Au procès du FN-RN, Fernand Le Rachinel met à mal la défense de Marine Le Pen
L’ex-eurodéputé a reconnu que ses deux « assistants parlementaires », Thierry Légier et Micheline Bruna, travaillaient en réalité auprès du président du FN, comme garde du corps et secrétaire de Jean-Marie Le Pen. Et fait état d’un mode de fonctionnement établi dès… 1984.
À la barre du tribunal correctionnel de Paris, lundi 7 octobre, Fernand Le Rachinel, 82 ans, se défend d’être un « délinquant ». Premier ex-député européen à être interrogé sur les contrats fictifs de ses deux assistants parlementaires entre 2004 et 2009, il assure n’avoir « rien à [se] reprocher » et n’avoir « jamais triché avec le règlement du Parlement ». Et s’il ne voit pas quel « préjudice moral » le Parlement européen peut invoquer, il fait état du sien à être ainsi convoqué au risque de sa réputation dans sa « province ».
L’homme est un autodidacte devenu notable dans sa Manche natale. Apprenti typographe à 14 ans, Meilleur ouvrier de France catégorie imprimerie – « ce qui m’a permis d’avoir une équivalence bac + 3 grâce à un décret de M. Mélenchon », ministre de l’Enseignement professionnel, glisse-t-il, suscitant des rires dans la salle – il est à la tête d’une myriade d’entreprises, dont plusieurs imprimeries, et a été président du tribunal de commerce de Saint-Lô. Élu conseiller général de la Manche en 1979, mandat qu’il occupera vingt-deux ans, il rejoint le Front national (FN) au début des années 1980 à l’appel de Jean-Marie Le Pen.
Imprimeur et bailleur de fonds du FN
Vingt ans conseiller régional de Basse-Normandie sous cette étiquette, deux fois député européen (1994-1999, 2004-2009) et fidèle imprimeur du parti d’extrême droite, M. Le Rachinel pouvait aussi, à l’occasion, voler au secours des finances de son parti. En 1999, il lui sauve la mise aux européennes en lui prêtant 40 millions de francs. En 2007, pour la présidentielle, il prête 1,5 million d’euros à son « ami » Jean-Marie Le Pen, qui le remboursera. Et pour les législatives 6,8 millions d’euros au FN, qui refusera de le rembourser avant d’y être contraint par un arrêt de la Cour de cassation en novembre 2013. En raison de ce litige, il a claqué la porte du FN en 2008.
Toutefois quand il comparaît, ce lundi 7 octobre, pour être interrogé sur les contrats fictifs de ses deux assistants parlementaires entre 2004 et 2009, et répondre de l’accusation de détournement de fonds publics, Fernand Le Rachinel ne manifeste plus aucune récrimination envers les dirigeants de son ancien parti. « Pour moi, c’est une affaire terminée », dit-il à plusieurs reprises.
Déjà en 1994-1990 on procédait de la même façon.
F. Le Rachinel
Il reconnaît sans détour avoir embauché Thierry Légier et Micheline Bruna, à la demande de Jean-Marie Le Pen ; que l’un et l’autre travaillaient auprès du président du FN. Le premier était son garde du corps depuis 1992, la seconde sa secrétaire particulière. Et le lieu de travail qui figurait dans leur contrat était la propriété du Parc de Montretout à Saint-Cloud (Hauts-de-Seine) où M. Le Pen avait établi ses bureaux. Toutes choses confirmées par Jean-Marie Le Pen à l’instruction, ce dont il se satisfait.
« Jean-Marie Le Pen décidait de tout… »
M. Le Rachinel admet avoir « signé leurs contrats en toute bonne foi » puisque « déjà en 1994-1990 [lors de son précédent mandat européen] on procédait de la même façon ». D’ailleurs, indique-t-il, entré en fonction après la démission de la députée européenne Chantal Simonot, quatre mois après l’élection, il n’a pas pu bénéficier des réunions d’information dispensées aux nouveaux élus.
Au beau milieu de cette audition ont apprenait par l’AFP que le Parlement européen a réclamé le 8 juillet quelque 303 000 euros à Jean-Marie Le Pen indûment facturés. Cette réclamation, qui n’avait pas été rendue publique, se fonde sur un rapport de l’Office européen de lutte antifraude (Olaf) qui conteste à l’ancien leader d’extrême droite le remboursement sur ses frais de mandat de dépenses de bulletins d’informations, stylos, cartes de visite, cravates, parapluies, balances de cuisine, horloges de bureau, bracelets connectés, lunettes de réalité virtuelle ou encore de 129 bouteilles de vin. Le Parlement européen était décidément pour l’extrême droite une poule aux œufs d’or.
Ce qu’il ne dit pas c’est que son arrivée tardive avait été arrangée avant le scrutin. Pour contourner la parité, comme l’avait raconté Le Monde, le FN avait placé en secondes de liste des femmes acceptant de démissionner dans l’hypothèse où elles seraient élues pour permettre l’élection d’un homme. Ce fut le cas dans la circonscription Nord-Ouest au bénéfice de M. Le Rachinel, dont l’épouse était elle-même une fausse candidate, seconde de liste dans la circonscription Est, derrière Bruno Gollnisch.
Cet arrangement initial explique très vraisemblablement que M. Le Rachinel n’ait pas discuté la demande du président du FN. « Jean-Marie Le Pen décidait de tout de toute façon », avait déclaré l’ex-député européen, lors d’une audition libre, devant la police, le 5 avril 2017. « Les choses fonctionnaient comme cela depuis 1984 », assurait-il, confirmant totalement notre enquête sur l’ancienneté des pratiques qui valent aujourd’hui au FN-RN et 27 de ses dirigeants devant le tribunal de Paris.
