L’insubmersible Paul Watson
La menace d’extradition vers le Japon plane sur le défenseur des baleines. Propulsé au rang de symbole de l’activisme, l’homme semble intouchable malgré une vision de l’écologie parfois à contre-courant.
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« En 1974, mon objectif était d’éradiquer la chasse à la baleine et j’espère bien le faire avant de mourir. […] S’ils imaginent que cela va empêcher notre opposition ! J’ai seulement changé de navire, et mon navire actuel, c’est Prison Nuuk », confie Paul Watson dans une récente interview donnée à l’AFP. En deux phrases, le fondateur de l’ONG Sea Shepherd a résumé sa vie : son combat éternel pour la défense des baleines, sa pugnacité et son goût pour la provocation. Indéboulonnable, même après un mois et demi de prison.
Le 21 juillet, il a été arrêté contre toute attente par la police danoise lors d’une escale à Nuuk, capitale du Groenland, en raison d’un mandat d’arrêt international émis par le Japon il y a douze ans, qui avait donné lieu à une notice rouge d’Interpol. En 2010, Sea Shepherd avait tenté d’intercepter le Shōnan Maru 2, un baleinier japonais qui opérait illégalement en Antarctique, un sanctuaire international pour les baleines, dans lequel la chasse commerciale est interdite depuis 1986.
Selon Interpol cité dans un article du Monde (1), le Japon reproche à Paul Watson les faits suivants : « entrée par effraction sur un navire, atteinte aux biens, entrave à l’activité imposée par la force et coups et blessures en rapport avec deux attaques perpétrées contre des baleiniers japonais ». Après deux auditions par le tribunal de Nuuk – le 15 août et le 4 septembre –, Paul Watson est toujours en détention provisoire, et dans l’attente d’une décision du ministère de la Justice danois à propos de la demande d’extradition formulée par le Japon.
« Entre le défenseur des baleines Paul Watson et le Japon, une épreuve de force de longue haleine », Le Monde, 3 septembre 2024.
Cette situation a provoqué une vague de soutiens populaires, médiatiques et politiques impressionnante et très disparate, notamment en France. Lors du rassemblement de soutien à Paris le 4 septembre, la liste des prises de parole était surprenante : Camille Étienne, Cyril Dion, le groupe Shaka Ponk, l’animateur de télévision Nagui, le président de la Ligue de protection des oiseaux Allain Bougrain-Dubourg, le directeur général de Greenpeace Jean-François Julliard, l’eurodéputée écologiste Marie Toussaint, sans oublier le journaliste Hugo Clément, qui a également lancé une pétition et qui apparaît comme le leader du mouvement de soutien avec son média Vakita.
La menace qui pèse sur Paul Watson est si forte que chacun revient à l’essentiel : défendre notre droit collectif à protéger l’environnement.
J-F. Julliard
« La menace qui pèse sur Paul Watson est si forte que chacun revient à l’essentiel : défendre notre droit collectif à protéger l’environnement, et l’usage de la désobéissance civile, quels que soient nos différends, affirme Jean-François Julliard. Quand les Soulèvements de la terre ont été menacés de dissolution par le gouvernement, beaucoup d’organisations les ont soutenus publiquement même si elles ne partageaient pas le même point de vue, notamment sur l’usage de la désobéissance civile. Idem en 2013 quand trente militants de Greenpeace ont été jetés en prison en Russie pour une opération contre une plateforme de Gazprom dans l’Arctique. »
Même le gouvernement français s’est engagé en faveur de la libération de l’activiste, que ce soit par la présence d’Olivier Poivre d’Arvor, ambassadeur pour les pôles et les océans, au rassemblement de soutien, ou par les interventions diplomatiques d’Hervé Berville, secrétaire d’État démissionnaire chargé de la Mer et de la Biodiversité. Une position en contradiction avec la tendance française à criminaliser les militant·es écologistes ces dernières années, et à les stigmatiser avec l’étiquette fallacieuse d’écoterroristes.
« Agressivité non-violente »
Emma Fourreau est engagée depuis plusieurs années contre la destruction des écosystèmes marins, et les personnalités de Paul Watson et de Lamya Essemlali, présidente de la branche française de l’ONG, ont été importantes dans son parcours militant. En 2019, elle cofonde l’association Sang océanique et participe à un stage de quelques mois aux côtés de Sea Shepherd au Portugal.
« Ils sont en rupture radicale par leurs méthodes d’action, et quand je leur fais un don ou que je m’investis auprès d’eux, je sais que ce sera utile, que ça ne finira pas dans une bureaucratie loin du terrain », explique l’eurodéputée LFI au sein du groupe The Left, élue en juin dernier. Pour elle, le fait que Sea Shepherd soit restée une petite structure, toujours portée sur une action très ciblée, participe à son efficacité et à sa popularité.
Ce sont en effet des actions ‘choc’, mais ce choc n’a-t-il pas été déclenché par une autre violence, celle des humains et de l’industrie envers les animaux marins ?
