Marx et la décroissance

Le philosophe japonais Kōhei Saitō publie Moins ! La décroissance est une philosophie (Seuil) et propose un nouveau regard sur la décroissance, en s’appuyant sur des travaux méconnus de Marx.

Jean-Marie Harribey  • 9 octobre 2024
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Marx et la décroissance
© John Jabez Edwin Mayall

Le philosophe japonais Kōhei Saitō, qui publie Moins ! La décroissance est une philosophie (Seuil), propose un nouveau regard sur la décroissance. D’autant plus nouveau qu’il s’appuie sur les travaux méconnus du vieux Marx, qu’il étudie dans le cadre de l’édition complète des « œuvres de Marx et Engels » (MEGA). Déjà, plusieurs auteurs écomarxistes avaient mis en lumière la thèse de Marx selon laquelle « le capitalisme épuise en même temps les deux sources d’où jaillit la richesse : la terre et le travailleur ».

Pour Saitō, Marx a théorisé le métabolisme qui, par le biais de son travail, unit l’homme à la nature.

Mais Saitō va plus loin. Il souligne combien Marx, dans les quinze dernières années de sa vie, a étudié toutes les sciences de son époque, dont les sciences naturelles, et s’est intéressé aux sociétés non encore dévastées par le capitalisme, comme l’Inde et la Russie. Il émet l’idée que, ce faisant, Marx a abandonné sa vision linéaire et eurocentrée de l’évolution historique qui imprégnait ses œuvres de jeunesse (dont Le Manifeste de 1848), et a théorisé le métabolisme qui, par le biais de son travail, unit l’homme à la nature, cette relation que le capitalisme met à mal.

La thèse de Saitō est que, en abandonnant l’idée du développement quasi illimité des forces productives, Marx se serait tourné progressivement vers la décroissance. Non pas vers le mot, inhabituel à l’époque, mais vers un mode de production fondé sur l’association des travailleurs qui seraient en mesure de restaurer les biens communs privatisés par le capital. Prolongeant cette intuition, Saitō récuse les projets de capitalisme vert autant que ceux du « keynésianisme climatique », mais aussi ceux des premiers théoriciens français et européens de la décroissance (sauf Gorz), qui omettaient de mettre en cause le capitalisme et faisaient silence sur le travail.

Sur le même sujet : La bifurcation des capitalistes

Ainsi, Saitō soutient que la seule façon de sortir du piège dans lequel le capital nous entraîne est de choisir le « communisme décroissant » : le capitalisme créant artificiellement la rareté, il faut construire une « abondance radicale » en éliminant toutes les activités « à la con », comme le disait Graeber, pour privilégier les « services essentiels ». Ainsi, la primauté de la valeur d’usage sur la valeur serait instaurée. On reconnaît là une thématique très marxienne (1), qui se trouve ainsi placée au cœur de l’écologie politique, souvent rétive à son endroit.

1

En quête de valeur(s), Jean-Marie Harribey, Éd. du Croquant, 2024.

Mais quel chemin emprunter vers ce « communisme décroissant » ? Saitō est précis sur les objectifs mais ne dit pas comment y parvenir. Il ne parle pas de la phase transitoire, problème stratégique majeur auquel se heurtent tous les mouvements sociaux. Saitō a raison de dire que ce ne sont pas les experts qui sont pertinents pour cela. Il a donc fait son travail d’intellectuel pour mettre la discussion sur la décroissance sur des rails nouveaux ; aux luttes sociales de faire le reste au Nord et au Sud. C’est le plus difficile, mais son livre aide à partager sa confiance.

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