Israël : portée et limites d’une mobilisation

Du plus profond de ce pays devenu l’un des plus racistes de la planète, et gouverné par une coterie fanatique et fascisante, apparaît quelque chose qui ressemble à une prise de conscience.

Denis Sieffert  • 4 septembre 2024
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Israël : portée et limites d’une mobilisation
Manifestation anti-gouvernementale devant le ministère israélien de la Défense à Tel Aviv, le 3 septembre 2024.
© Jack GUEZ / AFP

Il n’est pas question de paix et moins encore d’État palestinien. Ni non plus de cette gauche dont Israël est orphelin depuis plus de vingt ans. Mais, objectivement, si tous ces mots ne sont jamais prononcés, la question d’une alternative politique est posée aujourd’hui en Israël, comme en filigrane. Du plus profond de ce pays devenu l’un des plus racistes de la planète, et gouverné par une coterie fanatique et fascisante, apparaît en effet quelque chose qui ressemble à une prise de conscience. La grève générale de ce 2 septembre, qui a fait suite à des manifestations de plus en plus massives contre le gouvernement, ne peut pas être sans lendemain. Bien sûr, pour la grande majorité des manifestants, la colère ne naît pas du massacre de la population gazaouie, ni du raid meurtrier de l’armée en Cisjordanie, mais de l’abandon des otages encore aux mains du Hamas.

De l’aveu même du ministre de la Défense, le corridor de Philadelphie n’est pas un enjeu stratégique important.

La découverte, le 31 août, de six corps dans un tunnel de Rafah, a frappé l’opinion, bien au-delà des familles des victimes. Certains de ces otages ne figuraient-ils pas sur une liste que le Hamas proposait de libérer à la prochaine trêve ? Une trêve dont Netanyahou n’a pas voulu. Il aurait suffi que le premier ministre israélien accepte les conditions du plan Biden telles que le Hamas les avait acceptées, qu’il renonce au maintien de l’armée dans ce corridor de Philadelphie, en bordure de la frontière égyptienne, pour que ces jeunes gens, enlevés par le mouvement islamiste le 7 octobre, reviennent vivants dans leurs familles. Le raccourci est ici assez édifiant pour que beaucoup d’Israéliens tiennent Netanyahou pour responsable direct de leur mort. D’autant plus que, de l’aveu même du ministre de la Défense, Yoav Gallant, le corridor de Philadelphie n’est pas un enjeu stratégique important.

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Et, chose remarquable, les manifestations de ces derniers jours ressemblent de plus en plus à celles qui mobilisaient une partie de la population avant le 7 octobre pour exiger le retrait d’une réforme judiciaire qui prévoyait d’abaisser les pouvoirs de la Cour suprême pour la soumettre à un gouvernement dominé par les colons. Les colons voulaient cette réforme pour aller vers une annexion des territoires palestiniens sans être entravés par la justice. Les mêmes ont vu dans le 7 octobre une aubaine pour réaliser leurs projets par d’autres moyens, ceux de la pire violence. L’armée à Gaza, les milices de colons et encore l’armée à Jénine et à Tulkarem.

Joe Biden s’attire les ricanements de Netanyahou. On ne peut à la fois réprimander ce grand cynique et lui livrer des armes.

Les buts de guerre de Netanyahou et de ses amis, colons suprémacistes juifs, apparaissent de plus en plus clairement aux yeux de la population. Ce n’est sûrement pas la survie des otages. Ce n’est même pas l’éradication du Hamas. À Gaza, c’est la destruction d’un peuple, par la mort ou la mutilation de toute une jeunesse, et la dévastation des infrastructures nécessaires à la vie. Et en Cisjordanie, l’appropriation des terres par la terreur et la barbarie. Et, à titre personnel, pour Netanyahou, c’est sa propre survie politique, assurée aussi longtemps que durera la guerre. Cette analyse s’insinue peu à peu dans la conscience d’une partie importante de l’opinion israélienne. Mais pour faire arrêter le bain de sang, provoquer la chute du gouvernement, et ouvrir une perspective politique, il faudrait une action courageuse et résolue des États-Unis et de l’Europe.

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Au lieu de ça, Joe Biden s’attire les ricanements de Netanyahou. On ne peut à la fois réprimander ce grand cynique et lui livrer des armes. Les contradictions internationales sont là, béantes. Au passage, on voit bien à quoi sert le fameux « risque d’embrasement » agité dans l’opinion. Il permet d’instrumentaliser la menace existentielle, qu’elle vienne d’Iran ou du Hezbollah libanais, tout en l’entretenant. Une gauche peut-elle renaître de cette tragédie, redonner une cohérence à cette histoire, et une finalité humaine ? On a vu ressurgir ces derniers jours la Histadrout, mi-syndicat mi-instrument du colonialisme, mais historiquement inséparable de feu la gauche israélienne.

Souvenons-nous que ce ne sont pas les Palestiniens qui ont tué la gauche. Ce sont les amis de Netanyahou qui ont assassiné Yitzhak Rabin, et c’est Shimon Peres, alors icône de la gauche française, qui a rejoint le gouvernement de droite en 2001, scellant le sort du Parti travailliste. Il a suffi ensuite de financer le Hamas, ce dont Netanyahou s’est glorifié, pour enfoncer la région dans les ténèbres. Certes, la rue israélienne n’est pas prise d’empathie pour les Palestiniens, mais elle commence à comprendre que le danger vient de l’intérieur.

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