Frontex : entre critiques croissantes et expansion controversée

L’agence européenne de gardes-frontières et de gardes-côtes, créée en 2004 pour coordonner les États membres de l’UE dans le contrôle des frontières, a vu son rôle renforcé depuis la crise migratoire de 2015.

Maxime Sirvins  • 19 septembre 2024 abonné·es
Frontex : entre critiques croissantes et expansion controversée
Des gardes-frontières de Frontex patrouillent à la frontière entre la Bulgarie et la Serbie, près du village serbe de Gradina, le 17 février 2023.
© Nikolay DOYCHINOV / AFP

Initialement conçue pour coordonner la surveillance des frontières extérieures de l’Union européenne (UE), l’agence Frontex s’est transformée en un acteur central de la politique migratoire européenne. Pourtant, depuis des années, elle fait face à des critiques constantes sur son manque de transparence, sa gestion des droits humains et des refoulements illégaux de migrants.

Une agence au cœur des débats migratoires

En réponse aux demandes croissantes des États membres, Frontex a récemment lancé plusieurs appels d’offres pour près de 400 millions d’euros, destinés à renforcer ses capacités technologiques. Ces investissements incluent notamment l’acquisition de drones et de matériel de surveillance maritime, dans le but d’accroître toujours plus sa surveillance des frontières extérieures de l’UE. Aujourd’hui, Frontex bénéficie du plus gros budget de toutes les agences européennes, atteignant 874 millions d’euros en 2024.

Sur le même sujet : Frontex, une troupe de choc en roue libre

Derrière ces sommes, l’agence est régulièrement pointée du doigt par les ONG et associations pour sa gestion controversée des migrants. En Bulgarie, comme le révèle Le Monde, des agents de Frontex ont été témoins de violences commises par leurs homologues bulgares, sans intervenir ni signaler ces abus, comme l’exigent pourtant les procédures de l’agence.

Comme l’explique le quotidien, en se fondant sur des documents obtenus grâce aux lois de transparence européennes, « les agents de Frontex sont régulièrement les témoins d’abus commis par les forces de l’ordre bulgares, qui font pression sur eux pour qu’ils gardent le silence ». Malgré tout, l’agence a récemment triplé ses effectifs en Bulgarie, une décision qui soulève des questions sur son efficacité et sa crédibilité dans le respect des droits humains.

Sur le même sujet : Entre Frontex et les ONG : la bataille du ciel

Frontex a également été critiquée pour son rôle lors du naufrage tragique au large de Pylos, en Grèce, en juin 2023, où 650 migrants ont trouvé la mort. Bien que présente dans la zone avec ses drones et avions de surveillance, elle n’a pas émis de signal de détresse. Une enquête du Médiateur européen sur le rôle de Frontex, assure que l’agence n’avait pas commis de faute, mais demande des améliorations significatives. Lors de la publication du rapport, la médiatrice avait déclaré : « Presque huit mois après cet événement tragique, aucun changement n’a été apporté pour empêcher qu’un tel drame ne se reproduise. »

Le virage politique de l’ancien directeur

L’année 2024 a également été marquée par le ralliement de l’ancien directeur de Frontex, Fabrice Leggeri, au Rassemblement national, qui l’a bombardé en troisième position sur sa liste aux élections européennes. À la tête de l’agence entre 2015 et 2022, il était déjà accusé d’avoir couvert des refoulements illégaux en mer Égée.

Sur le même sujet : Le RN enrôle l’ex directeur de Frontex

En 2020, l’Office européen de lutte antifraude (Olaf) avait perquisitionné ses bureaux, dans le cadre d’une enquête sur lesdits refoulements, révélés par la presse. Deux ans après, une fois le rapport de l’OLAF terminée, Fabrice Leggeri présentait soudainement sa démission. Pour Jordan Bardella, l’ancien patron avait été « poussé à la démission […] parce qu’il agissait contre la submersion de l’Europe ».

25 000 personnes sont mortes sous votre direction quand vous étiez à la tête de Frontex.

M. Aubry

Lors de son premier débat pour les élections européennes, en 2024, Fabrice Leggeri se retrouve face à Manon Aubry, qui l’interpelle sur son ancien poste : « 25 000 personnes sont mortes sous votre direction quand vous étiez à la tête de Frontex. Monsieur Frontex, vous avez du sang sur les mains ! » Quelques jours après, la Ligue des droits de l’homme (LDH) et l’association de défense des migrants Utopia 56 portent plainte contre le candidat pour complicité de crimes contre l’humanité et de torture.

