Le gouvernement Barnier, comme un air de revanche des perdants

L’équipe de Michel Barnier comporte quelques personnalités qui ont connu des défaites électorales récentes. Une nouvelle forme de mépris du vote des Français.

Pierre Jequier-Zalc  et  Lucas Sarafian  et  Thomas Lefèvre  • 23 septembre 2024 abonné·es
Le gouvernement Barnier, comme un air de revanche des perdants
Le nouveau ministre de l'Intérieur Bruno Retailleau et le nouveau ministre délégué à la Sécurité quotidienne Nicolas Daragon, lors de cérémonie de passation de pouvoirs au ministère de l'Intérieur à Paris, le 23 septembre 2024.
© Alain JOCARD / AFP

Les derniers seront-ils les premiers ? Michel Barnier et Emmanuel Macron ont peut-être pensé à cet adage au moment de former le nouveau gouvernement. Cette équipe comporte en effet de nombreux profils ayant connu des défaites politiques récentes. Le choix de nommer ces figures rejetées par le vote raconte la volonté du chef du gouvernement et du président d’ignorer le résultat des élections.

Michel Barnier, minoritaire dans sa propre famille politique

Un jour, l’ex-représentant de l’Union européenne en charge des négociations sur le Brexit a voulu être président. En vue d’être investi par les Républicains pour la présidentielle de 2022, il se présente au congrès de son parti en 2021. Face à Éric Ciotti, Valérie Pécresse, Xavier Bertrand et Philippe Juvin, il arrive à se hisser en troisième position. Avec 23,93 %, il ne se qualifie pas au second tour. Valérie Pécresse remportera la primaire devant Éric Ciotti pour un résultat très décevant à l’élection suprême pour cette famille politique (4,78 %). Il se retrouve aujourd’hui chef d’un gouvernement à la majorité parlementaire très précaire.

Bruno Retailleau, trois défaites dans le CV

Le sénateur de Vendée est membre de la Chambre haute depuis vingt ans sans discontinuité. Passé par le Mouvement pour la France (MPF), une formation créée par Philippe de Villiers, il entre à l’UMP en 2010 et préside le groupe au Sénat. Entre-temps, il devient l’un des plus fidèles de François Fillon. Pour la présidentielle de 2017, il est coordinateur de la campagne de l’ex-premier ministre de Nicolas Sarkozy, plombée par l’affaire d’emploi fictif du « Penelope gate ». Avec tout juste 20 %, Fillon n’accède pas au second tour. Mais Retailleau récupère sa microformation, Force républicaine.

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En 2020, il se déclare candidat pour la primaire de son parti en vue de la présidentielle deux ans plus tard. Mais il renonce un an plus tard, reconnaissant « en toute sincérité » qu’il n’est pas « le mieux placé pour battre Emmanuel Macron », dans Le Figaro. Après l’échec de Valérie Pécresse, il se déclare candidat pour ravir la présidence du parti. Le soutien de Gérard Larcher, Othman Nasrou, François Fillon, François-Xavier Bellamy ne l’aide pas : il se qualifie au second tour mais perd face à Éric Ciotti. Nouvel échec. Il peut toujours se consoler en restant chef de file des sénateurs des Républicains. Et désormais, ministre de l’Intérieur.

Laurent Saint-Martin, un ex-député battu par l’insoumis Louis Boyard

Fidèle historique d’Emmanuel Macron, Laurent Saint-Martin se présente dans le Val-de-Marne lors des législatives de 2017. Il devient dans la foulée vice-président de la commission des Finances. Pressenti pour entrer au gouvernement dès les débuts de son mandat, il est rapporteur général du budget en 2020. Quelques mois plus tard, il porte les couleurs du camp présidentiel pour les élections régionales en Île-de-France. Échec cuisant. Avec 11,8 %, sa liste se place au premier tour en quatrième position, derrière Valérie Pécresse, Julien Bayou et Jordan Bardella. Au deuxième tour, il n’arrive pas non plus à améliorer son score : 9,62 %.

