Les 10 scandales du budget Barnier

Le budget 2025 se présente comme l’un des plus austéritaires depuis des décennies. En refusant de tirer un trait sur la politique de l’offre, il abrite de nombreuses mesures injustes qui risquent d’accroître plus encore les inégalités sociales et écologiques.

Pierre Jequier-Zalc  et  Hugo Boursier  et  Thomas Lefèvre  • 15 octobre 2024 abonné·es
Les 10 scandales du budget Barnier
© Ludovic MARIN / AFP

Le budget, passage obligé de tout gouvernement, est rarement le moment le plus emballant de la vie parlementaire. Des lignes de chiffres noyées dans des centaines de pages. Pourtant, ce budget 2025, premier test sur la solidité de l’alliance, allant de la Macronie à l’extrême droite, abrite, par son aspect extrêmement austéritaire, plusieurs mesures qui, en creux, dessine clairement les priorités de ce gouvernement.

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Ne renoncer, pour rien au monde, à la politique de l’offre, quitte à laisser sur le carreau les questions sociales et écologiques. Ainsi, ce budget prévoit plus de 40 milliards de réductions de dépenses. Politis décrypte 10 mesures qui risquent d’enflammer l’hémicycle, où le texte sera examiné à partir du 21 octobre. La preuve que l’effort ne reposera pas sur quelques milliardaires imposés, comme annoncé par le gouvernement, mais – bien sûr – sur l’ensemble des Français, jusqu’aux plus modestes.

La taxe sur les ultra, ultra, ultra, ultra, ultra-riches… et encore

Ce nouvel impôt, temporaire, serait le symbole, selon le gouvernement, de l’équilibre de ce budget qui demande à tous (même aux plus privilégiés) de faire un effort. Pourtant, la documentation budgétaire, citée par Les Échos, de cet impôt vient mettre à mal ce discours. Alors que le gouvernement avait annoncé que cette taxation toucherait 65 000 foyers, Bercy estime finalement que seulement 24 300 foyers seront mis à contribution. La faute à de nombreux mécanismes qui permettent à ceux qui sont à la frontière du revenu plancher pour y être assujetti (plus de 500 000 euros pour un couple) de finalement éviter cet impôt.

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Un changement important qui remet en cause le chiffrage fourni par le gouvernement qui prévoit que cette taxe « exceptionnelle et temporaire » devrait rapporter 2 milliards d’euros par an à l’État. Un chiffre visiblement surévalué qui n’anticipe pas non plus les comportements d’évitement dont les plus riches sont souvent friands. « Le dispositif proposé par Barnier rate sa cible », écrit sur X Gabriel Zucman. L’économiste spécialiste de la taxation des plus riches explique ainsi que les très riches vont facilement diminuer leur revenu taxable. Et donc être exemptés de cet impôt. Il conclut : « les milliardaires peuvent dormir tranquille : concrètement, la mesure ne va pas les toucher ».

Des économies sur le dos des handicapés

C’est Politico qui a mis le doigt sur cette arnaque, cachée entre les lignes budgétaires des 326 pages du projet de loi de finances (PLF). Pour faire des économies discrètement, le texte du gouvernement prévoit de plafonner la contribution annuelle versée à l’association de gestion du fonds pour l’insertion professionnelle des personnes handicapées (Agefiph).

En effet, l’Agefiph voit son budget plafonné à 457 millions d’euros. Cela alors que les fonds qui les alimentent – issus d’une contribution que les entreprises de plus de 20 salariés employant moins de 6 % de personnes handicapées sont tenus de verser à l’Urssaf – sont estimés à plus de 550 millions. Une différence de 100 millions d’euros qui, si le texte est adopté tel quel, restera dans les poches de l’État.

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« Cette réduction menace des milliers d’accompagnements, de formations et de financements indispensables à l’emploi des personnes en situation de handicap avec des conséquences directes sur l‘accompagnement des travailleurs », s’indigne, dans un communiqué commun, les associations présentent au sein de l’Agefiph. Cette proposition de coupe intervient alors que le nouveau gouvernement n’avait, initialement, aucun ministre en charge des questions de handicap. Ce qui avait suscité un tollé, qu’on vous racontait dans nos colonnes, obligeant Michel Barnier à nommer en vitesse une ministre déléguée sur la question.

Abaissement du taux de remboursement par la Sécurité sociale

Un budget, c’est un projet de loi de finance (PLF) et un projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS). Dans ce second volet qui concerne la Sécu, le gouvernement a aussi prévu de réaliser d’importantes économies. Parmi elles, un abaissement de la part remboursée par l’Assurance maladie sur les consultations médicales. Aujourd’hui de 70 %, cette part pourrait être baissée à 60 %. