Immigration : la course à l’extrême

Depuis quatre décennies, nos gouvernements de droite comme de gauche s’illusionnent en pensant qu’un durcissement des lois sur l’immigration fera reculer le vote d’extrême droite.

Michel Soudais  • 23 octobre 2024 abonné·es
Immigration : la course à l’extrême
En septembre 2023, l’ONG espagnole Open Arms sauve 178 migrants dans les eaux internationales.
© JOSE COLON / ANADOLU AGENCY / AFP

Michel Barnier « comprend l’impatience des Français ». De quelle « impatience » parle donc le premier ministre ? Du pouvoir d’achat ? De l’avenir de notre système social, tant sur les questions de santé que pour les retraites ? Non. Ce n’est pas pour ces sujets d’inquiétude, pourtant en tête des préoccupations des Français mesurées par les instituts de sondage, que le premier ministre manifeste de la compréhension.

L’impatience qu’il évoque dans un long entretien au JDD est celle des journalistes de l’hebdo dominical de Bolloré et du public auquel ce titre s’adresse : il leur confirme la préparation d’une énième loi sur l’immigration début 2025. Le projet a été confié à Bruno Retailleau. Face aux préfets, le ministre de l’Intérieur a déclaré le 8 octobre avoir « besoin des mesures votées dans la loi immigration [promulguée en janvier] mais censurées – uniquement sur la forme – par le Conseil constitutionnel ». Des dispositions approuvées alors par le Rassemblement national.

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Sans attendre, il annonce ne plus « régulariser qu’au compte-gouttes sur la base de la réalité du travail et de vrais critères d’intégration » et renforcer les contrôles aux frontières. Pour justifier son discours martial, Bruno Retailleau n’a pas craint d’affirmer que « l’immigration n’est pas une chance pour la France » (LCI, 29 septembre). Une affirmation à rebours de ce que proclamait Bernard Stasi, une figure du centre droit aujourd’hui oubliée, dans un essai remarqué écrit en réaction au discours lepéniste qui venait de percer électoralement, L’Immigration : une chance pour la France (éd. Robert Laffont). C’était en 1984, il y a quatre décennies. Une éternité.

Car c’est bien à ce moment que la droite d’abord, la gauche ensuite, ont commencé à faire de l’immigration un enjeu sécuritaire et identitaire, au détriment de l’accueil des migrants. Avec le retour de la droite au gouvernement, une première loi Pasqua adoptée en septembre 1986 restreint les conditions d’entrée et de séjour des étrangers. Elle inaugure une série de textes législatifs et réglementaires toujours plus durs, portés et justifiés par l’espoir (vain) de faire reculer le vote d’extrême droite. Revient à chaque fois cette ritournelle : il faut entendre le message des électeurs qui ont voté pour l’extrême droite.

« Sentence de mort »

Ce que fait le premier ministre socialiste Michel Rocard, le 3 décembre 1989 quand il déclare sur TF1 : « Nous ne pouvons pas héberger toute la misère du monde. » Une phrase qui sonne comme « une sentence de mort » dira le philosophe Pierre Tevanian. Prononcée le jour où le FN gagne pour la première fois dans une législative partielle au suffrage majoritaire à deux tours, avec 61,3 %. Une semaine plus tard, François Mitterrand déclare dans un entretien radiotélévisé que le « seuil de tolérance » des Français à l’égard des étrangers « a été atteint dans les années 1970 ».

On ne peut pas accueillir toute la misère du monde

Les gouvernements socialistes ne sont jamais vraiment revenus sur ce virage et les lois impulsées par la droite, toujours plus restrictives. Au point qu’en 2002, quand Jean-Marie Le Pen accède au second tour de la présidentielle, toutes les mesures que le FN avait inscrites dans son programme de 1992 pour « stopper l’immigration » étaient en application. Si Nicolas Sarkozy, à l’Intérieur et à l’Élysée, s’entête dans cette course à l’échalote avec le parti lepéniste, l’espoir soulevé par l’élection de François Hollande est vite retombé.

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En août 2013, Manuel Valls plaide dans un séminaire gouvernemental pour « repenser notre politique migratoire d’ici à dix ans » en raison d’une « poussée démographique, notamment africaine ». Il veut déjà « revoir la question du regroupement familial » et doute que « l’islam est compatible avec la démocratie ». Lors d’un déplacement à Munich en 2016, il assure que la France « ne peut plus accueillir de réfugiés ».

Combien de réfugiés et de migrants laissera-t-on encore mourir au nom d’un antifascisme de salon ?

En 2017, Emmanuel Macron s’affichait volontiers plus favorable à une ouverture des frontières. Las, en avril 2018, pour justifier sa loi asile et immigration, Gérard Collomb, son ministre de l’Intérieur, évoque des régions « submergées par les flux de demandeurs d’asile ». L’ex-socialiste, qui accuse aussi les migrants de faire du « benchmarking », assume de reprendre le lexique lepéniste : « Si je ne résolvais pas ce problème d’immigration, Marine Le Pen ou son succédané sera au pouvoir dans quatre ans », déclare-t-il au JDD.

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On connaît la suite. Jusqu’à la reprise par Emmanuel Macron de « la sentence de mort » de Michel Rocard. Combien de réfugiés et de migrants laissera-t-on encore mourir au nom d’un antifascisme de salon ?

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