« L’Histoire de Souleymane » : livrer sans se livrer

Boris Lojkine montre au plus près la réalité d’un sans-papiers guinéen.

Christophe Kantcheff  • 8 octobre 2024 abonné·es
« L’Histoire de Souleymane » : livrer sans se livrer
"L’Histoire de Souleymane", outre qu’il offre le formidable portrait d’un livreur guinéen sans papiers, illustre parfaitement l’écueil de ce qu’on appelle la crise migratoire.
© Pyramide Film

L’Histoire de Souleymane / Boris Lojkine / 1 h 33.

Le quotidien des livreurs à vélo dans les rues de Paris, la plupart travailleurs immigrés, on l’imagine parfois. Mais on est toujours loin de la réalité. Boris Lojkine a voulu s’en approcher. L’Histoire de Souleymane, son quatrième long métrage, nous le fait vivre de beaucoup plus près. Le film est une fiction, mais nourrie de témoignages, dont celui de l’acteur non professionnel et totalement bluffant qui interprète Souleymane, Abou Sangare, arrivé mineur de Guinée il y a sept ans, aujourd’hui âgé de 23 ans.

Où l’on découvre d’emblée une pratique : ne pouvant avoir de compte de livreur parce que sans-papiers, Souleymane doit le louer illégalement à un tiers en possédant un. Ce qui est la source de difficultés au moindre problème d’enregistrement d’une livraison.

Toute la vie de Souleymane est une prise de risques. Ne serait-ce que de se faufiler sur son vélo au cœur de la circulation où il doit sans cesse foncer pour être rentable. La mise en scène s’inspire du documentaire : chef opérateur et ingénieur du son étaient aussi à vélo, pour rester au plus près de l’acteur. Mais la caméra ne l’enferme pas. L’extérieur est toujours très présent dans le cadre et au son.

Souleymane doit jongler avec la précarité (tous les matins il appelle le 115 pour retrouver un lit le soir), les horaires extensibles du travail et ceux du foyer, la cruauté de l’exil (notamment quand il appelle sa mère malade au pays), les dangers divers qui sont sur son parcours (la police, etc.) et les profiteurs de sa situation. Parmi ceux-là, un compatriote, que Souleymane rétribue, lui fait répéter une version arrangée de son histoire et de ses raisons de s’exiler susceptible d’être crédible lors de son entretien de demande d’asile ayant lieu deux jours plus tard.

Sincerité dangereuse et humanité inutile

Ce face-à-face avec l’officière de protection (interprétée par Nina ­Meurisse) est l’acmé du film. Souleymane n’a pas eu suffisamment de temps pour apprendre sa « leçon ». Qui de toute façon est trop stéréotypée. La (longue) séquence est à la fois tendue et très émouvante. L’agente de ­l’Ofpra fait preuve d’empathie, mais elle exerce son métier, c’est-à-dire qu’elle débusque les imprécisions pour percer à jour la véritable histoire de Souleymane. Ainsi, deux êtres sont en présence, incarnant le mensonge impuissant et la sincérité dangereuse d’un côté, l’humanité inutile de l’autre.

L’Histoire de Souleymane, outre qu’il offre le formidable portrait d’un livreur guinéen sans papiers, illustre parfaitement l’écueil de ce qu’on appelle la crise migratoire et qui est en vérité une infirmité de l’accueil.

Cinéma
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