Le changement de cap : sincère ou stratégique ?

En parallèle, Frontex a opéré un changement stratégique concernant son rôle en Méditerranée. Sous le mandat de Fabrice Leggeri, Frontex accusait régulièrement les ONG de collusion avec les passeurs. Arrivé en mars 2023, le nouveau directeur, Hans Leijtens a affirmé, début septembre 2024 à Euronews, que les actions des ONG n’étaient « pas un facteur d’attraction », contredisant les anciennes prises de positions de l’agence.

Après des années de critiques sur son manque de soutien aux opérations de secours, l’agence a décidé de partager des informations sur les bateaux en détresse avec des organisations humanitaires présentes en Méditerranée.

Sur le même sujet : Frontex : un océan d’impunité

Cependant, de nombreux observateurs restent sceptiques quant à la sincérité de ce revirement. Certains estiment que Frontex cherche à redorer son image après des années de scandales. D’autres soulignent que, malgré ce changement de cap, l’agence continue d’opérer dans des zones sensibles et de coopérer avec des régimes accusés de maltraiter les migrants, comme la Libye. En mai 2024, une enquête des médias allemands NDR et WDR révèle que Frontex n’est pas intervenu dans, au moins, deux refoulements illégaux.

Toujours plus d’effectifs

En dépit de ces controverses, l’Union européenne continue de miser sur Frontex pour assurer la sécurité de ses frontières extérieures. L’agence a vu son budget augmenter de façon exponentielle et ses effectifs devraient atteindre 10 000 gardes-frontières d’ici à 2027. Les défenseurs des droits humains, comme La Cimade, plaident pour un réexamen en profondeur du rôle de Frontex, estimant que son expansion ne se fait pas au service des valeurs européennes de respect de la dignité humaine.

Ursula von der Leyen a annoncé vouloir tripler les effectifs de Frontex.

En juillet 2024, pour son nouveau mandat, la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen a annoncé vouloir tripler les effectifs de Frontex pour atteindre 30 000 gardes-frontières et gardes-côtes. Fin 2022, l’Organisation internationale pour les migrations dénombrait, depuis 2014, près de 30 000 décès sur les routes migratoires européennes.

Recevez Politis chez vous chaque semaine !
Abonnez-vous

Pour aller plus loin…

« Aujourd’hui, le nouveau front, c’est d’aller faire communauté dans les territoires RN »
Entretien 22 novembre 2024 abonné·es

« Aujourd’hui, le nouveau front, c’est d’aller faire communauté dans les territoires RN »

Auteur de La Colère des quartiers populaires, le directeur de recherches au CNRS, Julien Talpin, revient sur la manière dont les habitants des quartiers populaires, et notamment de Roubaix, s’organisent, s’allient ou se confrontent à la gauche.
Par Hugo Boursier
Les personnes LGBT+, premières victimes de violences sexuelles
Étude 21 novembre 2024 abonné·es

Les personnes LGBT+, premières victimes de violences sexuelles

Une enquête de l’Inserm montre que de plus en plus de personnes s’éloignent de la norme hétérosexuelle, mais que les personnes LGBT+ sont surexposées aux violences sexuelles et que la transidentité est mal acceptée socialement.
Par Thomas Lefèvre
La santé, c’est (avant tout) celle des hommes !
Santé 21 novembre 2024 abonné·es

La santé, c’est (avant tout) celle des hommes !

Les stéréotypes sexistes, encore profondément ancrés dans la recherche et la pratique médicales, entraînent de mauvaises prises en charge et des retards de diagnostic. Les spécificités féminines sont trop souvent ignorées dans les essais cliniques, et les symptômes douloureux banalisés.
Par Thomas Lefèvre
La Confédération paysanne, au four et au moulin
Syndicat 19 novembre 2024 abonné·es

La Confédération paysanne, au four et au moulin

L’appel à la mobilisation nationale du 18 novembre lancé par la FNSEA contre le traité UE/Mercosur laisse l’impression d’une unité syndicale, qui n’est que de façade. La Confédération paysanne tente de tirer son épingle du jeu, par ses positionnements et ses actions.
Par Vanina Delmas