« Des consommateurs ont perdu confiance dans le label »

Les achats de produits bio tendent à diminuer depuis 2020. Grégori Akermann, sociologue, analyse les raisons de ce déclin.

Mathilde Doiezie  • 30 octobre 2024 abonné·es
« Des consommateurs ont perdu confiance dans le label »
© Riccardo Milani / Hans Lucas / AFP

La part des produits issus de l’agriculture biologique dans le panier des Français est passée de 6,5 % en 2020 à 5,6 % en 2023. Selon Grégori Akermann, sociologue à l’Institut national de recherches pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae), cette baisse, liée au désengagement de la grande distribution dans la filière bio, a induit méfiance et désintérêt parmi les consommateurs.

Les achats d’aliments bio diminuent. En tant que chercheur spécialiste des consommations alimentaires alternatives, que constatez-vous ?

Grégori Akermann : La consommation n’est effectivement plus tout à fait à la même hauteur qu’avant, comme le signale le baromètre de l’Agence bio. Il y a eu un pic en 2020 et, depuis, nous constatons une baisse. On peut cependant relativiser celle-ci, car elle ne prend pas la même forme selon les lieux de distribution. Les magasins spécialisés, par exemple, ne se portent pas trop mal et n’ont pas forcément subi de baisses de consommation, surtout s’ils étaient installés avant la crise.

« Pendant quelques années, la grande distribution s’est intéressée au bio parce qu’elle voyait des courbes de croissance très importantes. » (Photo : DR.)

Là où il y a un problème, c’est dans la grande distribution. Pendant quelques années, elle s’est intéressée au bio parce qu’elle voyait des courbes de croissance très importantes. Puis, quand elle a constaté un début de stagnation et de décroissance, elle a décidé d’arrêter. Beaucoup d’acteurs de la grande distribution ont supprimé leurs rayons bio, comme Lidl ou certains Carrefour. Ou bien ils ont supprimé un certain nombre de références. Cette anticipation de la grande distribution a finalement encouragé la baisse de la consommation.

Vous avez participé à une étude sur les consommateurs qui ont réduit leurs achats d’aliments issus de l’agriculture biologique. Comment justifient-ils leurs choix ? Uniquement par le prix ?

La première chose qu’ils disent, en effet, c’est que le bio est plus cher. Et, dans un contexte inflationniste, ils font plus attention à leur portefeuille. Mais les gens tentent de trouver des arguments pour rationaliser leurs pratiques, pour ne pas juste dire qu’ils ont comprimé leur budget alimentaire afin de préserver celui des vacances. Car, en cas d’aléas financiers, la tendance est de réduire d’abord les dépenses alimentaires. L’absence dans les rayons de certaines références bio auxquelles ils étaient habitués les a aussi conduits à se tourner vers d’autres produits.

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Puis une partie des consommateurs a perdu confiance dans le label bio en se rendant compte que des acteurs de l’agro-industrie se sont mis à en faire. Et qu’on reste donc avec les mêmes filières, les mêmes types de producteurs, quoique avec un léger changement dans les méthodes de production… Ils se disent que le bio est devenu un peu plus marketing et sont moins enclins à payer plus cher pour ces produits. Il faudrait en réalité que les consommateurs comprennent que la grande distribution sur-marge les produits bio pour compenser le fait qu’elle sous-marge les produits de marque distributeur.

Ce qui ressort beaucoup, en termes de substitution, c’est le remplacement du bio par le local.

Développent-ils d’autres pratiques alternatives ?

J’ai observé que les personnes faisant face à des contraintes économiques passagères ou ayant des revenus limités allaient quand même continuer de se diriger vers certains labels, comme le Label rouge pour les œufs ou la viande, ou privilégier les fruits et légumes d’origine France, en tenant compte de la saison. Ou bien qu’elles choisissaient le « zéro résidu de pesticides », en se disant que ça se rapprochait du bio. Pour les consommateurs qui achetaient du bio pour des raisons de santé, l’absence de pesticides chimiques peut suffire. Et ce qui ressort surtout beaucoup, en termes de substitution, c’est le remplacement du bio par le local.

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Le local ne renvoie pourtant pas nécessairement à des pratiques plus vertueuses…

Effectivement, « local », ça ne veut rien dire. Il n’existe aucune définition précise en France. Mais la proximité crée un sentiment de confiance. Les consommateurs se tournent directement vers des producteurs quand c’est possible, ou bien vers les marchés, ou encore le primeur du quartier. En disant bonjour régulièrement à celui qui nous vend des légumes, on a tendance à se dire que les pratiques agricoles derrière sont bonnes et qu’il ne peut pas y avoir de trahison. Je reste un peu méfiant vis-à-vis de ces discours, car il y a souvent un écart entre ce que les gens disent et ce qu’ils font. Le local est devenu une alternative acceptable médiatiquement et socialement, alors cela donne une bonne justification pour réduire sa consommation de bio.

En vente directe ou dans certains magasins spécialisés, le bio n’est pas forcément plus cher que les produits issus de l’agriculture conventionnelle. Alors si on met l’argument du prix à part, pourquoi
le bio ne se développe pas plus ?

Un marquage social très fort sur cette alimentation pèse aujourd’hui sur la consommation. Le bio est associé à des populations plus éduquées, plus aisées, avec des valeurs fortes sur l’écologie. Les publics moins militants, moins urbains, moins éduqués associent donc ces produits à ces consommateurs et estiment que ce n’est pas pour eux. Non parce qu’ils ne s’en sentent pas à la hauteur, mais par des logiques de frontières : ils n’ont pas envie d’être associés à des gens qu’ils n’apprécient pas forcément.

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Le bio, c’est aussi d’autres types de pratiques. Il faut cuisiner, réorganiser son temps, orienter son régime vers moins de viande et plus de légumineuses pour ne pas trop déséquilibrer son budget. Une piste de solution serait d’imposer davantage le bio par la loi, par exemple dans les cantines scolaires (l’objectif fixé par la loi Egalim n’est que de 20 % à ce jour, N.D.L.R.). Manger du pain bio ne serait plus manger le pain du bourgeois. Tout le monde pourrait se l’approprier.

Il faudrait redire que le bio, c’est bon pour la santé et que les produits ont généralement meilleur goût.

Communiquer moins sur la dimension environnementale pourrait aussi aider. Il faudrait redire que le bio, c’est bon pour la santé et que les produits ont généralement meilleur goût. Car se concentrer sur des logiques collectives de préservation de l’environnement demande aux gens d’arbitrer entre eux et la société. Et ceux qui vivent sous contrainte financière ou de temps se demandent pourquoi ce serait à eux de faire un effort.

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