Doliprane : un cas d’école

La cession d’Opella par Sanofi est un exemple parfait de la financiarisation de l’industrie française, obsédée par la rentabilité, et menée par une caste de haut-fonctionnaires venu pantoufler dans le privé.

Liêm Hoang-Ngoc  • 30 octobre 2024
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Doliprane : un cas d’école
© Marek Studzinski / Unsplash

La cession d’Opella par Sanofi est un nouvel épisode de la financiarisation de l’industrie française. Inaugurée dans les années 1990 par le démantèlement des noyaux durs issus des privatisations, la financiarisation désigne l’objectif de création de valeur pour l’actionnaire assigné aux dirigeants d’entreprise par les nouveaux actionnaires contrôlant les groupes cotés en Bourse, dont les titres doivent procurer un certain rendement boursier. Celui-ci dépend des dividendes versés, rendant attractive l’acquisition des titres sur le marché, ainsi que de leur plus-value latente (réalisée en cas de revente).

La financiarisation a contaminé les grandes familles du capitalisme français, qui nouent souvent alliance avec des investisseurs institutionnels à la recherche de rendements définis (pour servir des pensions de retraite dans le cas des fonds de pension) ou de rendements maximaux (dans le cas de fonds spéculatifs). Dans le cas Sanofi, les actionnaires de référence sont L’Oréal, détenu par la famille Bettencourt, mais aussi les fonds d’investissement Dodge & Cox et Amundi.

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De concert, ils considèrent que Sanofi doit désormais se recentrer sur un cœur de métier à forte valeur ajoutée (tels les maladies rares et immuno-inflammatoires, l’hématologie et les vaccins) et céder sa filiale fabriquant des médicaments grand public accessibles sans ordonnances, comme le paracétamol, jugée insuffisamment rentable. Nommé en mai 2023 à la présidence du conseil d’administration de Sanofi, Frédéric Oudéa mènera à bien cette restructuration.

Issu du corps des inspecteurs des finances, ce dernier fut, par le passé, membre du cabinet de Nicolas Sarkozy à Bercy, puis nommé directeur général de la Société générale et président de la Fédération des banques françaises, lorsqu’il s’est agi d’organiser le lobbying nécessaire face aux velléités publiques de réguler la finance après la crise de 2008.

Oudéa est un pur produit de la caste des hauts fonctionnaires décrite par Laurent Mauduit dans La Caste (La Découverte, 2018), venus pantoufler dans le secteur privé pour organiser la financiarisation du capitalisme français. Sous ses auspices, Opella sera donc cédé à CD & R, un private equity américain (fonds de capital-investissement finançant des entreprises non cotées en Bourse).

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Pour mieux faire avaler la pilule après la crise du covid-19, le gouvernement a ordonné à la Banque publique d’investissement (Bpifrance) d’entrer au capital d’Opella pour veiller au maintien des unités de production sur le territoire. Mais cette participation symbolique, à hauteur de 2 % du capital, n’empêchera pas CD & R de revendre l’entreprise à moyen terme pour réaliser une plus-value, comme le font tous les private equity, dont l’horizon est compris entre cinq et dix ans.

Pour l’État-stratège, un autre choix aurait été d’entrer en amont au capital de Sanofi et, doté d’un droit de vote double en vertu de la loi Montebourg, de s’opposer à la cession d’une filiale dont l’utilité publique est évidente en cas d’épidémie.

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