Éric Coquerel : « Ce budget est la preuve que la politique de Macron a échoué sur tout »

Le président insoumis de la commission des Finances étrille l’orientation austéritaire du projet de loi de finances pour 2025. Mais croit fermement que le Nouveau Front populaire saura remporter des victoires à l’Assemblée.

Lucas Sarafian  et  Pierre Jequier-Zalc  • 11 octobre 2024 abonné·es
Éric Coquerel : « Ce budget est la preuve que la politique de Macron a échoué sur tout »
Éric Coquerel, à l'Assemblée nationale, le 11 octobre 2024.
© Maxime Sirvins

Le président de la très puissante commission des Finances de l’Assemblée nationale depuis 2022 estime que les dizaines de milliards d’économie prévues dans le budget auront un impact important dans le quotidien des Français. Selon Éric Coquerel, les hausses d’impôts, comme la taxe exceptionnelle sur les superprofits, ne sont que « cosmétiques par rapport aux besoins ». L’insoumis reste convaincu que le Nouveau Front populaire (NFP) est prêt à gouverner pour prendre la suite du gouvernement de Michel Barnier qui, selon lui, « ne passera pas l’hiver ».

Comment qualifieriez-vous le budget présenté par Michel Barnier ?

Éric Coquerel : C’est un budget d’austérité. Il y a 21,5 milliards d’euros de baisses de dépenses en moins pour les services de l’État, une baisse de 5 milliards pour les collectivités territoriales et, au moins, 10 milliards de diminution pour la Sécu. Donc il y a 36 milliards d’euros qui vont être retirés des dépenses publiques, sociales, de l’État et des collectivités. C’est le budget le plus austéritaire depuis des décennies, voire de la Ve République.

Les personnes qui vont souffrir sont, avant tout, les classes populaires et moyennes.

Ce budget est aussi extrêmement inégalitaire. Les personnes qui vont souffrir sont, avant tout, les classes populaires et moyennes. En effet, les baisses de dépenses publiques et sociales impactent davantage ceux qui n’ont pas de moyens privés pour les compenser.

Au niveau de la fiscalité, on s’aperçoit également que 2 milliards sont demandés spécifiquement aux ultrariches. Mais à côté, le gouvernement prévoit 3 milliards de recettes supplémentaires sur l’électricité, et peut-être même 6 milliards. Ce qui va impacter la moitié des Français ! Donc, en additionnant ces mesures fiscales aux coupes de dépenses sociales et publiques, on observe que l’on demande un effort de 42 milliards d’euros à tous les Français et un effort de seulement 2 milliards pour les plus riches.

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Enfin, toutes les mesures vis-à-vis des plus riches et des grandes entreprises sont ponctuelles et temporaires – un an ou deux, pas plus. Alors que toutes les baisses de dépenses vont se cumuler dans le temps.

Quels sont les ministères les plus touchés ?

Dans une année olympique où on nous explique que le sport est très important, son ministère va voir son budget réduit de 18 %. Mais globalement, beaucoup de ministères voient leur budget être drastiquement taillé : Travail et emploi, moins 11 % ; Agriculture, moins 8 % ; Outre-Mer, moins 9 %… Pour l’Éducation, le pourcentage est moins important, mais on parle d’une baisse d’un milliard d’euros.

Enfin, il y a le scandale écologique. Le budget de l’Écologie baisse de 16 %, même si cela ne se constate pas à première vue. Cette baisse est camouflée par le fait d’insérer dans le budget de l’Écologie une hausse d’une compensation que l’État est obligé de faire aux producteurs mais qui, factuellement, ne va pas dans les budgets qui œuvrent en matière environnementale.

Toutes ces mesures vont impacter (…), les conditions d’existence des Français.

En réalité, il y a donc une baisse, par exemple, une diminution de 60 % du Fonds vert qui correspond aux budgets qui activent des investissements dans les collectivités territoriales. Si on veut respecter les objectifs des accords climat, il faudrait que l’État investisse 50 milliards d’euros en plus et les collectivités 23 milliards supplémentaires. Or ce budget propose de les baisser. C’est catastrophique.

Que vont représenter, concrètement, les 40 milliards d’économies pour les services publics et la population ?

Moins de services publics, moins de protection sociale. Dans l’Éducation nationale, ce budget prévoit une suppression de 4 000 enseignants alors qu’il semble logique de chercher à atteindre la moyenne des pays de l’OCDE en matière d’encadrement du nombre d’élèves par enseignant. Ce budget prévoit également une réduction des dépenses de 4 milliards pour les retraités, de 400 millions pour les chômeurs, de réduire le budget de l’Ondam (Objectif national de dépenses d’assurance maladie, N.D.L.R.), donc les dépenses maladie, à hauteur de 3,8 milliards, ou de restreindre le budget du Fonds vert. Toutes ces mesures vont impacter la consommation populaire mais, de façon générale, les conditions d’existence des Français.

