au centre de la gauche ».

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Tout le débat qui traverse le Parti socialiste (PS) est peut-être résumé dans cet échange. Du côté d’Hélène Geoffroy, du maire de Rouen, Nicolas Mayer-Rossignol, de la présidente de la région Occitanie, Carole Delga, et de tout ce qu’il reste de l’aile droite, on plaide pour reprendre les discussions avec Emmanuel Macron en vue de tenter d’imposer n’importe quel Premier ministre de gauche et de s’émanciper de LFI une bonne fois pour toute. De l’autre côté, celui d’Olivier Faure et de sa direction, on exclut toute possibilité de s’extirper du giron du NFP.

Supplétifs de la macronie

À l’extérieur de la Halle aux grains, Olivier Faure tente d’ignorer les sujets qui secouent son parti : « Tous les socialistes soutiennent le NFP et considèrent que nous ne pouvons pas devenir les supplétifs de la macronie. » Circulez, y’a rien à voir. Cependant, les mots d’Alexis Corbière le trahissent. L’ex-insoumis qui siège désormais au sein du groupe écologiste à l’Assemblée nationale est venu calmer les ardeurs des opposants à Olivier Faure qui voudraient couper les ponts avec le mouvement mélenchoniste : « Emmanuel Macron a échoué trois fois. La gauche a réussi à se rassembler face à l’extrême droite. Et les manœuvres macronistes pour fissurer le NFP ont échoué. Alors ne les aidons pas à réussir leur manœuvre, il faut aider l’unité. »

La question, c’était de savoir quel projet aurait pu obtenir une majorité à l’Assemblée.

R. Glucksmann

Peu avant 18 heures, un autre opposant à Olivier Faure fait son apparition. Il ne fait pas partie de l’appareil, mais il a réussi à se créer une place plus qu’importante au sein de la gauche : Raphaël Glucksmann. Avec son score aux européennes (13,83 %), il est impossible de snober l’ex-tête de la liste d’alliance entre les socialistes et son micro-parti, Place publique. Même si entre le patron des roses et lui, les relations sont glaciales depuis le 9 juin.

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En entrant dans l’enceinte de l’université d’été, l’eurodéputé ne se prive pas pour partager ses petites leçons de politique adressées à Olivier Faure. « Au lieu de s’enfermer dans une salle pour régler des questions de casting, il fallait discuter avec les autres groupes. Le problème a été pris par le mauvais bout. La question, c’était de savoir quel projet aurait pu obtenir une majorité à l’Assemblée, explique Glucksmann devant la presse avant de participer à une table-ronde réunissant les parlementaires socialistes. Aujourd’hui, Jupiter, c’est fini. Ce sont les forces politiques à l’Assemblée qui doivent faire émerger un projet. Ce sont les forces au Parlement qui doivent désormais déterminer la stabilité du gouvernement. »

Celui qui compte se propulser sur la scène nationale en organisant sa rentrée en octobre rejoint ainsi les critiques émises dans les rangs d’Hélène Geoffroy et de Nicolas Mayer-Rossignol. Le château d’Olivier Faure semble assiégé.

Mauvaise foi

Le lendemain matin, vendredi 30 août, le Premier secrétaire et son clan composé de Pierre Jouvet, la maire de Nantes, Johanna Rolland, Mathieu Klein, le responsable des élections du parti, Sébastien Vincini, les porte-parole Dieynaba Diop et Chloé Ridel, la présidente des Jeunes socialistes, Emma Rafowicz, et la sénatrice de Seine-Saint-Denis Corinne Narassiguin, convoquent la presse. Le patron des roses est en colère. « Il n’y a pas ici de clivage entre ceux qui seraient favorables au compromis et ceux qui ne le seraient pas », dit-il.

Avant chaque campus, la minorité explique qu’il y aura du sang sur les murs.

