Exilé·es : accueillir aussi la souffrance

Médecins du monde est l’une des seules associations à proposer une prise en charge psychologique régulière et facilement accessible à des personnes migrantes à Paris. Tant dans sa permanence qu’en maraude, elle manque de moyens pour mener ses projets.

Maya Elboudrari  • 18 septembre 2024 abonnés
Exilé·es : accueillir aussi la souffrance
Le 6 février, à Paris, rassemblement en faveur des mineurs étrangers non accompagnés.
© Valerie Dubois / Hans Lucas / AFP

Au 15, boulevard Picpus, dans l’Est parisien, le mardi après-midi, on entend parler pachto, dari, arabe soudanais, somali. Les patient·es sont afghan·es, gabonais·es, sénégalais·es ou iranien·nes. Une vingtaine – majoritairement des hommes – viennent consulter, gratuitement, des psys, des médecins généralistes, des juristes. Ici, la permanence hebdomadaire de Médecins du monde (MdM) a pour objectif de répondre à une problématique qui se situe, selon l’association, dans «l’exact angle mort des politiques publiques» : la prise en charge de la santé mentale et des traumatismes des exilé·es.

Quand on a commencé les consultations en 2017, on s’est aperçus que les patient·es faisaient valoir des angoisses très liées au juridique.

P. Alauzy

«Quand on a commencé les consultations en 2017, on s’est aperçus que les patient·es faisaient valoir des angoisses très liées au juridique», souligne le coordinateur de la permanence psy Paul Alauzy, pour expliquer la présence des différentes professions. Selon l’équipe, lorsque les migrant·es parlent aux psychologues, ils et elles abordent bien plus souvent leurs conditions de vie en France que les traumatismes de l’exil. Paul Alauzy liste ainsi « trois violences » qui s’additionnent : celle du départ – fuir la guerre, la dictature, la misère, etc. –, celle du trajet – de la torture en Libye aux violences des frontières européennes –, et celle de l’arrivée, avec la violence institutionnelle, la vie à la rue et les problèmes administratifs.

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Au-delà des conditions de vie en France, majoritairement à la rue pour les patient·es reçu·es, le cheminement pour obtenir un statut de réfugié ou une carte de séjour aggrave aussi les traumatismes des migrant·es. Camille Gardesse, sociologue en observation participante auprès de l’association, développe : «Dans l’expérience administrative elle-même, il y a une forme de violence, par la réminiscence constante. On insiste sur ce qui a causé le traumatisme. Et on leur demande de raconter ça avec un soupçon permanent. »

Lors des entretiens à l’Ofpra, l’établissement public en charge des réfugiés, les demandeurs d’asile doivent convaincre des violences vécues qui justifient leur exil. Or, d’après plusieurs médecins, raconter un traumatisme à répétition dans un espace qui n’est pas approprié peut traumatiser à nouveau.

« J’avais mal à la tête tout le temps »

Les symptômes physiques, souvent liés au mal-être psychique, constituent ainsi une porte d’entrée pour aborder la santé mentale. Les médecins consultent régulièrement en binôme avec des psychologues ou des psychiatres. Dans la salle d’attente, Sherajan, un Afghan de 26 ans, raconte avoir d’abord été orienté vers l’association pour une blessure au bras. « J’étais à la rue à La Chapelle, je n’arrivais pas à dormir, j’avais mal à la tête tout le temps. Et j’avais des soucis, je me coupais, avec des couteaux. » C’est le médecin qui lui a ensuite proposé de voir un psychologue. Désormais, il consulte aussi les juristes de la permanence.

Ça fait du bien de parler, d’être vraiment écouté.

Junior

À l’origine, Junior aussi était venu voir MdM en maraude pour demander du paracétamol. «On m’a dit : ‘Tu ne te sens pas bien mentalement, viens nous voir à la permanence demain, on pourra mieux te connaître.’ » Le Gabonais de 30 ans, arrivé en France en 2011, vient ce mardi pour son deuxième rendez-vous. « Ça fait du bien de parler, d’être vraiment écouté, confie-t-il. On a tellement de choses en nous qu’on a envie de sortir, et on ne sait pas à qui. » À la rue depuis trois mois, il raconte le sentiment de rejet et le racisme vécu chaque jour qui nourrissent ce sentiment d’isolement. «C’est basique, mais ici on trouve du respect, de la paix, du calme, de la chaleur. On ne se sent pas inférieur. »

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Entre les consultations, la permanence propose une salle collective où les exilé·es peuvent échanger entre eux, avec des accueillantes ou avec des interprètes, se reposer, boire un café, participer à des jeux, dessiner.  «On peut accueillir ici des personnes même si elles n’ont pas de rendez-vous. Elles sont dans l’errance depuis des années, ont besoin d’un endroit qui soit un repère, décrit Jeanne Gaillard, bénévole et ancienne infirmière en psychiatrie, entre une partie de mikado et un thé partagé avec les migrant·es. On ne leur pose pas trop de questions, on veut simplement refaire du lien pour des gens qui vivent des situations déshumanisantes. »

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Ballotté·es à travers la région ou le pays, au gré des démarches administratives et des avancements dans leur parcours, il n’est pas rare que les exilé·es disparaissent du jour au lendemain. Le suivi est donc souvent court, même si Paul Alauzy rapporte que certain·es viennent depuis des années. «On a l’impression de faire du palliatif et de l’urgence tout le temps », regrette-t-il. En parallèle de leurs activités de soins, les membres de MdM insistent donc sur le besoin de structures de premier accueil en France, et sur le fait que leur travail devrait être un service public.

Les mineur·es en mode survie

Lorsque les exilé·es ne viennent pas à elle le mardi après-midi, l’équipe de l’association se déplace en maraudes pour les rencontrer dans la rue et les orienter vers son dispositif. Les consultations uniques peuvent s’avérer difficiles, en particulier pour les mineur·es, très fragiles. Mariam, 16 ans, ressort un peu éprouvée de ses vingt minutes d’entretien.

C’est douloureux de penser à ce que tu as vécu.

Mariam

«On a parlé de tout, ça m’a aidé mais ça m’a fait aussi retourner à des souffrances. C’est douloureux de penser à ce que tu as vécu. Je ne veux pas en parler, parce que c’est quelque chose qui me fait mal. » La jeune Ivoirienne est arrivée il y a un mois en France. La médecin, la première qu’elle ait vue dans le pays, l’a orientée ce matin vers la psychologue, pour mieux comprendre ses conditions de vie et son parcours.

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Ce matin-là, la psychologue bénévole du jour ne recevra qu’une poignée de jeunes, qui s’adressent aux médecins généralistes en priorité. « Ils sont dans un épuisement psychique absolu, ils sont en mode survie. Ils ont perdu leurs repères, la notion du temps, parfois ils ont même du mal à retrouver leur prénom. » Souvent, ces adolescent·es se retrouvent à la rue après que leur minorité n’a pas été reconnue. Selon une étude de l’association, 70 % d’entre eux se voient refuser une prise en charge comme mineur·es isolé·es après le premier entretien.

La psychologue voit son rôle comme un soutien bienveillant, voire une réorientation vers d’autres structures, puisqu’elle ne reçoit pas les jeunes assez régulièrement pour leur proposer un suivi. « La majorité, je ne les vois qu’une fois, tellement ils sont dispersés. On est dans le minimum du soin, on veut juste qu’ils puissent rencontrer quelqu’un qui prend le temps de les écouter et de les croire. On fait le pari que mettre des mots sur les violences de leur parcours peut les aider. »

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