« All We Imagine As Light », libération douce

L’Indienne Payal Kapadia, récompensée par le Grand Prix du Festival de Cannes, filme trois femmes sur la voie de l’émancipation.

Christophe Kantcheff  • 1 octobre 2024 abonné·es
« All We Imagine As Light », libération douce
Une œuvre montrant avec subtilité la condition de femmes dans une grande ville indienne, sans spectacularisation inutile ni dolorisme.
© Condor Films

All We Imagine As Light / Payal Kapadia / 1h55.

All We Imagine as Light s’ouvre sur des images documentaires de Mumbay et de ses quartiers surpeuplés, qui attirent des masses d’Indiens issus pour certains de régions lointaines, venant ici chercher du travail, comme le rapportent en voix off des anonymes. « Mumbay absorbe le temps », dit l’un d’eux, comme si la cité était en elle-même une force écrasante, terrassante.

Puis on entre dans la fiction en suivant trois femmes. Ce sont d’abord Prabha (Kani Kusruti) et Anu (Divya Prabha), colocataires et collègues infirmières à l’hôpital. La première a été mariée il y a déjà longtemps à un homme qu’elle connaissait à peine et qui peu après la cérémonie est parti travailler en Allemagne, d’où il ne donne plus de nouvelles. Pour autant, Prabha ne s’autorise aucune vie affective. Anu, encore très jeune, connaît avec Shiaz (Hridhu Haroon) un grand amour interdit : s’ils l’apprenaient, ses parents rejetteraient immédiatement le jeune homme car il est musulman. La troisième femme est leur amie, Parvaty (Chhaya Kadam), cuisinière à l’hôpital, menacée d’expulsion de son domicile depuis la mort de son mari car dénuée des papiers nécessaires.

Émancipation

Après un documentaire remarqué, Toute une vie sans savoir (2021), le premier long métrage de fiction de Payal Kapadia s’est vu attribuer à Cannes le prestigieux Grand Prix. C’était saluer une œuvre montrant avec subtilité la condition de femmes dans une grande ville indienne, sans spectacularisation inutile ni dolorisme. Pourtant, la cinéaste n’édulcore pas les contraintes sordides que la norme sociale et morale en vigueur fait peser sur ses personnages. Le noir de la nuit souvent pluvieuse de Mumbay, ton dominant la première partie du film, est à l’image des limites imposées à leur horizon. Mais Payal Kapadia n’occulte pas la sensualité qui transporte Anu et Shiaz quand ils sont dans les bras l’un de l’autre, ni l’amitié et la solidarité qui unissent les trois femmes.

La seconde partie esquisse même une voie vers l’émancipation. Prabha et Anu ont accompagné Parvaty de retour dans son village natal, au bord de la mer. Le film soudain change d’aspect, s’éclaire formellement grâce aux couleurs contrastées de la végétation, du rivage et du ciel diurne. Progressivement, l’éloignement de la ville semble les libérer, ne serait-ce qu’un temps, de leurs entraves. Le dernier plan, à nouveau nocturne, mais filmé très large, comme si les personnages bénéficiaient désormais de l’espace qui leur manquait, marque une forme d’harmonie inédite.

Cinéma
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