Comment Emmanuel Macron verrouille violemment la presse

Des journalistes ont été empêchés de suivre un bain de foule du chef de l’État à Montréal. Une atteinte brutale à la liberté d’informer, qui n’est pas la première depuis le premier quinquennat du président de la République.

Nils Wilcke  • 30 septembre 2024 abonné·es
Comment Emmanuel Macron verrouille violemment la presse
Le président français Emmanuel Macron et le Premier ministre canadien Justin Trudeau, devant la communauté française, à Montréal (Canada), le 26 septembre 2024.
© Ludovic MARIN / AFP

Emmanuel Macron n’a cessé de restreindre l’accès des journalistes à l’information, sous sa présidence, quitte à recourir à des moyens coercitifs. Dernier exemple en date ce dimanche, « les forces de l’ordre, sur consigne de l’Élysée, ont empêché des journalistes du pool TV français de couvrir un bain de foule en partie hostile au président », lors d’un déplacement à Montréal, selon l’Association de la presse présidentielle. L’APP, qui rassemble les journalistes chargés de suivre l’actualité de la présidence de la République française, conteste « cette interdiction d’accéder à une scène publique qui va à l’encontre de la liberté d’informer » dans un tweet publié sur X (ex-Twitter).

Coups de fil menaçants

Un message qui a provoqué la fureur d’Anastasia Colosimo, conseillère « communication internationale » de M. Macron, envers les journalistes accrédités, selon les informations de Politis. La politologue, recrutée par Emmanuel Macron il y a deux ans, s’est efforcée de faire retirer à l’APP son tweet, en vain. « Ça a bien tangué », souffle une journaliste, qui décrit « une gueulante » et plusieurs « coups de fil menaçants » de l’Élysée. « Elle est complètement tarée, elle menace les gens, c’est une dingue », souffle une autre consœur, qui décrit un « profil sulfureux », référence aux amitiés de la collaboratrice d’Emmanuel Macron avec Sarah Knafo, la conseillère et compagne d’Éric Zemmour et son travail de communication dans les pays du Golfe.

Le président se trouvait le 27 septembre dans le vieux Montréal, le quartier historique de la ville, lors d’une déambulation après une conférence de presse commune avec le premier ministre canadien Justin Trudeau. « Il y avait un petit bain de foule mais la majorité des gens n’étaient pas hostiles. Et là, une jeune femme (palestinienne, N.D.L.R.) a commencé à hurler « Vous avez du sang sur les mains », et autre un homme a crié : « Honte à vous, Macron démission », relate un journaliste sur place.

Le président s’explique avec la jeune Palestinienne, répétant qu’il « respecte son émotion et sa colère » mais qu’il « appelle au cessez-le-feu depuis octobre 2023 ». 

La séquence est captée par les journalistes au moyen de leurs téléphones, comme Sehla Bougriou, du service politique de LCI ou encore Mathieu Coach, de BFM TV, mais sans les caméras de l’une des deux équipes de pool qui suivent en principe le président. Une situation anormale.

« Même quand le déplacement présidentiel est chiant, on sait qu’il se passera sûrement un truc pendant le bain de foule donc il y a toujours l’équipe de pool », témoigne un journaliste rodé à ces déplacements. Sollicités par Politis, ni Sehla Bougriou ni Mathieu Coach n’ont voulu s’exprimer, renvoyant au communiqué de l’APP.

« Le CRS a refusé de laisser passer les journalistes »

« Le pool était à deux endroits différents, une équipe derrière un barrage de policiers canadiens avec une conseillère de l’Élysée qui n’a rien fait pour leur permettre d’accéder et une autre dans un restaurant avec un agent de la CRS 1 », dédiée à la protection des personnalités. Le cameraman, le preneur de son et le coordinateur sont retenus par le CRS. « Le CRS a refusé de les laisser passer. C’est scandaleux, on est à l’étranger et le président se trouvait dans un lieu public », explique un confrère présent sur les lieux.