Un fonctionnement en pool opaque
Invité par la présidente du tribunal à confirmer ces propos, il acquiesce sans réserve. Et répète ce qu’il disait déjà alors : « Ce système ne me convenait pas parce que, réellement impliqué dans le travail parlementaire, j’aurais aimé avoir un vrai assistant. » Car face au tribunal, M. Le Rachinel assure fièrement avoir été « un des élus les plus présents » durant cette mandature.
Marine Le Pen a dit que mes déclarations étaient ignobles.
F. Le Rachinel
Rapporteur de la commission des transports et du tourisme, il se flatte d’avoir signé de nombreux rapports et avoir « reçu pour cela les félicitations d’Hans-Gert Pöttering », alors président PPE du parlement. Une activité intense qui contredit l’affirmation de Marine Le Pen, laquelle prétendait la semaine dernière que les eurodéputés frontistes rejetés dans l’opposition, qui plus est parmi les non-inscrits, n’avaient pas grand-chose à faire au Parlement européen.
Privé d’assistant personnel, l’ex-eurodéputé explique avoir été aidé « en contrepartie » sur ses dossiers par deux autres assistantes parlementaires dont il n’était pas l’employeur. « Nous étions organisés en pool avec un secrétariat commun », explique-t-il en reprenant le récit distillé depuis le début du procès par les avocats du Rassemblement national, selon lequel les assistants étaient mutualisés. Une version qui se heurte à plusieurs objections formulées à l’audience.
Véritable triangle des Bermudes
Quelle mutualisation peut-il y avoir dans le cas de M. Légier et Mme Bruna, ceux-ci étant exclusivement au service de M. Le Pen ? Les intéressés, interrogés à leur tour en fin de journée, peineront à trouver quelques menus services qu’ils auraient pu rendre à leur patron de papier ou au groupe parlementaire. Comment était organisé ce pool ? À cette question de la présidente du tribunal, Bénédicte de Perthuis, Fernand Le Rachinel répond qu’« il n’y avait pas d’organisation formelle ». « Il n’y a jamais eu de litige, on n’était que sept » parlementaires, ajoute-t-il.
4,3 fois le Smic pour un assistant, est-ce normal ?
Présidente du tribunal
Quel doit être le profil d’un assistant parlementaire ? Il concède qu’« il faut une expérience au Parlement européen. Au moins un mandat pour se mettre dans le coup ». A-t-il une idée de la rémunération d’un assistant ? Apparemment, non. « 4,3 fois le Smic pour un assistant, est-ce normal ? » relance-t-elle. « Pour Thierry Légier, garde du corps, oui », assure M. Le Rachinel. L’heureux salarié, interrogé un peu plus tard pour savoir avec qui sa rémunération avait été négociée – M. Le Rachinel ou M. Le Pen ? – botte en touche : « Il faut demander à M. Le Pen. »
Qui tire les ficelles ?
Qui avait le pouvoir de contrôler le travail d’un assistant si ce dernier ne travaillait pas pour son employeur ? Dans ce contexte, pouvait-il exister un lien de subordination ? Un épisode éclaire cette relation. À l’automne 2008, Fernand Le Rachinel en conflit avec le FN sur sa créance et décide de ne pas en faire payer les conséquences à ses assistants, après avoir eu la garantie de bénéficier des services des assistants du pool. En novembre, il demande toutefois par courrier à Thierry Légier d’effectuer dorénavant les tâches normales d’un assistant parlementaire.
La réponse de ce dernier est un must d’insubordination : « Je ne vois pas en quoi les difficultés avec le FN peuvent vous permettre de mettre en place ce que vous dites être des modifications aux conditions dans lesquelles mon contrat de travail s’effectue. » Interrogé par Me Patrick Maisonneuve, avocat du Parlement européen, M. Légier soutient n’avoir « jamais écrit ce courrier ».
– C’est vous qui l’avez signé ?
– Je n’en ai plus le souvenir, je suis désolé.
Devant la production d’un mail de l’avocat Wallerand de Saint-Just à Jean-Marie Le Pen (et copie à Marine Le Pen) leur suggérant ce que « Thierry Légier pourrait répondre », conforme au mot près à ce qu’il a effectivement répondu, le garde du corps sous couverture d’assistant parlementaire lâche : « C’est en effet M. de Saint-Just qui a écrit ce courrier. Il m’a demandé de venir le signer. »
Il y a des signatures bizarres dans ce dossier.
Présidente du tribunal
La présidente lui demande alors s’il reconnaît sa signature. « Il y a des signatures bizarres dans ce dossier », glisse-t-elle tandis qu’à l’écran des pièces du dossier d’instruction montrent des variations de signature. « Je ne peux pas vous aider, je n’ai aucun souvenir », coupe Thierry Légier.
« J’en ai pris plein la gueule au FN »
Dans l’audition libre déjà citée, Fernand Le Rachinel avait qualifié Wallerand de Saint-Just comme étant « une des âmes damnées de Marine Le Pen ». Il avait aussi déclaré : « Je pense que le Parlement européen a représenté un avantage financier pour le FN ; surtout, n’ayant pas de député au parlement français, le parti n’avait pas d’autre moyen de financement. » Trois ans plus tard, en comparution devant un magistrat il racontait que son procès-verbal d’audition ayant circulé, il s’en était « pris plein la gueule au FN ». « Marine Le Pen a dit que mes déclarations étaient ignobles », ajoutait-il.
À l’audience, en présence de Marine Le Pen, assise au premier rang des prévenus, avec un dossier annoté d’une quinzaine de centimètres d’épaisseur, l’ancien élu est moins loquace. Et s’il feint de ne plus précisément se souvenir en raison de son âge avancé, il ne nie pas non plus ses déclarations passées.