O. Faure

Faure dénonce la « mauvaise foi » de ses opposants : « Dire ‘tout le programme, rien que le programme’, peut-être que Jean-Luc Mélenchon peut continuer à le dire, mais qu’importe ! » Et d’ajouter : « Avant chaque campus, la minorité explique qu’il y aura du sang sur les murs, et vous arrivez et vous êtes déçus. »

Mais dans la journée, un nom agite les esprits : Bernard Cazeneuve. L’hypothétique nomination de l’ancien socialiste à Matignon donne du grain à moudre aux troupes de Geoffroy et de Mayer-Rossignol. Pourquoi faudrait-il censurer automatiquement un gouvernement dirigé par l’ancien ministre de l’Intérieur et Premier ministre de François Hollande ? « C’est un homme de gauche, républicain, universaliste. Il ne sera pas la roue de secours d’un pouvoir finissant », promet François Kalfon, eurodéputé et soutien d’Hélène Geoffroy.

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« S’il devait être nommé, c’est qu’il aurait les leviers pour agir positivement sur le quotidien des Français. Bernard Cazeneuve a déjà été Premier ministre et il n’est pas demandeur. S’il accepte, c’est qu’il aura les moyens de mener sa politique, prédit Baptiste Ménard, membre du bureau national du PS et engagé au sein de La Convention, la petite formation lancée en 2023 par l’ex-patron de la place Beauvau. Dans ce cas, le PS devra sortir des postures et agir dans l’intérêt des compatriotes. »

Selon les détracteurs d’Olivier Faure, le PS doit se saisir de cette opportunité pour accéder au pouvoir et tenter de pousser à gauche la politique macroniste. Pour la direction d’Olivier Faure, hors de question d’adopter la stratégie qui condamnerait les socialistes à devenir une béquille du macronisme. La gauche a une candidate : Lucie Castets. Un point c’est tout.

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Pour garder la main, Olivier Faure veut une démonstration de force. Et voilà qu’aux environs de 15 heures, les cadors de toutes les grandes chapelles de la gauche atterrissent à Blois pour accueillir Lucie Castets sur le parvis de la Halle aux grains. Parmi eux, Marie Pochon, Cyrielle Chatelain, Marine Tondelier, Charles Fournier et David Cormand pour les écologistes, Léon Deffontaines et Igor Zamichiei pour les communistes, Alexis Corbière, Raquel Garrido et Clémentine Autain pour les « purgés » de LFI. Escortée par Johanna Rolland, Olivier Faure et Pierre Jouvet, Lucie Castets défend l’unité coûte que coûte : « Le Nouveau Front populaire est uni. Et il faut que le Nouveau Front populaire reste uni pour répondre au blocage du pays. »

Vérité parallèle

Les opposants ne comptent pas se laisser faire. Ils donnent rendez-vous à la presse à 16 heures de l’autre côté de la Halle aux grains, place Jean Jaurès. Ils veulent prouver qu’ils pèsent encore dans le parti. Hélène Geoffroy, Carole Delga, Nicolas Mayer-Rossignol, le maire de Montpellier, Michael Delafosse, et l’édile de Saint-Ouen (Seine-Saint-Denis), Karim Bouamrane, s’avancent, soutenus par tout ce qu’il reste d’éléphants dans le paquebot socialiste : l’ancien Premier secrétaire Jean-Christophe Cambadélis, l’ex-ministre hollandais Stéphane Le Foll, le patron du groupe des sénateurs, Patrick Kanner, l’ancien maire d’Argenteuil (Val-d’Oise) Philippe Doucet, l’ex-député des Bouches-du-Rhône Patrick Mennucci, l’ancien sénateur David Assouline et l’eurodéputé Jean-Marc Germain.

C’est soit la discorde, c’est-à-dire le chaos, soit la concorde, c’est-à-dire la responsabilité.

K. Bouamrane

La vieille garde socialiste veut croire qu’elle ne compte pas pour du beurre. « Faire venir Lucie Castets, je n’ai rien contre elle, mais c’est vivre dans une réalité parallèle », lâche à quelques journalistes Philippe Doucet, agacé par l’entêtement d’Olivier Faure à soutenir une candidate qui n’a pas été nommée par Emmanuel Macron. « Nous sommes dans un moment de clarification nécessaire du PS qui doit rester un parti de gouvernement », estime Hélène Geoffroy qui pousse pour que le PS soutienne un gouvernement dirigé par n’importe quel Premier ministre issu de la famille social-démocrate.

