À Lyon, les femmes sans toit donnent de la voix
Au sein d’un collectif, des mères de famille sans abri cherchent elles-mêmes des solutions de logement face à des pouvoirs locaux dépassés. Malgré leurs promesses de campagne, les écologistes peinent à répondre aux besoins.
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Une carte monofamille ou un statut de parent isolé ? Petit manuel d’émancipation maternelle « Faire entrer la révolution de la monoparentalité dans nos institutions » Dans les quartiers populaires, le stigmate de la « mauvaise mère »Quand Sarah a « fui la mort » qui l’attendait au Congo-Kinshasa, elle ne s’attendait pas à trembler de nouveau de peur en France. Après un passage en Grèce, qui lui accorde un titre de séjour mais pas de logement, et encore moins un travail, elle atterrit à Lyon. À la rue, elle remarque un jour que quelque chose a changé chez sa voisine de trottoir. « Elle était toute belle, toute propre, se souvient-elle en riant. Je lui ai demandé son secret et elle m’a parlé du collectif. »
C’était en décembre 2023. Un an plus tard, Sarah a changé, elle aussi. Fièrement campée sur ses pieds, son petit garçon dans le dos, elle hurle à plein poumons dans un mégaphone en direction du siège de l’organisme public Grand Lyon Habitat. « Descendez parler avec les femmes ! Le 13 octobre, on ne sortira pas ! » Depuis le 18 juin, 80 personnes sans-abri, dont Sarah, se sont installées dans un bâtiment vacant du IXe arrondissement de Lyon, propriété du bailleur social. Ce dernier a demandé leur expulsion. Sarah, Raouia, Fahtia et toutes les autres, réunies au sein du collectif Solidarité entre femmes à la rue, ont décidé de faire front.
Certaines vivaient dans la rue, en squat ou se cachaient dans des cages d’escalier.
À l’origine de ce collectif, trois Lyonnaises. Camille et Clara, du collectif Droit au logement 69, et Juliette Murtin, une enseignante de Jamais sans toit, un réseau qui héberge les élèves sans abri dans des écoles. Lors des réunions relatives à la situation des squats lyonnais, elles remarquent que les femmes, invisibles dans la rue, sont également inaudibles. « Les habitantes ne prennent jamais la parole alors que nous avons constaté une augmentation de la proportion de femmes parmi les personnes sans abri », note Juliette Murtin. Elles réfléchissent alors à un espace qui leur serait consacré, pour visibiliser leur présence et leur octroyer une place active dans les luttes.
Le bouche-à-oreille est efficace. Fin avril 2023, le collectif Solidarité entre femmes à la rue organise sa première réunion non mixte. « Il y avait une vingtaine de femmes. Certaines vivaient dans la rue, en squat ou se cachaient dans des cages d’escalier, d’autres étaient hébergées avec leurs enfants dans des écoles ou par des tiers. » Les rares pères présents adhèrent sans difficulté au concept et gardent les enfants. Un an et demi plus tard, les réunions hebdomadaires ne désemplissent pas. « Il y a entre 40 et 80 femmes à chaque fois, je dois réserver un amphi ! »
Une stratégie d’occupation qui porte ses fruits
L’été 2023 a été un catalyseur. Le nombre de personnes à la rue explose, les écoles qui hébergeaient les familles ferment, les mises à l’abri se font pressantes. À la mi-juin, le collectif décide d’occuper un gymnase du VIe arrondissement de Lyon. Pendant trois mois, 56 personnes s’y entassent dans la promiscuité, la chaleur et les maladies. L’occupation se solde par une victoire : bien que ce ne soit pas de son ressort, la ville de Lyon décide de les prendre en charge.
Les réunions continuent et, à l’automne, une nouvelle occupation est décidée. Les femmes sorties d’affaire reviennent prêter main-forte. Cette fois-ci, une centaine de personnes investissent le centre culturel et de la vie associative de Villeurbanne à l’occasion de la « semaine de l’hospitalité ». Trois mois plus tard, elles sont prises en charge par les services de l’État et la mairie de Villeurbanne. Au printemps suivant, la stratégie du collectif se heurte aux forces de l’ordre. Le dernier gymnase occupé est évacué. « C’était violent, les enfants en font encore des cauchemars », confie Sarah. Face à la perspective de retourner à la rue, il en faut plus pour les décourager. Le 18 juin, le collectif a jeté son dévolu sur le numéro 40 du quai Arloing.
L’émancipation de ces femmes par le combat militant, c’est la réussite principale du collectif.
