Mathilde Panot : « Emmanuel Macron est en train de dégoûter les Français du vote »

« Tous les démocrates doivent s’inquiéter de la dérive autoritaire d’Emmanuel Macron. » Entretien avec Mathilde Panot, députée et présidente du groupe LFI à l’Assemblée nationale, ne mâche pas ses mots contre le président de la République, après la nomination à Matignon de Michel Barnier.

Lucas Sarafian  • 10 septembre 2024 abonné·es
Mathilde Panot : « Emmanuel Macron est en train de dégoûter les Français du vote »
Mathilde Panot, à Paris, le 9 septembre 2024.
© Maxime Sirvins

Mathilde Panot est née le 15 janvier 1989 à Tours (Indre-et-Loire). Après avoir travaillé dans une association des quartiers populaires à Grigny (Essonne), elle s’engage en politique auprès de Jean-Luc Mélenchon dès 2015. Députée du Val-de-Marne depuis 2017, elle préside le groupe parlementaire insoumis depuis 2021. Elle fait partie de la garde rapprochée du fondateur de La France insoumise et triple candidat à la présidentielle.

Pendant 51 jours, Emmanuel Macron a tergiversé pour nommer un premier ministre, sans reconnaître pleinement le résultat des élections. Pendant ce temps, le gouvernement démissionnaire a publié des centaines de décrets et a préparé un budget en catimini. Quel regard portez-vous sur ce moment politique ?

Mathilde Panot : C’est très choquant. Emmanuel Macron mène la France à la fin de son projet démocratique. Le président a décidé de dissoudre l’Assemblée nationale sur demande du Rassemblement national (RN) et a utilisé les Jeux olympiques pour décréter une trêve de la démocratie. Il refuse toujours de reconnaître le résultat des urnes. Dans n’importe quel pays démocratique, le président doit nommer la personne désignée par la coalition arrivée en tête. Et c’est cette personne qui doit chercher une majorité pour gouverner. Le président de la République n’a pas le pouvoir de composer un gouvernement et de trouver une majorité parlementaire qui soutient un exécutif.

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Tous les démocrates doivent s’inquiéter de la dérive autoritaire d’Emmanuel Macron. Il est en train de dégoûter les Français du vote. Après la violence de la répression lors des gilets jaunes, lors des manifestations contre la réforme des retraites, lors des manifestations des défenseurs de l’eau à Sainte-Soline, le président franchit une nouvelle étape aujourd’hui. Le résultat du vote déplaît au monarque, il fait donc comme si l’élection n’avait jamais existé. Le Nouveau Front populaire a gagné les élections, cela veut dire que l’abrogation de la réforme des retraites, la gratuité de l’école, l’investissement dans les services publics, la reconnaissance de l’État de Palestine, le moratoire sur l’A69 ont gagné.

Michel Barnier a finalement été nommé à Matignon grâce à l’assentiment du RN. L’union des droites est-elle en marche ?

Cette nomination est une insulte adressée aux millions de Français qui se sont déplacés pour voter. Les Républicains (LR) sont minoritaires : ils ont recueilli 4,8 % à la présidentielle en 2022, 7 % aux européennes de 2024, 6 % aux législatives de 2024. Par ailleurs, Michel Barnier est un minoritaire chez les minoritaires puisqu’il est arrivé troisième lors de la primaire de la droite en 2021. C’est aussi un scandale démocratique car les Français ont voté pour battre l’extrême droite.

La nomination de Michel Barnier est une insulte aux Français.

Et Michel Barnier défendait il y a trois ans la suppression de l’aide médicale d’État, un moratoire sur l’immigration, la baisse du nombre d’étudiants étrangers, la baisse du regroupement familial… C’est tout simplement le programme du Rassemblement national. Il porte une orientation « macrono-lepéniste » et tient uniquement grâce au soutien de l’extrême droite.

Le 6 septembre après son rendez-vous avec Michel Barnier, le chef de file des sénateurs LR, Bruno Retailleau, a dit : « Sur l’immigration, j’ai senti que Michel Barnier voulait aller le plus loin possible ». Qu’est-ce que cela présage pour la suite de la politique française en matière d’accueil ?

Depuis 1980, une loi immigration qui durcit les conditions d’accueil est débattue tous les 18 mois. La mer Méditerranée est devenue le plus grand cimetière au monde et les responsables politiques continuent de réclamer un durcissement en matière d’immigration sans prendre au sérieux la catastrophe écologique qui va pousser de plus en plus de gens à être des réfugiés climatiques. C’est un échec monumental. Et avec Michel Barnier, il n’y aura aucune réorientation politique.

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Prenons l’exemple de l’aide médicale d’État. Un bénéficiaire sur quatre de cette aide est un mineur. Si Michel Barnier supprime cette aide comme il l’a promis en 2021, il refusera le droit à ce que tous les enfants soient soignés, donc il ne respectera pas la convention internationale des droits de l’enfant. Dans la septième puissance économique au monde, faire une politique de préférence nationale sur les enfants est d’une indignité totale.

