Mélenchon-Ruffin : un débat nécessaire

Il faut voir dans la querelle qui oppose ces jours-ci François Ruffin à Jean-Luc Mélenchon les séquelles d’un débat ancien, selon lequel la gauche devrait faire le deuil d’une classe ouvrière en déclin démographique.

Denis Sieffert  • 18 septembre 2024
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Mélenchon-Ruffin : un débat nécessaire
François Ruffin et Jean-Luc Mélenchon, à l'Assemblée nationale, en février 2019.
© Bertrand GUAY / AFP

La querelle qui oppose ces jours-ci François Ruffin à Jean-Luc Mélenchon est un débat gigogne. On peut le prendre sous sa forme la plus vulgaire : l’affrontement de deux ambitions en vue de 2027. On peut comprendre en effet l’agacement de Ruffin devant la trop évidente stratégie mélenchonienne, surdéterminée par la perspective gourmande d’une quatrième candidature à la présidentielle. Mais, plus profondément, il faut y voir les séquelles d’un débat ancien qui renvoie, comme le souligne Ruffin lui-même (1), à la fameuse note du think tank Terra Nova qui préconisait en 2011 de faire le deuil d’une classe ouvrière en « déclin démographique ».

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Itinéraire. Ma France en entier, pas à moitié (Les liens qui libèrent).

À en croire Ruffin, Mélenchon serait l’héritier de cette calamiteuse prophétie. Il aurait abandonné les classes moyennes issues des « territoires », comme on dit par euphémisme pour désigner une population blanche des zones périurbaines et rurales largement colonisées par le RN. « Il faut mobiliser la jeunesse et les quartiers populaires. Tout le reste, laissez tomber, on perd notre temps », aurait confié Mélenchon à ses militants en marge de la manifestation du 7 septembre. « Mépris de classe ! », s’exclame Fabien Roussel. Il est vrai que ce que Mélenchon appelle le « reste » ce sont les dix millions d’électeurs de Marine Le Pen. Excusez du peu ! Mais le choix de centrer la campagne de 2024 sur les quartiers populaires à forte dominante immigrée était aussi dicté par une actualité dramatique.

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Le « communautarisme » de Mélenchon n’est donc pas intervenu dans n’importe quel contexte. Les voix politiques qui se sont élevées pour dénoncer le massacre des Gazaouis sont trop rares pour que l’on réduise le discours des insoumis à une simple préoccupation électorale. Redisons à ce sujet ce que nous avons dit ici à plusieurs reprises : Mélenchon a commis une faute politique et morale le 7 octobre 2023 en refusant de qualifier de terroriste l’attaque du Hamas. Mais, un an plus tard, il faut se féliciter que la parole des responsables du Nouveau Front populaire ait pu se frayer un chemin dans une propagande assourdissante relayée dans les plus hautes sphères de l’État. Pour preuve, l’accusation de communautarisme lancée par Ruffin a eu tôt fait d’être relayée avec zèle par les partisans de la politique israélienne. Et cela est ressenti comme une agression par ceux qu’on appelle les « racisés ».

La confrontation Ruffin-Mélenchon témoigne de l’état d’une gauche toujours hémiplégique.

Sans considération de cette réalité, la question sociale ne passe pas. En vérité, la segmentation des populations et des territoires est un classique des stratégies électorales. La confrontation Ruffin-Mélenchon témoigne de l’état d’une gauche toujours hémiplégique. Ruffin a évidemment raison de vouloir réconcilier la France des bourgs et celle des tours. Mais la fracture est profonde. Ce que le député de la Somme a dû consentir de subterfuges pour mener sa campagne en terre picarde – un tract avec Mélenchon dans une main, un tract sans mention du leader insoumis dans l’autre – est terrifiant. Mais Ruffin n’a fait que prendre acte d’une réalité consternante.

On ne saurait lui en faire grief, puisque c’est à ce prix qu’il a sauvé son siège en terre de mission. Il en tire une indéniable légitimité. Ceux qui l’ont conspué à la Fête de l’Huma devraient s’en souvenir. « Ce n’est pas la conscience des hommes qui déterminent leur existence, c’est au contraire leur existence sociale qui détermine leur conscience », écrit Marx dans L’Idéologie allemande. On pense différemment selon que l’on vit dans la Somme ou en Seine-Saint-Denis. Le devoir de la gauche est de lutter contre cet énorme biais sociologique. Les campagnes électorales, hélas, sont ce moment où l’on a plus tendance à aggraver la fracture qu’à la colmater.

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Adepte du « bruit et de la fureur », Mélenchon n’a pas arrangé les choses, mais la faute historique revient à une certaine gauche à laquelle n’appartiennent ni l’un ni l’autre de nos deux bretteurs. La vieille social-démocratie, mal nommée, celle qui a donné le Printemps républicain, Manuel Valls, Caroline Fourest et tant d’autres, n’a cessé de glisser sur la pente de l’arabophobie, tantôt au prétexte de « laïcité », et de lutte contre le « wokisme », tantôt de lutte contre l’antisémitisme. Ceux-là ont créé durablement un autre communautarisme, sur lequel prospère le RN. Le drame que pointe Ruffin, c’est que la question sociale, qui constituait jadis le creuset dans lequel se fondaient les identités, a perdu de sa force. Pour la gauche, il s’agit ni de s’y résigner ni d’ignorer un vécu douloureux fait de discriminations et de racismes.

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