En nommant Michel Barnier, Emmanuel Macron fait le choix du RN

Plus de deux mois après les législatives, le chef de l’État choisit une figure de la droite en tant que nouveau Premier ministre. Un choix qui raconte le refus d’Emmanuel Macron de remettre en cause sa politique. Et entérine une entente de fait avec l’extrême droite.

Lucas Sarafian  • 5 septembre 2024 libéré
En nommant Michel Barnier, Emmanuel Macron fait le choix du RN
Michel Barnier, en novembre 2021, à Aix-les-Bains, lors de la primaire des Républicains pour la présidentielle 2022.
© OLIVIER CHASSIGNOLE / AFP

C’est la fin du feuilleton le plus long de l’été. Au bout d’une cinquantaine de jours d’interminables réflexions, de consultations sans fin et de calculs politiques incompréhensibles, Emmanuel Macron s’est décidé. Enfin. Par un communiqué de 6 lignes, le chef de l’État nomme à Matignon ce jeudi 5 septembre Michel Barnier, l’ex-négociateur en chef de l’Union européenne chargé du dossier Brexit et figure de la droite depuis près de cinquante ans. Il remplace donc Gabriel Attal, premier ministre démissionnaire depuis deux mois.

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Pour le camp présidentiel, Michel Barnier serait « Macron-compatible » et ne serait pas candidat en vue de la prochaine présidentielle en 2027 contrairement au président Les Républicains de la région Hauts-de-France, Xavier Bertrand, et l’ex-ministre socialiste Bernard Cazeneuve, soupçonnés de vouloir avancer leurs pions pour succéder à Emmanuel Macron. En quelques jours, le locataire de l’Élysée a testé un florilège d’options qui n’avaient pourtant presque rien en commun : Bernard Cazeneuve, Xavier Bertrand, le maire de Cannes, David Lisnard, Didier Migaud, le président de la Haute autorité pour la transparence de la vie publique, Thierry Beaudet, président du Cese, voire même l’ex-secrétaire générale de la CFDT, Laurent Berger.

Un choix de Kohler

Michel Barnier semble donc être loin d’être un plan A. Dans l’entourage du chef de l’Etat, c’est Alexis Kohler, secrétaire général de l’Elysée, qui aurait défendu son nom auprès d’Emmanuel Macron. « Il y a deux critères essentiels pour choisir le premier ministre dans le contexte politique actuel : il faut quelqu’un qui a de l’expérience et quelqu’un qui n’a aucune ambition personnelle », affirme Martin Garagnon, porte-parole d’Ensemble pour la République (EPR, Ex-Renaissance).

Emmanuel Macron est prêt à tout pour préserver son héritage néolibéral et sauver sa réforme des retraites.

B. Lucas

Dans le même temps, son accession à Matignon permettrait de parachever l’alliance entre Les Républicains et Emmanuel Macron. Car Michel Barnier a connu toutes les grandes chapelles de la droite de la Ve République. Il a été ministre de l’Environnement dans le gouvernement d’Édouard Balladur sous François Mitterrand, ministre des Affaires européennes puis des Affaires étrangères sous Jacques Chirac et ministre de l’Agriculture sous Nicolas Sarkozy. Barnier est encore apprécié dans son camp, et notamment par Laurent Wauquiez.

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Un avantage par rapport à Xavier Bertrand dont les relations avec le président du groupe de La Droite républicaine à l’Assemblée (ex-Les Républicains) sont glaciales. « Compte tenu du contexte politique, il est normal de vouloir chercher à construire un accord entre les groupes qui expriment aussi une proximité idéologique. Soit on considère que la France est bloquée, soit on essaie de progresser sur la sécurité, la santé, l’école… Pour cela, nous avons besoin d’alliés, donc on se tourne vers LR », estimait en juillet Eric Woerth, député EPR et transfuge des Républicains.

Droite radicalisée

« Emmanuel Macron est prêt à tout pour préserver son héritage néolibéral et sauver sa réforme des retraites, grince le député écologiste Benjamin Lucas. Après avoir refusé le droit à la gauche de gouverner, il ne lui restait plus d’autres choix que de se mettre dans la main de la droite radicalisée. » En effet, Michel Barnier, alors candidat à la primaire de son parti en 2021 pour la présidentielle de 2022, défendait un moratoire sur l’immigration adossé à un « bouclier constitutionnel » sur cette question, ce qui aurait pu permettre d’éviter à la France d’être condamné par la Cour de justice de l’Union européenne ou de la Convention des droits de l’homme.