Michel Barnier souhaite consulter toutes les forces politiques en vue de constituer son gouvernement. Que comptez-vous lui dire ?

La France insoumise n’a pas été contactée pour constituer un gouvernement. Et Michel Barnier a eu raison de ne pas le faire car nous travaillons uniquement à censurer son gouvernement et à destituer Emmanuel Macron. Nous n’accepterons jamais de nous faire voler cette élection.

Mathilde Panot
« Nous souhaitons que le procès de l’autoritarisme d’Emmanuel Macron se tienne. C’est sain de débattre en démocratie. » (Photo : Maxime Sirvins.)

Selon vous, qui pourrait soutenir la motion de censure pour qu’elle soit adoptée ?

Chaque député prendra ses responsabilités. Les élus macronistes sont dans une situation compliquée car ils pourraient soutenir un premier ministre désigné grâce au soutien de l’extrême droite. Chaque député prendra ses responsabilités face à la censure. La question se pose de ce que décideront de faire les députés du groupe Liot. J’appelle juste les macronistes à retrouver le goût de la démocratie. Lorsqu’il y a une élection avec un niveau de participation aussi important, il faut simplement respecter le résultat des urnes.

Quel espoir placez-vous dans le processus de destitution que vous défendez ?

La France a un problème et il a un nom : Emmanuel Macron. Le Président outrepasse le rôle que lui donne la Constitution. Selon la Ve République, il doit être garant des institutions républicaines. Or, il est devenu le responsable du blocage des institutions. Le processus de destitution permet de pointer le problème là où il est. Emmanuel Macron s’accapare le pouvoir alors qu’il l’a perdu. Et tout le monde est en train de s’en rendre compte. Au moment de faire cette proposition à la fin du mois d’août, 44 % des Français étaient favorables à la destitution. Une semaine après, nous arrivions à 49 %. Cette semaine, nous en sommes à 52 %. Cette procédure avance car elle a un fort appui populaire.

J’appelle les macronistes à retrouver le goût de la démocratie.

Institutionnellement, il faut 58 parlementaires pour déposer cette proposition et nous sommes 81. Cette proposition ira donc au bureau de l’Assemblée, et le Nouveau Front populaire y a la majorité. La destitution sera donc examinée en commission des lois et il faut qu’elle soit adoptée en commission pour être débattue dans l’hémicycle de l’Assemblée, puis au Sénat et, enfin, en Haute Cour. Il est possible que cette proposition soit soutenue car, à l’étape du bureau, nous ne demandons pas aux parlementaires de voter pour ou contre la destitution.

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Nous voulons qu’il y ait une discussion politique filmée sur le comportement dangereux et erratique du président de la République. En quelque sorte, nous souhaitons que le procès de l’autoritarisme d’Emmanuel Macron se tienne. C’est sain de débattre en démocratie. Cela permettra à cette question de devenir un débat politique partout dans le pays. Quant à ceux qui expliquent que nous ferions un coup d’État, le processus de destitution relève de l’article 68 de la Constitution. Donc cette initiative politique est tout simplement constitutionnelle.

Certaines figures macronistes expliquent que la gauche est responsable dans le fait qu’une figure issue de la gauche, en l’occurrence Bernard Cazeneuve, n’ait pas pu être nommée à Matignon. Que leur répondez-vous ?

Ce discours est ridicule. En vérité, les macronistes n’avaient pas prévu la création du Nouveau Front populaire, ils n’avaient pas non plus prévu que nous allions gagner les élections. Tout cela a contrecarré le plan d’Emmanuel Macron qui était de nommer Jordan Bardella comme Premier ministre. Quand Jean-Luc Mélenchon a posé la question du retrait de La France insoumise d’un gouvernement du Nouveau Front populaire, les macronistes ont répondu non. Donc le problème, ce ne sont pas les insoumis mais le programme que l’union des gauches porte.

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Notre programme, c’est la seule raison du refus d’Emmanuel Macron de nommer Lucie Castets. Il sait que nous aurions abrogé la réforme des retraites et augmenté le Smic à 1 600 euros dès l’instant que nous serions arrivés au pouvoir. Et nous aurions eu un soutien populaire tellement fort dans le pays que les parlementaires n’auraient pas pu nous censurer. Ce que les macronistes craignent, c’est notre projet qui vise à défaire l’ensemble de la politique d’Emmanuel Macron menée depuis sept ans.

Enfin, il faudrait clarifier un point concernant Bernard Cazeneuve. Il n’est pas membre du Nouveau Front populaire, il ne porte pas notre programme, c’est l’homme qui a soutenu le CICE, l’auteur de la loi qui porte son nom et qui a fait exploser le nombre de morts pour refus d’obtempérer, il était en responsabilité lors de la répression très forte du barrage de Sivens et de la mort de Rémi Fraisse. Nous avons été élus sur la base d’un programme et nous tiendrons parole.