Éric Coquerel
« Si le déficit explose dans ce pays, c’est parce qu’il y a eu 62 milliards de recettes en moins – organisées par Emmanuel Macron – qui ont bénéficié au 10% voire au 1% les plus riches. » (Photo : Maxime Sirvins.)

Comment expliquez-vous l’entêtement macroniste dans une politique de l’offre qui nous a amené à cette situation critique ?

Ce budget est la conclusion d’une politique économique qui a échoué sur tout. Ils ont échoué sur leur objectif principal de réduire les déficits. Non seulement ils échouent, mais ils touchent à la crédibilité de notre État à établir des prévisions réalistes et cohérentes. Cela peut paraître anecdotique mais je pense que cette crédibilité compte plus pour ceux qui prêtent à la France que la question du déficit. C’est d’ailleurs pour cela que je vais demander à ce que ma commission se transforme en commission d’enquête sur la variabilité des prévisions depuis deux ans.

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Malgré cela, les macronistes continuent d’affirmer qu’ils ont amélioré l’économie du pays. Pour justifier cette affirmation, ils disent qu’ils ont créé 2 millions d’emplois. Mais sur ces deux millions, il y a un million d’apprentis, il y a 700 000 travailleurs ubérisés, il y a deux millions de travailleurs pauvres. Ils disent qu’ils ont fait baisser le chômage. C’est faux. Près de 40 % du nombre de chômeurs en moins l’an passé à Pôle Emploi (désormais France Travail, N.D.L.R.) sont dus à des changements statistiques.

Ils disent qu’ils ont réussi à réindustrialiser le pays. Le taux d’emploi dans l’industrie en pourcentage de l’emploi salarié du secteur privé en 2017, est de 16,4 %. Aujourd’hui, il est à 15,5 %. Il y a toujours moins de créations d’usines en France. En 2021, on était à 125. On en est plus qu’à 31 en 2023 et la baisse se poursuit en 2024. Donc là aussi, c’est faux. Et on ne parle même pas du taux de pauvreté qui a explosé en dépassant les 15 %.

Quels que soient les critères que les macronistes mettent en avant, ils s’avèrent mensongers, trompeurs ou amplifiés.

Donc quels que soient les critères qu’ils mettent en avant, ils s’avèrent mensongers, trompeurs ou amplifiés. En réalité, on a un pays qui ne va bien ni d’un point de vue économique, ni d’un point de vue de l’activité, ni des inégalités, ni du partage des richesses, ni de la pauvreté, ni même au niveau des déficits. Ça fait quand même beaucoup !

Aujourd’hui, on va droit dans le mur parce qu’on est en train de vouloir appliquer les méthodes qui nous ont amené au pied de ce mur. Le fond du problème c’est que ce gouvernement ne veut pas identifier les raisons de ce déficit. Il y a tout de même un progrès, partiel, avec la taxation des ultrariches et des superprofits des grandes entreprises. Mais ce n’est pas suffisant. Si le déficit explose dans ce pays, c’est parce qu’il y a eu 62 milliards de recettes en moins – organisées par Emmanuel Macron – qui ont bénéficié au 10% voire au 1% les plus riches.

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Et ça, tant qu’on ne le résout pas et qu’on décide de réduire les dépenses, on continuera d’aggraver le déficit et l’activité économique. Mais pire, on ne répondra pas aux besoins en matière écologique, d’éducation et de santé.

Les propositions de hausses d’impôts ne sont-elles vraiment que cosmétiques ?

Elles sont cosmétiques par rapport aux besoins. Les dividendes n’ont jamais été aussi importants dans ce pays. La moitié des profits du CAC 40 sont réalisés en dividende, c’est-à-dire la part du capital consacré à l’enrichissement des actionnaires, et pas à l’investissement ou l’emploi. Ce que le gouvernement veut prendre aux entreprises n’est presque rien : Michel Barnier souhaite augmenter les impôts pour les entreprises qui réalisent plus de 1 milliard et 3 milliards de dividendes pendant un an seulement, mais il veut leur appliquer un taux d’impôt sur les sociétés qui sera quand même inférieur à celui de 2017. C’est trop faible.

Notre objectif, c’est que le budget doit sortir de la commission dans une version ‘NFP-compatible’.

Qu’est-ce que le Nouveau Front populaire (NFP) défendra lors des débats ?