C. Roose
Dès la création de l’ONG en 1977, Paul Watson a défini son cap sur le fond et la forme. D’abord une bataille pour la protection des baleines, un animal doté d’un capital de sympathie indéniable et qui suscite facilement l’émerveillement. Ensuite, un usage de toutes les ficelles médiatiques pour attirer l’attention sur son combat : s’entourer de personnalités comme Brigitte Bardot ou la navigatrice Florence Arthaud, filmer le plus souvent possible les opérations, notamment pour la série au ton très spectaculaire Whale Wars.
Sans oublier l’imaginaire construit autour de l’image du capitaine, du pirate en l’occurrence, avec le drapeau noir et blanc orné d’un logo reconnaissable entre mille : un bâton de berger croisé avec un trident, et une tête de mort en référence au sort infligé aux animaux marins. Enfin, sa stratégie d’« agressivité non-violente », c’est-à-dire de l’action directe pour empêcher les chasseurs et pêcheurs d’agir, tout en restant dans le cadre légal et sans blesser qui que ce soit. Cette radicalité lui a valu d’être exclu en 1977 de Greenpeace, qu’il avait cofondé, puis du bureau international de Sea Shepherd en 2022.
« Ce sont en effet des actions ‘choc’, mais ce choc n’a-t-il pas été déclenché par une autre violence, celle des humains et de l’industrie envers les animaux marins ? », interroge Caroline Roose, ex-eurodéputée écologiste. Venant du monde de la pêche tout en étant engagée pour la protection des écosystèmes marins, elle n’ignore aucune des problématiques économiques, sociales et politiques du milieu maritime. En février 2023, elle décide d’accompagner Sea Shepherd lors d’une action dans sa campagne contre les captures de dauphins dans le golfe de Gascogne. Elle assiste d’abord à l’autopsie d’un dauphin qui prouve bien que la mort est due à des filets, puis elle embarque de nuit sur un zodiaque de Sea Shepherd et passe onze heures en mer avec les activistes.
Pour Paul Watson, la crise écologique est d’abord le résultat de la perte de biodiversité.
A. Vrignon
Une action qui reste gravée dans sa tête par le décalage entre ce qu’elle avait entendu sur eux, leurs méthodes d’action, et ce qu’elle a constaté sur le terrain : « Quand ils étaient en approche d’un bateau de pêche, ils ont respecté les règles et se sont signalés à chaque fois. L’un des pêcheurs qui avait attrapé un dauphin dans ses filets l’a relâché pour qu’on puisse le baguer et le déclarer comme prise accessoire. Mais un autre nous a obligés à jouer au chat et à la souris, et je pense que ce genre d’attitude crée des tensions. »
Une approche catégorique de la lutte écologiste
La colonne vertébrale idéologique de Paul Watson n’est pas aussi simple à définir qu’il y paraît. « Paul Watson s’enracine dans l’environnementalisme des années 1970, une approche plus militante sur le terrain que celle des naturalistes en costume-cravate des années 1960. Sur le fond, sa boussole a toujours été et reste la mise en avant de la wilderness [la nature sauvage]. Pour lui, la crise écologique est d’abord le résultat de la perte de biodiversité. Sans être climatosceptique, il relègue la question du changement climatique au second plan, car l’important est le respect de trois lois de la nature : diversité, interdépendance, ressources finies », analyse Alexis Vrignon, historien spécialiste des luttes environnementales.
Une vision de l’écologie en décalage avec des tendances, dans le mouvement écologiste, qui cherchent à repolitiser les luttes et à ne plus négliger les inégalités sociales. Dans la ligne de la deep ecology (écologie profonde), Paul Watson pointe de manière catégorique la surpopulation comme l’une des causes de la catastrophe écologique.
« La plus grande menace qui pèse sur la biodiversité de la planète, c’est la démographie galopante de la population humaine […]. Le cœur du problème est l’exploitation de ressources finies par une population humaine qui ne cesse de croître. Les pauvres ne sont finalement que des gens qui aspirent à devenir riches », assume-t-il noir sur blanc dans le livre d’entretiens mené par Lamya Essemlali, Paul Watson : Sea Shepherd, le combat d’une vie.
Personne ne peut nier qu’il est l’un des vétérans de l’action écologiste et qu’il n’a jamais varié d’un pouce.
P-M. Terral
De même, il n’accorde aucune importance ni aux luttes décoloniales, ni aux préoccupations des populations autochtones qui chassent les espèces qu’il défend. En 2017, il avait lancé une déferlante en ligne contre un jeune Inuit vivant sur l’île Saint-Laurent, au large de l’Alaska, qui avait harponné une baleine, rite ancestral de sa communauté.
« Malgré toutes les caricatures de Paul Watson, auxquelles il a lui-même participé parfois, et malgré le choix de personnalisation du mouvement, personne ne peut nier qu’il est l’un des vétérans de l’action écologiste et qu’il n’a jamais varié d’un pouce. Et le choix de cette forme d’action radicale, souvent stigmatisée dans le passé, fait aujourd’hui écho chez une nouvelle génération d’activistes plus ‘terriens’, analyse Pierre-Marie Terral (3), docteur en histoire contemporaine de l’Université Paul-Valéry à Montpellier. Sans ces actions, est-ce que la chasse baleinière japonaise serait revenue sur le devant de la scène ? »
« ’Éco-pirates’ : Paul Watson … », Tracés, n° 26, 2014.