Mathilde Panot
« Il faut rester autour de ce qui nous réunit, c’est-à-dire le programme. Nous avons des stratégies parlementaires et électorales différentes. Et elles resteront différentes. » (Photo : Maxime Sirvins.)

Continuez-vous à faire campagne derrière Lucie Castets ?

Elle est notre candidate à Matignon pour cette législature. Lucie Castets a travaillé à Tracfin, elle est spécialiste de la fraude et de l’évasion fiscale, donc elle sait où trouver l’argent. Elle porte aussi la question des services publics. Sa candidature reste plus que jamais d’actualité. Au moment où le Rassemblement national ne soutiendra plus Michel Barnier, la question de sa nomination se reposera.

Le Rassemblement national a annoncé vouloir déposer une proposition d’abrogation de la réforme des retraites lors de sa niche parlementaire le 31 octobre. Voterez-vous ce texte ?

Si Emmanuel Macron respectait la démocratie, nous aurions déjà abrogé cette réforme qui vole deux années de vie aux Français. Le Nouveau Front populaire est majoritaire au bureau de l’Assemblée nationale. Nous pouvons donc choisir l’ordre du jour des semaines de l’Assemblée. Nous pourrions donc abroger cette loi avant le jour de la niche du Rassemblement national qui n’a, en vérité, rien fait pour améliorer la vie des Français. Ce parti ne s’est pas battu à l’Assemblée, n’a pas soutenu les manifestations dans le pays et il s’est allié à Éric Ciotti qui défend la retraite à 67 ans. En plus de défendre un projet raciste, le RN est une arnaque sociale.

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Le Nouveau Front populaire est traversé par des désaccords. Comment préserver l’unité ?

Il faut rester autour de ce qui nous réunit, c’est-à-dire le programme. Nous avons des stratégies parlementaires et électorales différentes. Et elles resteront différentes. C’est aussi la force de notre union. La Nouvelle union populaire, écologique et sociale (Nupes) était une alliance composée uniquement de partis. Aujourd’hui, nous avons des vigies très fortes comme les syndicats et les associations qui ont participé à l’élan du Nouveau Front populaire. Il faut préserver cette construction.

« Nous sommes attentifs à chacune des positions des députés RN pour révéler l’arnaque sociale, démocratique, écologique et féministe que ce parti représente. » (Photo : Maxime Sirvins.)

Souhaitez-vous que l’union des gauches ouvre un débat sur un candidat commun en vue de la prochaine présidentielle en 2027 ?

Nous n’en sommes pas là. Les prochaines élections seront normalement les municipales ou les législatives si Emmanuel Macron décide de dissoudre une nouvelle fois. Je ne sais pas si l’unité sur un programme de rupture sera possible en 2027. Mais il faut réfléchir pour que la situation des deux dernières présidentielles, où Jean-Luc Mélenchon est empêché d’accéder au second tour pour quelques centaines de milliers de voix, ne se reproduise pas.

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Ce qui est certain, c’est que le bloc macroniste s’effondre. Il faut donc que nous travaillions pour réussir à battre l’extrême droite qui progresse partout sur le continent européen. À la fin, ce sera eux ou nous. Leonard Cohen chantait : « Il y a une fissure dans toute chose : c’est par là qu’entre la lumière. » Telle est notre tâche historique : rouvrir la brèche et aider les peuples en Europe.

Le RN est le groupe le plus important à l’Assemblée. Que faut-il faire pour renforcer le barrage républicain et faire refluer le vote RN grandissant dans le pays ?

D’abord, nous n’avons aucune leçon républicaine à recevoir des macronistes. Si les électeurs macronistes avaient autant voté pour les candidatures Nouveau Front populaire, pour faire barrage au RN, que les lecteurs de gauche ont voté pour les candidats macronistes, il y aurait 58 députés RN de moins dans l’Hémicycle. Ensuite, il faut continuer à sortir les gens de l’abstention, c’est comme cela que nous arrivons à faire nombre, à déjouer tous les sondages et à gagner les élections. Il faut combattre pied à pied l’extrême droite.

Nous continuerons de porter une voix antiraciste et antifasciste.

Nous sommes attentifs à chacune des positions des députés RN pour révéler l’arnaque sociale, démocratique, écologique et féministe que ce parti représente. Il ne faut pas se cacher et il faut combattre le RN sur le terrain du racisme. Gagner des victoires idéologiques. Lorsque nous avons gagné la constitutionnalisation de l’IVG, nous faisons aussi reculer l’extrême droite. Durant l’entre-deux-tours, nous avons montré le vrai visage violent et raciste du RN. Nous continuerons de porter une voix antiraciste et antifasciste. Nous refuserons toujours d’accepter une seule seconde leur cadre de pensée, leurs mots. Il ne faut rien lâcher, même pas un millimètre.

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