Il faudra surtout que la gauche de gouvernement se ressaisisse et accepte de discuter, de faire des compromis.

M. Garagnon

En 1981, il votait en tant que député contre la dépénalisation de l’homosexualité pour les mineurs de plus de 15 ans, tout comme Jacques Chirac, François Fillon, Philippe Séguin, Alain Madelin, Jacques Toubon ou Jean-Louis Debré. Mais pour Emmanuel Macron, peu importe. Le voilà donc chargé de « constituer un gouvernement de rassemblement au service du pays et des Français », selon les mots du communiqué de l’Elysée.

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« On va continuer de tendre la main à la droite, mais aussi à la gauche, notamment sur l’augmentation du Smic. Dans le prochain gouvernement, il devrait y avoir des gaullistes sociaux, des membres du bloc central et des ministres sociaux-démocrates. Il n’est pas envisageable de constituer un gouvernement 100 % LR, ce groupe représente moins de 10 % à l’Assemblée. Mais il faudra surtout que la gauche de gouvernement se ressaisisse et accepte de discuter, de faire des compromis », annonce Martin Garagnon, porte-parole d’EPR.

Mépris

Mais il semble impossible que le profil de l’une des dernières figures qui se revendique encore comme gaulliste puisse empêcher le Nouveau Front populaire (NFP) de dégainer une motion de censure. Car la gauche estime que cette nomination figure comme une continuité de la politique macroniste. Emmanuel Macron souhaitait un « parfum de cohabitation », refusant de voir un chef de gouvernement opposé à sa politique.

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Selon le NFP, le choix de Michel Barnier est un mépris du résultat des législatives anticipées et une volonté, du côté du chef de l’État, de ne pas reculer sur une seule mesure : la réforme des retraites. Un totem pour le Président. Les quatre composantes de l’union des gauches n’ont donc aucune intention de sauver un exécutif qui ne défend pas l’abrogation de cette réforme, l’augmentation du Smic et une loi ambitieuse en faveur des services publics.

Alors que le peuple français s’est mobilisé pour faire obstacle à l’extrême droite, le président de la République nomme un gouvernement Macron/Le Pen.

M. Bompard

Néanmoins, les macronistes restent sûrs de leurs calculs : Michel Barnier ne serait pas censuré immédiatement par l’Assemblée nationale. Est-ce à dire que les macronistes comptent sur un soutien ou, a minima, une relative bienveillance du Rassemblement national (RN) ? « C’est l’intransigeance de la gauche qui, en refusant d’étudier d’autres options que Lucie Castets, a permis au RN d’être le pivot de l’Assemblée. La gauche était légitime à proposer un gouvernement à condition d’être en capacité de rassembler d’autres forces politiques. Mais elle ne voulait pas s’ouvrir aux autres. C’est ce comportement qui donne au RN un rôle d’arbitre. Donc il faut que le premier ministre ne fasse pas l’objet d’une détestation du RN », dit-on dans le camp d’Emmanuel Macron.

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« Alors que le Nouveau Front populaire est arrivé en tête des élections, le parti de Michel Barnier a fait 6,5 % aux élections législatives et a 40 députés à l’Assemblée nationale. Alors que le peuple français s’est mobilisé pour faire obstacle à l’extrême droite, le président de la République nomme un gouvernement Macron/Le Pen », dénonce sur X (ex-Twitter) le coordinateur de La France insoumise, Manuel Bompard.

Pour le moment, les troupes de Marine Le Pen à l’Assemblée ne prévoient pas de défendre une censure immédiate. Le discours de politique générale déterminera leur position. « Nous serons attentifs au projet qu’il portera, et attentifs à ce que les aspirations de nos électeurs, qui représentent un tiers des Français, soient entendues et respectées », écrit sur X la présidente du groupe RN et triple candidate à la présidentielle Marine Le Pen. Et la notion de cordon sanitaire de s’effacer encore un peu plus dans la pensée macroniste.

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