« Chroniques chinoises » : images non confinées
Lou Ye met en scène un tournage interrompu par l’épidémie de covid-19.
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Chroniques chinoises / Lou Ye / 1 h 47.
Chroniques chinoises désarçonne. Qu’est-on en train de voir ? Au début, un réalisateur décide de terminer un film tourné dix ans plus tôt mais resté inachevé. Les images de cette œuvre ancienne (de fiction) alternent avec celles du présent quand l’acteur principal, Jiang Cheng, accepte de reprendre son rôle. Le tournage commence. Mais l’épidémie de covid-19 se déclenche.
Tous les membres de l’équipe se retrouvent confinés chacun dans sa chambre. Nombre de scènes semblent avoir été tournées au smartphone – comme prises sur le vif. Enfin, Chroniques chinoises comporte plusieurs vidéos enregistrées pendant cette période, notamment à Wuhan. Pourtant, c’est bien une fiction à laquelle on assiste. Des comédiens y interprètent des personnages (même si les techniciens à l’écran sont ceux de Lou Ye) : notamment, dans le rôle de Jiang Cheng, Qin Hao, déjà vu dans Nuits d’ivresse printanière (2009) du même cinéaste.
L’effet de vérité est impressionnant. D’où l’incertitude qu’on peut ressentir à la vision du film, qui n’entraîne nulle gêne – l’objectif de Lou Ye n’étant pas de tricher –, mais qui confirme plus que jamais la perméabilité de la frontière entre documentaire et fiction. La brutalité avec laquelle le pouvoir chinois impose le confinement est d’autant plus marquante. Après la première partie, qui donnait à voir un film dans le film, Chroniques chinoises prend des allures de thriller.
Jiang Cheng tente de sortir de l’hôtel par une porte dérobée au moment où celui-ci est barricadé, d’où une course-poursuite avant que les forces de police se ruent sur lui. S’ajoute un suspense supplémentaire sur son état de santé, Jiang Cheng ayant approché un assistant déjà fort malade. Puis le film bifurque à nouveau.
Profondément déstabilisé par cette immobilisation, chacun doit s’inventer un quotidien. Jiang Cheng et sa femme, Sang Qi (Qi Xi), multiplient les appels vidéo pour tenter de briser leur solitude, d’autant qu’ils viennent d’avoir un bébé : Chroniques chinoises est aussi un film d’amour. Voilà donc ce qu’on est en train de voir : un film libre, qui ne se soucie ni de la censure (que Lou Ye connaît malheureusement trop bien) ni des formes convenues.