Procès de Mazan : de la défense à l’indécence
Sur ses réseaux sociaux, l’avocate d’un des accusés, Nadia El Bouroumi a publié une vidéo d’elle chantant le titre de Wham !, alors que la soumission chimique dont a été victime Gisèle P. pendant dix ans est au cœur du procès.
Dans le même dossier…
Comment la définition pénale du viol influence le procès des violeurs de Mazan Les 83 violeurs : la banalité du mâleDanser et pousser la chansonnette sur un titre qui pourrait faire directement référence au supplice qu’a vécu Gisèle P. pendant dix ans. Ce n’est pas l’œuvre sinistre d’un des nombreux internautes qui versent dans le sexisme le plus immonde depuis l’ouverture à Avignon du procès de Mazan, où 51 hommes sont accusés de viol sur Gisèle P., préalablement droguée par son mari. Mais bien celle d’une avocate de la défense, Nadia El Bouroumi.
Dans une vidéo postée le jeudi 19 septembre, on voit l’avocate – que Le Monde qualifie de « bruyante figure de proue de la défense » – danser sur l’air de la chanson « Wake me up before you go, go » (« Réveille-moi avant de partir »), du groupe Wham !. Elle ajoute ce commentaire : « À tous les extrémistes de la pensée qui essaient de me museler ! For you ! »
En description de ce post, elle écrit : « Triste réalité que je préfère mettre en lumière avec humour ! Il y a ceux qui disent oui et ceux qui disent NON ! Moi je dis NON ! Jamais vous ne me ferez taire car vous considérez que mon avis ou ma position ne vous convient pas ! Non au dogme et à la pensée unique manipulée ! #cette chanson pour tous ceux qui doivent se lever tôt avant d’arriver à me faire taire ! » Elle ajoute : « j’ai été battu violee moi aussi plus jeune et je ne suis pas devenue haineuse à l’encontre de l’homme ! Je ne fais pas de confusion entre mon histoire et celle des autres ! » [sic]
L’avocate semble faire référence aux critiques qui lui sont faites sur sa posture pendant le procès. Outre ses très nombreux contenus sur l’attitude de Gisèle P., sur sa stratégie de défense de son client, souvent culpabilisant à l’encontre de la victime, Nadia El Bouroumi est aussi pointée du doigt pour le comportement qu’elle a eu mercredi.
Stratégie de culpabilisation
Ce jour-là, des photographies montrant Gisèle P. ont été diffusées par la défense. On voit Gisèle P. dans des « positions lascives », note Le Monde. Des photos que Dominique P. aurait prises à l’insu de sa femme, ou après l’avoir sédatée, a indiqué Gisèle P. À ce moment-là, Nadia El Bouroumi lui pose cette question : « Est-ce que vous pouvez admettre que des hommes, en recevant des photos comme celles-là sur le site Coco.fr, aient pu imaginer que vous seriez quelqu’un qui accepterait de faire un jeu sexuel ? » Une question pouvant laisser entendre que Gisèle P. serait responsable de la venue des 51 hommes à son domicile.
Au-delà de la violence de cette question, c’est le choix de la chanson accompagnant la vidéo qui interpelle. En effet, la soumission chimique est au cœur de ce procès. Certains des hommes accusés ont même expliqué que Gisèle P. leur paraissait « endormie » lorsqu’ils l’ont découverte, inerte, sur le lit. C’est cet angle autour de la « non-intentionnalité » qui est mis en avant par plusieurs avocats de la défense, comme Me Guillaume de Palma.
Cette stratégie de culpabilisation des victimes de violences sexistes et sexuelles n’est pas nouvelle. Elle est même très banale dans ce genre d’affaires. Une attitude qui explique aussi les réticences très fortes des victimes à déposer plainte et à aller jusqu’au bout de ces procédures longues et douloureuses. Elle est notamment dénoncée par le Collectif féministe contre le viol (CFCV), qui accompagne les victimes de violences sexuelles en justice : « On peut défendre un agresseur autrement qu’en piétinant la victime », nous expliquait sa présidente, Emmanuelle Piet. Un principe que n’ont pas compris certains des avocats des accusés du procès Mazan.
L’actualité vous fait parfois enrager ? Nous aussi. Ce parti pris de la rédaction délaisse la neutralité journalistique pour le vitriol. Et parfois pour l’éloge et l’espoir. C’est juste plus rare.
Chaque jour, Politis donne une voix à celles et ceux qui ne l’ont pas, pour favoriser des prises de conscience politiques et le débat d’idées, par ses enquêtes, reportages et analyses. Parce que chez Politis, on pense que l’émancipation de chacun·e et la vitalité de notre démocratie dépendent (aussi) d’une information libre et indépendante.
Faire Un Don