Le Nouveau Front populaire, avec 10 mesures, peut dire qu’il est capable de mettre rapidement sur la table 50 milliards d’euros de recette en ciblant les superprofits et les ultrariches. Nous défendrons un impôt sur la fortune avec un volet climatique qui rapporterait 15 milliards, des taxations sur les superprofits et les dividendes qui ferait gagner 5 milliards, une taxe sur les héritages dorés, car nous observons de plus en plus l’émergence d’une noblesse d’argent, qui ramènerait 7 milliards, la suppression du prélèvement forfaitaire unique qui est le bouclier du capital et rapporterait 2,5 milliards, la fin de certaines niches fiscales… En clair, nous voulons attaquer le coût du capital et nous voulons diminuer les niches fiscales qui avantagent les plus riches, les grands gagnants des sept années de macronisme.

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Michel Barnier s’est dit prêt à faire des compromis. Comptez-vous, pour gagner des victoires lors des débats, constituer des majorités avec le bloc central ?

Nous allons profondément transformer ce budget. L’an dernier lors des débats sur le projet de loi de finances, nous avons voté des amendements qui augmentaient de 15 milliards les recettes de l’État en taxant plus le capital. Le Modem, certains au Rassemblement national, même des élus Les Républicains avaient voté nos propositions. Aujourd’hui, la composition de la commission des Finances et de l’hémicycle est beaucoup plus avantageuse pour nous. Il n’y a pas raison que ce que nous avons fait l’année dernière ne se réédite pas en plus fort cette année.

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Notre objectif, c’est que le budget doit sortir de la commission dans une version ‘NFP-compatible’. Ensuite, Michel Barnier peut décider de co-construire jusqu’à prendre tous nos amendements. Peut-être laissera-t-il plus d’espace au débat. Je n’y crois pas. Il imposera le 49.3. Nous défendrons alors une motion de censure et nous pourrons faire tomber ce gouvernement. Mais il y a un piège à éviter : les députés pourraient ne pas voter le budget d’ici à la fin de l’examen du projet de loi de finances le 21 décembre parce qu’on n’aurait trop laissé traîner les débats ou parce qu’on aurait déposé trop d’amendements.

Ce gouvernement ne passera pas l’hiver.

Par la faute de l’Assemblée, le gouvernement pourrait passer son budget par ordonnances sans vote. C’est la pire des voies. C’est pour cela qu’on tentera d’être « raisonnables » en termes d’amendements.

La députée insoumise Aurélie Trouvé a remporté la présidence de la commission des Affaires économiques, un poste laissé vacant suite à l’entrée au gouvernement d’Antoine Armand au ministère de l’Économie, des finances et de l’industrie. Cela permettra-t-il à la gauche d’augmenter sa marge de manœuvre pour imposer ses positions économiques et financières ?

Cela confirme qu’en réalité, la plus grande majorité relative de cet hémicycle, c’est le NFP. Nous sommes majoritaires au bureau de l’Assemblée nationale et nous avons trois présidences de commission (Affaires culturelles et de l’éducation, Finances, Affaires économiques, N.D.L.R.). Le gouvernement essaie de nous faire croire que la construction politique de cet exécutif alliant les macronistes et les Républicains feraient une majorité.

Éric Coquerel
« Nous sommes aujourd’hui les seuls à présenter une orientation économique crédible face à ce gouvernement. » (Photo : Maxime Sirvins.)

Nous verrons bien si cette majorité existe, mais j’en doute fort. Ensuite, cette victoire montre que La France insoumise est loin d’être isolée : notre mouvement forme une sorte de « Bercy parlementaire », ce sont des moyens supplémentaires. Désormais, nous pourrons faire des choses en synergie avec cette commission. Alors que nous aspirons à gouverner le pays, nous gagnons encore plus en crédibilité.

En cas de chute du gouvernement Barnier, considérez-vous que la gauche est prête à gouverner ?

C’est incontestable. Lors de la campagne des législatives, nous étions les seuls à présenter un budget détaillé. Nous sommes aujourd’hui les seuls à présenter une orientation économique crédible face à ce gouvernement : nous ne proposons pas de rustines, nous voulons changer de moteur pour redresser cette trajectoire budgétaire défendue coûte que coûte par les partisans de la politique de l’offre.

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Ce gouvernement ne passera pas l’hiver. À partir de là, deux choix s’offrent à Emmanuel Macron : il peut nommer enfin un gouvernement du NFP, le seul susceptible de travailler pour obtenir une majorité dans cette Assemblée, ou il peut démissionner. Car l’actuel président est le principal responsable de cette impasse. S’il ne résout pas cette situation, la pression sur sa démission ou sa destitution va être plus forte, y compris dans son propre camp.

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