Jeux olympiques et paralympiques : 2030 ne sera pas 2024
Pierre Janot, conseiller régional Les Écologistes en Auvergne-Rhône-Alpes, revient sur les écueils pesant sur les futures épreuves olympiques d’hiver dans les Alpes françaises en 2030, qui seront bien loin des « Jeux de la neige et des chalets » dont se prévalent leurs promoteurs.
Moment rare dans l’histoire de l’olympisme, la France organisera, dans la même décennie, à la fois les Jeux d’été (Paris 2024) et les Jeux d’hiver, dans les Alpes en 2030. Si sur le plan financier, tous les comptes n’ont pas été faits et qu’il n’existe pas encore de bilan coûts/bénéfice sur les JOP 2024, personne ne pourra contester, la ferveur, l’engouement, la réussite sportive et populaire de l’édition parisienne.
Décriée au début, mais solidement défendue et soutenue, notamment par Tony Estanguet, remarquable courroie de transmission entre le politique et le sportif, ce bilan des JOP 2024 auprès du grand public rassure et sans doute encourage, y compris les plus sceptiques d’entre nous, à vouloir continuer cette aventure en 2030 pour prolonger cette euphorie olympique.
Mais y aura-t-il aussi, dans nos Alpes, les mêmes effets bénéfiques, en termes de désenclavement, de rééquilibrage territorial, de mobilités, d’infrastructure, de retombées économiques et de soutien populaire ? Autant de questions qui se posent un peu plus avec les JOP 2030 même si, floqué du label de durabilité, cette candidature essaie de concilier environnement et épreuves à fort impact sur un événement qui, édition après édition, n’a jamais cessé de grossir et d’accroître son empreinte environnementale.
Les JO d’hiver ne sont pas ceux d’été
Première différence et pas des moindres, le tableau des médailles, le faible nombre des nations participantes ne font pas des Jeux d’hiver, à l’inverse des jeux d’été, un évènement universaliste. L’Amérique Latine, l’Afrique, l’Océanie, l’Asie , soit 3 continents sur 5, ne suivront que de très loin des épreuves de neige et de glace qui ne peuvent être pratiquées qu’avec des conditions climatiques adéquates, des reliefs et surtout des moyens matériels et financiers que peu possèdent.
La question du dérèglement climatique sur les jeux d’hiver pose la question de leur existence et de leur survie.
L’identification au sportif est rendue plus difficile alors qu’à l’inverse, sur les disciplines d’été, il ne suffit que d’un terrain pour courir, sauter, jouer au sport de balles et s’imaginer en Usain Bolt, Teddy Riner, ou Kobe Brian. Si Thomas Bach a déclaré réfléchir, à terme, à un déplacement de la date des Jeux d’été qui deviendraient des Jeux d’automne ou de printemps, la question du dérèglement climatique sur les jeux d’hiver pose la question de leur existence et de leur survie.
À moins de considérer que l’artificialisation des conditions de compétition comme à Sotchi ou Pékin soit désormais la marche normale des épreuves, le recours à des techniques d’enneigement ne peut continuer à masquer la réalité de ce que sont devenus les sports d’hiver : des activités en sursis, qui sur nos massifs, ne cessent de décliner au risque de disparaître bientôt notamment pour les stations de moyennes montagnes. Moins de 8 % des Français pratiquent les sports d’hiver.
L’augmentation des coûts d’exploitation des stations, du matériel et de l’hébergement ne permettent pas une ouverture et une démocratisation de la pratique du ski. Bien au contraire, les difficultés voir parfois la disparition des stations de moyennes montagnes, dans nos massifs ( Méaudre- Autrans, Gresse en Vercors, Le Col du Rousset dans le Vercors, l’Alpe du Grand-Serre sur l’Oisans, Saint-Pierre de Chartreuse, les Petites Roches en Chartreuse) impactent fortement l’offre en direction des familles les moins aisées.
Les Jeux « de la neige et des chalets » auxquels aspire Renaud Muselier ne seront sans doute qu’une image d’Épinal.
Le prix des forfaits, le coût du matériel, au mieux réduisent le nombre de journées skiées voir même dissuadent et découragent les pratiquants notamment les jours de fortes influences. En réalité, le ski se gentrifie et polarise les offres sur peu de stations qui sont paradoxalement les moins accessibles, les plus chères ce qui augmente mécaniquement leur impact environnemental.