J. Murtin
Dans le haut bâtiment décrépi, les enfants jouent dans les escaliers pendant que les femmes racontent, assises en cercle sur le parquet à chevrons taché, entre les vêtements qui sèchent, les poussettes et les laits pour bébé. Stoïques, elles décrivent d’une voix claire les mois, voire les années de galère dehors. Le froid, la faim, les agressions sexuelles et, pire, la peur de ne pas réussir à protéger ses enfants. « Ma fille de 12 ans a failli être violée trois fois », lâche Sarah, les yeux brillants.
Raouia serre sa fillette sur ses genoux. Elle dormait dans un local à poubelles avec son mari et leurs deux jeunes enfants quand on leur a parlé du collectif. Fahtia est italienne. Son mari et elle pensaient pouvoir offrir à leurs enfants un avenir meilleur en France que sous le régime de Giorgia Meloni. Sans titre de séjour, ils n’ont plus été autorisés à travailler et ont été expulsés de leur logement.
Toutes ces femmes ont intégré le collectif sans hésiter. « Depuis que je fais partie du collectif, je me sens bien, je me sens forte ! », claironne Sarah. « Certaines femmes étaient prostrées, terrorisées par tout, se souvient Juliette Murtin. Elles ont redressé la tête et retrouvé leur dignité. L’émancipation de ces femmes par le combat militant, c’est la réussite principale du collectif. » À côté d’elle, Sylvie a quitté le Congo-Kinshasa avec ses cinq enfants après l’assassinat de son mari. Très digne dans son tee-shirt Dark Vador, elle acquiesce en souriant : « Ce collectif, c’est la paix du cœur, et l’assurance de vivre. »
Expulsions
L’arrivée des écologistes à la tête de la ville et de la métropole de Lyon, en 2020, laissait présager un tournant. Si l’hébergement d’urgence relève prioritairement de l’État, la métropole de Lyon, compétente en matière de protection de l’enfance, a la responsabilité des femmes enceintes, des mères isolées avec de jeunes enfants et des mineurs. La collectivité a voté 8,6 millions d’euros sur le mandat pour lutter contre le sans-abrisme.
L’exécutif écologiste et de gauche ambitionnait alors « une métropole accueillante et hospitalière », qui tranchait avec celle de leurs prédécesseurs. Dès le premier hiver du mandat, la ville a de son côté annoncé un plan « zéro enfant à la rue ». En début d’année 2024, Lyon et d’autres communes dirigées par des élus écologistes ou de gauche ont même attaqué l’État en justice pour ses manquements en matière d’hébergement d’urgence.
Malgré l’ouverture d’un nombre non négligeable de places d’hébergement par la métropole, des gymnases ici et là par la ville et des squats tolérés, les écologistes flanchent. Et ont fini par recourir, eux aussi, aux expulsions. « Ça a été la douche froide », commente Juliette Murtin, amère. Les chiffres de Jamais sans toit parlent d’eux-mêmes. En deux ans, le nombre d’enfants à la rue a été multiplié par cinq à Lyon – par trois sur la métropole.
Le 15 juillet, la crise a atteint son paroxysme quand la métropole de Lyon a suspendu la prise en charge des mères isolées avec enfant de moins de 3 ans en raison d’une « situation budgétaire contrainte ». « Les bébés à la rue » de Lyon ont fait les gros titres. Celle-ci a repris début septembre, avec des restrictions. Les travailleurs sociaux doivent notamment vérifier « l’isolement » des femmes et contacter un éventuel conjoint. Impensable pour Gloria, par exemple, qui a fui l’Angola et un mari violent dont les coups l’obligent à rester alitée.
Tout le monde a le droit d’avoir un toit. Pourquoi pas nous ?
Les habitantes du 40, quai Arloing espéraient qu’on les laisse y passer au moins l’hiver. Une résidence sociale étudiante doit y être construite, dont les travaux doivent démarrer au plus tôt en janvier. Grand Lyon Habitat, au conseil d’administration duquel siègent plusieurs élus métropolitains de gauche, dont Renaud Payre, vice-président de la métropole en charge du logement, a demandé – et obtenu – l’expulsion du bâtiment. Le bailleur social affirme à Politis avoir pris cette décision « compte tenu des risques forts pour la sécurité des occupants ». « Il n’y a pas de risque d’effondrement immédiat attesté et donc pas d’arrêté de péril », précise-t-il, assurant que « l’organisme va rester dans l’échange avec le collectif ».
Le 13 octobre, que deviendront les 80 personnes du quai Arloing ? Du côté des services de l’État comme de la métropole et de la ville de Lyon, personne n’a répondu. Dans le vieil immeuble, tous tentent de faire comme si la date fatidique n’allait jamais arriver. Malgré elle, Fahtia laisse échapper un sanglot face à la question de son fils de 10 ans, à laquelle elle est bien incapable de répondre : « Maman, je ne comprends pas. Tout le monde a le droit d’avoir un toit. Pourquoi pas nous ? »