Dehors, Anastasia Colosimo vitupère contre les journalistes présents lors de l’échange tendu entre le président et la manifestante : « Vous êtes insupportables », s’exclame la conseillère présidentielle, tandis que patron finit par quitter le bain de foule sans que les journalistes du pool aient pu capter ces échanges. L’Élysée n’a pas répondu à nos questions au moment où nous publions cet article mais minimise l’incident auprès de Libération : « Emmanuel Macron s’apprêtait à entrer dans un bâtiment avant d’être pris à partie. Le service de presse a donc jugé qu’il n’y avait pas besoin que le pool TV se déplace », indique une source du palais au journal.

Il faut tenir les journalistes à distance (…), trouver une présence directe, désintermédiée au peuple. 

E. Macron

La volonté d’Emmanuel Macron de mettre la presse à distance « est cohérente avec ce qu’il a théorisé dès le début », rappelle l’historien des médias Alexis Lévrier auprès de Politis, auteur de Jupiter et Mercure. Le pouvoir présidentiel face à la presse (éd. Les Petits Matin, 2021). Le candidat considère qu’il faut « faut tenir les journalistes à distance (…), trouver une présence directe, désintermédiée au peuple », confie-t-il à l’écrivain Philippe Besson pour son livre Un personnage de roman, publié chez Julliard en 2017. Conseillé par Bruno-Roger Petit, le président s’est abreuvé des leçons du communicant de François Mitterrand, Jacques Pilhan, qui a théorisé la notion de président « jupitérien ».

Brutalité

Problème, outre que cette méthode des années quatre-vingt n’est plus valable à l’ère des réseaux sociaux, « Emmanuel Macron, s’il n’est pas le premier à vouloir contourner les journalistes est probablement celui qui a poussé le plus loin cette conception de la communication, jusqu’à ce que ses collaborateurs usent de brutalité en son nom », explique M. Lévrier. L’historien des médias rappelle le cas du paparazzi Thibaut Daliphard, agressé par Alexandre Benalla, lors de vacances du couple présidentiel à Marseille. La plainte du président avait été classée sans suite par le parquet, et non retirée par ses soins, comme l’Élysée avait alors tenté de le faire croire à la presse.

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Ces méthodes s’apparentant à de la censure ne sont pas neuves sous la présidence d’Emmanuel Macron. Dès 2020, l’APP s’alertait d’une « dégradation » inédite « de la couverture des déplacements présidentiels » après que les équipes de l’Élysée ont « empêché ou interrompu des journalistes lors de prises de vues ou de sons lors d’échanges du chef de l’État ». Menace de fermeture de la salle de presse de la cour d’honneur de l’Élysée, fin de la publication de l’agenda du président pendant plusieurs périodes, délibérations à huis clos du conseil de défense, Emmanuel Macron n’a cessé de restreindre l’accès des journalistes à l’information, comme l’a relaté Le Monde en début d’année.

Emmanuel Macron feint de ne pas comprendre que son comportement pose de réels problèmes démocratiques.

A. Lévrier

Mais ce que le public ignore, c’est que les policiers ont déjà tenté empêcher les journalistes français de faire leur travail lors d’une visite d’État aux Pays Bas, en avril 2023, selon nos informations. Le président est interrompu par deux fois, en plein discours par des manifestants à La Haye puis à l’université d’Amsterdam devant des étudiants triés sur le volet. « L’Élysée panique et tente d’exfiltrer les journalistes à la salle de presse, et a retenu au moins un journaliste, je crois que c’était Bastien Augey », toujours flanqué CRS de la 1re compagnie, témoigne un participant.

« Ce sont des fous furieux à l’Élysée »

Notre confrère de TF1, reporter politique et président de la SDJ de la rédaction, n’a pas souhaité réagir. « Ils ont aussi empêché les photographes de prendre des photos de l’évènement en se plaçant devant les vitres », se souvient notre source. D’autres incidents émaillent régulièrement les déplacements du chef de l’État, comme l’ont confié plusieurs journalistes à Politis, toujours sous le sceau de l’anonymat. « C’est la loi du silence, à l’Élysée, si vous parlez, vous êtes mort. C’est terrifiant », justifie l’un d’eux.

« Ce sont des fous furieux », confie un autre journaliste qui a participé à plusieurs déplacements du président. Ils peuvent même appeler des patrons de chaîne pour se plaindre .» « Emmanuel Macron feint de ne pas comprendre que son comportement pose de réels problèmes démocratiques, cela participe aux violences contre les journalistes », observe Alexis Lévrier.

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