Loin de la neige et des chalets
En 2030, les Jeux « de la neige et des chalets » auxquels aspire Renaud Muselier, président de la région Paca ne seront sans doute qu’une image d’Épinal, celle des années 1960, celle qui, dans nos imaginaires, existait avant l’industrialisation de la Montagne.
La nostalgie, le romantisme entretenus autour des épreuves de Chamonix en 1924, de Grenoble en 1968 et d’Albertville en 1992 ont de quoi interroger, lorsque l’or blanc vient à manquer, amenant certaines stations à puiser illégalement dans les nappes phréatiques pour alimenter des canons, tout en multipliant les retenues collinaires… Quitte à perturber le cycle de l’eau, comme c’est le cas à La Clusaz, pourtant site olympique.
La plupart des sites olympiques qui recevront les épreuves de ski alpin ou nordique ( Courchevel, Méribel, Montgenèvre, Serre Chevalier), du fait d’un urbanisme galopant, ne peuvent pas incarner l’image « des chalets », pas plus que le Grand Bornand ne pourrait représenter celle de « la neige » qui lui manque souvent lors de l’organisation des épreuves coupe du monde de biathlon. Surtout, les JOP 2030 vont faire la promotion de stations déjà très riches, qui reçoivent énormément d’argent public et qui ne sont pas en mesure de traiter le flux de skieurs les jours de forte affluence.
Les Jeux ne financent jamais les Jeux
Parler du coût des JOP n’est pas anodin pour un Grenoblois ou un Albervillois, qui, ont pendant des décennies, continué à payer les prix de « l’héritage olympique ». Le chiffre de 1,5 milliard a été un temps avancé, pour finalement monter à 1,9 milliard, montant qui risque d’être sous-évalué. Comme l’a dit Dick Pound, ancien vice-président du CIO : « Les meilleurs livres de science-fiction sont les dossiers de candidature aux Jeux olympiques ».
Pour les régions, le financement passera forcément sur des fonds propres.
Si la note devrait être répartie entre le CIO, l’État français et les deux régions, rien à ce jour n’a été précisé sur les clefs de répartition notamment en cas probable de dépassement. Ainsi, sur le seul chapitre de l’organisation en dehors des sollicitations des autres collectivités (communauté de communes, communes, département), le « reste à charge » sera de l’ordre de 462 millions d’euros, qu’il faudra bien financer d’une manière ou d’une autre.
Pour les régions, le financement passera forcément sur des fonds propres, impactant nécessairement les budgets de la formation, des transports, ou des lycées, là où les besoins sont immenses. Le public n’a pas marqué un attachement fort à la candidature française aux JOP (61 % y seraient opposé selon un sondage Le Figaro du 30 novembre 2023 ) ce qui fragilise l’engagement financier des collectivités et de l’État et leur légitimité à soutenir un tel événement « hors compétence ».
Trop d’incertitudes
Incertitude financière : à ce jour, la garantie financière qui devait être donnée, avant même la dissolution, se fait toujours attendre avant le 1er octobre, même si la nomination de Michel Barnier ne laisse planer que très peu de doutes sur cet engagement. Mais à l’heure des déficits budgétaires chroniques, des menaces de procédure pour déficit excessif de la commission européennes, la question du « denier public engagé » et donc de la priorisation de l’action publique se pose.
Incertitude politique : il n’y a pas de JOP sans loi olympique, celle qui permet des aménagements, des dispositifs spécifiques en matière d’urbanisme, de sécurité, de publicité, de contrôle antidopage. Or, la configuration politique du Parlement, sa polarisation ne permettront pas de garantir au CIO l’adoption de ces lois d’exception sans lesquelles les JOP ne peuvent se dérouler.
Si beaucoup ont insisté sur l’absence de transparence et de démocratie dans le portage de cette candidature, au-delà, la question est double :
• Les JOP 2030 ne vont-ils pas nous faire perdre du temps sur l’impérieuse nécessité d’engager de véritables politiques publiques, alors que l’espace montagne vit des changements sans précédents ?
• Cette candidature n’est-elle pas un scénario à la Don’t look up (1) qui nous amène à nous mentir, malgré tout ce que l’on sait, pour continuer à rendre désirable un modèle d’économie de montagne qui n’est plus soutenable ?
Film d’Adam McKey de 2021.
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