« Sauvages », la civilisation du vivant
Dans le film d’animation de Claude Barras, les protagonistes se battent contre la déforestation à Bornéo.
dans l’hebdo N° 1832 Acheter ce numéro
Sauvages / Claude Barras / 1 h 27.
Le cinéma d’animation nourri par les travaux de recherche ? Pour en être persuadé, il n’est qu’à voir les remerciements formulés par Claude Barras au terme de son nouveau film, Sauvages, envers Baptiste Morizot, Vinciane Despret, Bruno Latour, Philippe Descola… On se souvient de Mon oncle d’Amérique, d’Alain Resnais, élaboré avec le neurobiologiste Henri Laborit.
La démarche est loin d’être aussi didactique ici. Ce dialogue entre cinéma et sciences sociales débouche sur une œuvre où règne la fiction, où la gravité est intégrée à une fantaisie charmante, et dont l’esthétique se situe dans la continuation du film précédent du cinéaste, le fameux Ma Vie de courgette, au grand succès public.
Les tropiques en plus : Sauvages se déroule en effet à Bornéo, en lisière de la forêt ancestrale, qu’une multinationale est en train de détruire pour développer la culture des palmiers à huile. Sur ce chantier, des ouvriers tirent sur une mère orang-outan dont le bébé orphelin est recueilli par Kéria, une adolescente qui, elle-même, a perdu sa mère quand elle était petite. Tandis que son grand-père maternel, appartenant à une tribu nomade vivant dans la forêt, les Penans, vient confier le jeune Sélaï, le cousin de Kéria, au père de celle-ci, pour le mettre en sécurité.
Sélaï, peu familier de la vie citadine, y est mal à l’aise, d’autant qu’il subit le racisme des copines d’école de Kéria, qui, elle-même, ne le soutient guère. Mais, au gré d’une marche dans la forêt où ils vont se perdre, Kéria a grand besoin de son jeune cousin qui sait comment y survivre. Ainsi, progressivement, on pénètre au cœur de la forêt, en faisant mieux connaissance avec ceux qui l’habitent, humains comme animaux.
Apprentissage
La réalisation en stop motion est impressionnante de réalisme et ne cède jamais à un merveilleux émollient ou pittoresque. Les Penans sont vus comme des personnes extrêmement informées (ayant recours aux nouvelles technologies comme le téléphone portable), incorruptibles dans leur lutte contre la mortifère entreprise de déforestation, tout en restant fidèles à leurs croyances. On aura compris que le titre, Sauvages, ne désigne pas ceux que l’on croit.
Cette aventure a aussi des allures de roman d’apprentissage pour Kéria, qui découvre à cette occasion les vraies circonstances de la mort de sa mère. Claude Barras signe ainsi une œuvre riche, liant intime et politique, esthétique et engagement. Et destinée à tous les âges.