« Est-ce que nous sommes en capacité de mettre en œuvre tout notre programme ? Ce n’est pas possible. Donc c’est soit la discorde, c’est-à-dire le chaos, soit la concorde, c’est-à-dire la responsabilité. Au PS, nous devons être responsables », annonce Karim Bouamrane.

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Tous ces mots seront très vite oubliés. Car à l’intérieur de la Halle aux grains, se tient un meeting XXL qui n’était pas prévu il y a 48 heures. Sur scène, Lucie Castets, Marine Tondelier, Léon Deffontaines, Clémentine Autain, Eric Coquerel prêtent leur aide à Olivier Faure pour plaider l’exigence de l’union des gauches. Pour Clémentine Autain, « l’idée que Bernard Cazeneuve ou Karim Bouamrane ou d’autres puissent accepter d’être Premier ministre dans ces conditions pour non pas assurer la stabilité du pays, mais pour assurer la continuité de la politique d’Emmanuel Macron, ce n’est pas acceptable ».

Si vous voulez gouverner sans le Nouveau Front populaire avec la droite, vous serez la droite.

O. Faure

Selon Marine Tondelier, « pour que la gauche continue d’avoir son influence, il faut qu’elle reste unie. Ce que je dis pour le Nouveau Front populaire, je le dis aussi pour le Parti socialiste ». Plus sobre, Lucie Castets rappelle que l’union est impossible sans cette « famille ombrageuse, et parfois traversée de désaccords, au cœur de la gauche et aux côtés des combattants du progrès ».

Avertissement

Au tour de l’accusé de se défendre. « 166, c’est la coalition présidentielle. 193, c’est le Nouveau Front populaire. Faites le calcul : il suffirait que 14 députés socialistes acceptent demain de rejoindre la coalition Ensemble pour que la majorité relative passe de gauche à droite. Et c’est la raison pour laquelle Emmanuel Macron est prêt à vous lâcher tous les noms, il est prêt à vous dire que vous pourrez tout avoir, analyse Olivier Faure. Si vous voulez gouverner sans le Nouveau Front populaire avec la droite, vous serez la droite. Et on n’a jamais vu une équipe de droite faire une politique de gauche. » Gare à ceux qui voudraient sortir du rang.

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Lors du discours de clôture le lendemain matin, le Premier secrétaire répète sa plaidoirie en utilisant à peu près les mêmes termes. Plus unitaire que jamais, Olivier Faure se met à envisager une primaire de la gauche pour déterminer le ou la candidate du Nouveau Front populaire pour la prochaine présidentielle. Il pose toutefois quelques conditions : « Il n’y aura pas de candidature autoproclamée, il y aura un processus commun qui conduit à la victoire. Personne ne peut s’imposer de lui-même, personne ne peut dicter aux socialistes, aux écologistes, aux communistes et aux insoumis ce qu’est la façon de procéder. » Une façon de contenter ses opposants qui l’accusent de se mettre dans la roue des insoumis sans réfléchir.

Nous avons parfois su nous montrer extrêmement divisés. Et à ces moments-là, nous avons beaucoup déçu.

O. Faure

Néanmoins, il avertit très sèchement les courants internes qui menacent de le faire tomber lors du prochain congrès du parti en début d’année 2025 : « Nous avons parfois su nous montrer extrêmement divisés. Et à ces moments-là, nous avons beaucoup déçu. La première chose qui nous a toujours été reprochée, ce sont ces jeux de rôle permanents à l’approche de chaque congrès, lorsque chacun cherche à se compter, à trouver des divisions artificielles, développe Faure. J’aimerais tellement faire ce vœu qu’un jour, notre campus ne soit pas l’occasion de faire entendre nos divergences, d’expliquer à quel point nous serions divisés, de faire en sorte que les médias ne parlent que de ça. » Mais le Parti socialiste est aussi habitué à ce genre de vœux pieux.

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