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Mais ce n’est pas sa seule défaite récente. Aux législatives de 2022, le député sortant espère garder sa circonscription. La figure de la majorité affronte un jeune étudiant en droit de 21 ans, Louis Boyard. Au second tour, il tombe, ne recueillant que 48,02 % des voix. Insuffisant face à l’ancien président du syndicat lycéen UNL et visage émergent de La France insoumise. Le voilà aujourd’hui repêché dans la première équipe gouvernementale de Michel Barnier, en charge du Budget et des comptes publics.

François Durovray, soutien de Xavier Bertrand, mis en échec par le cheminot Bérenger Cernon

Le tout nouveau ministre des Transports n’a pas un parcours sans embûche. Le président du conseil départemental de l’Essonne s’engage en vue de la présidentielle de 2022 : il soutient Xavier Bertrand. Mauvais choix. Porte-parole lors de sa campagne, il assiste à l’échec de son champion à la primaire des Républicains. Car avec 22,36 %, le président de la région Hauts-de-France n’est pas au second tour. En 2024, lors des législatives anticipées, il se présente dans la 8e circonscription de l’Essonne. Face à Nicolas Dupont-Aignan et le candidat du Nouveau Front populaire (NFP), cheminot et syndicaliste, Bérenger Cernon, il ne fait pas le poids au second tour. Il termine troisième de cette triangulaire avec 22 %. Il est aujourd’hui propulsé ministre délégué aux Transports.

Marie-Claire Carrère-Gée, sénatrice après trois élections perdues

Marie-Claire Carrère-Gée est nommée au poste de ministre déléguée chargée de la Coordination gouvernementale, un poste inédit. Proche de Michel Barnier, elle est sa directrice de campagne pour la primaire de 2021, avant de rejoindre l’équipe de Valérie Pécresse pour la présidentielle de 2022. Avec le résultat que l’on connaît. Mais cela ne s’arrête pas là. Car Carrère-Gée échoue à trois reprises à remporter les élections municipales du 14e arrondissement de Paris, en 2008, en 2014 et en 2020. Elle finit par être élue sénatrice de Paris, lors des élections sénatoriales de 2023.

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Salima Saa, une cadre commerciale jamais élue

En 2017, Macron déclare que l’égalité entre les femmes et les hommes serait la « grande cause du quinquennat ». Une ambition revue à la baisse sous Barnier : le ministère de l’Égalité femmes-hommes devient un simple secrétariat d’État, avec Salima Saa à sa tête. Diplômée d’école de commerce, la femme d’affaires de 53 ans n’a essuyé que des défaites lorsqu’elle s’est confrontée au vote des Français. Lors des élections législatives de 2012, elle est parachutée dans la huitième circonscription du Nord avec l’étiquette de l’UMP et arrive quatrième avec 13,17 % des voix. La légitimité de cette cadre dans le privé a de quoi interroger.

Othman Nasrou, aucune victoire et une campagne catastrophique

Membre des Républicains, il occupe le poste de secrétaire d’État chargé de la Citoyenneté et de la lutte contre les discriminations au sein du gouvernement Barnier. Arrivé en quatrième place dans la 3e circonscription des Yvelines lors des élections législatives anticipées de 2024 (17 %), Othman Nasrou est habitué aux défaites. Il est candidat aux élections municipales de Trappes (Yvelines) en 2014, battu au second tour avec 30,53 % des voix.

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En 2020, il perd de nouveau les municipales mais conteste le résultat des élections. Le conseil d’État lui donne raison et de nouvelles élections sont organisées en 2021. Nouvel échec pour Nasrou. Il est toutefois élu conseiller municipal. Proche de Valérie Pécresse, il devient conseiller régional en 2015 puis vice-président de la région Île-de-France en 2020. Lors des dernières européennes, il est nommé directeur de campagne de François-Xavier Bellamy. Une élection dans laquelle son parti obtient un score historiquement bas de 7,24 %.