Avec Michel Barnier à Matignon, les droites en mode fusion
La désignation au poste de premier ministre de cette figure aux positions radicales précède la création d’une union des libéraux et conservateurs. La Macronie pourrait ainsi marcher dans le sillage de l’extrême droite.
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Et si c’était le dernier des gaullistes du pays qui arrivait à fracasser le paysage de la droite en France ? En nommant à Matignon Michel Barnier, qui se définit comme un libéral proeuropéen, Emmanuel Macron essaie, tant bien que mal, d’éviter une cohabitation qui s’inscrirait frontalement en opposition avec sa politique économique et sociale. Le chef de l’État était à la recherche d’un « parfum de cohabitation » ou d’une « coexistence exigeante ». Mais accepter l’analyse élyséenne serait ignorer une grande partie des positionnements du nouveau premier ministre.
Car, ces dernières années, Michel Barnier, issu d’une famille politique qui a refusé de faire front républicain entre les deux tours des législatives, s’est plutôt illustré avec des positionnements bien en phase avec la droite radicale sur les sujets régaliens. Candidat à la primaire de la droite en 2021, il propose un « moratoire » sur l’immigration pour freiner les régularisations et le regroupement familial, plaide pour le retour des peines planchers, ne s’empêche pas d’établir un lien entre les flux migratoires et le terrorisme, et défend la suppression du droit du sol à Mayotte. Loin du « gaullisme social » qu’il revendique.
Depuis sept ans, le chef de l’État s’emploie à aspirer l’électorat de droite, tentant de pousser l’espace idéologique macroniste en dehors du bloc central, en phase d’effritement depuis 2022. Mais en choisissant une personnalité aux positions compatibles avec le Rassemblement national (RN), Emmanuel Macron construit un pont volontaire avec l’extrême droite.
L’analyse est presque assumée au sein des troupes macronistes : « Michel Barnier est un grand Européen. C’est quelqu’un qui a une expérience de l’État très forte et qui permettra, avec [ses] prises de position en matière de sécurité et d’immigration, de répondre à la colère des Français qui s’est exprimée chez les électeurs du Rassemblement national », estime Mathieu Lefèvre, député Ensemble pour la République (EPR) et proche de Gérald Darmanin.
Le RN en position d’arbitre
À droite et au sein du bloc central, le poids de l’assentiment du RN dans le choix du premier ministre n’est pas nié. « Gabriel Attal était dans la communication, dans la confrontation avec la gauche et le RN. Barnier est plutôt quelqu’un qui a de l’expérience et une vision de la France et de l’Europe, et il ne cherche pas l’affrontement. Il va essayer de traiter les dossiers sans a priori idéologique et sans chercher le conflit avec le RN et la gauche », développe le sénateur Les Républicains (LR) Roger Karoutchi, qui a travaillé avec lui au sein du gouvernement sous Nicolas Sarkozy entre 2007 et 2009.
Michel Barnier est un premier ministre sous surveillance démocratique. Désormais, rien ne pourra se faire sans nous
J. Bardella
« Barnier est au barycentre des droites et de l’extrême droite. Ce choix n’est pas une improvisation. C’est l’axe sur lequel le président de la République construit sa stabilité », dénonce sur X le Premier secrétaire du Parti socialiste (PS), Olivier Faure.
Depuis Hénin-Beaumont (Pas-de-Calais), où elle fait sa rentrée politique le 8 septembre, la triple candidate à la présidentielle Marine Le Pen salue le profil du premier ministre : « Il ne serait pas très raisonnable d’effectuer une censure après le discours de politique générale, dont je pense d’ailleurs qu’il correspondra très certainement sur un nombre de sujets non négligeables aux espérances que nous portons. »
À la foire agricole de Châlons-en-Champagne (Marne), la veille, le président du RN et eurodéputé Jordan Bardella assume le rôle d’arbitre que détient sa formation et explique, à demi-mot, que le RN a désormais un pouvoir d’influence sur la future coalition des droites. « Michel Barnier est un premier ministre sous surveillance démocratique. Désormais, rien ne pourra se faire sans nous », avance-t-il.
Pour le moment, le groupe « À droite ! » d’Éric Ciotti et celui du RN ne comptent pas participer à un exécutif de coalition. Mais c’est tout comme. Car aucun texte ne pourra être adopté sans leur accord. La droite est au gouvernement, l’extrême droite est au pouvoir.
À la primaire de la droite, Barnier était, avec Éric Ciotti, le candidat le plus à droite.
G. Carayon
« À la primaire de la droite, Barnier était, avec Éric Ciotti, le candidat le plus à droite, qui défendait le moratoire sur l’immigration, la restriction du regroupement familial, la facilitation des expulsions d’étrangers délinquants et criminels, reconnaît Guilhem Carayon, soutien d’Éric Ciotti et toujours président des Jeunes Républicains. Si, dans son discours de politique générale, on voit des avancées, notamment sur un durcissement de la réponse pénale, sur une politique migratoire qui passe d’une immigration subie à une immigration choisie, on ne censurera pas. On dira banco parce que ce seront nos propositions qui seront reprises. »
L’art du faux-semblant
En Macronie, on tente d’afficher un cordon sanitaire de façade. Michel Barnier n’a pas consulté en premier les forces d’extrême droite en vue de constituer son nouveau gouvernement, même si une rencontre est prévue avec Marine Le Pen sous peu, puisque le premier ministre souhaite échanger avec tous les groupes politiques. Au 20 heures de TF1 le 6 septembre, il évoque son envie de former une équipe qui « ne sera pas seulement un gouvernement de droite ».
Comprendre : tenter de constituer un exécutif intégrant aussi des figures sociales-démocrates en plus du soutien acquis du groupe de La Droite républicaine (LDR) de Laurent Wauquiez. Pour l’instant, toute la gauche a décliné l’invitation. Même Bernard Cazeneuve, à qui Michel Barnier aurait proposé un ministère.
Par ailleurs, le premier ministre n’a fait que tendre la main à l’extrême droite. « Je n’ai rien de commun ou pas grand-chose de commun avec les thèses ou les idéologies du RN », jure-t-il pourtant. Même si, lors des consultations avec le chef de l’État à la fin du mois d’août, il évoque le sujet de la proportionnelle, l’une des conditions du soutien du parti de Marine Le Pen à un premier ministre de droite ou du centre. « Si la proportionnelle est en partie une solution, je ne me l’interdis pas », affirme-t-il sur TF1. L’union des droites, Éric Ciotti et Éric Zemmour en ont rêvé. Emmanuel Macron pourrait peut-être la réaliser.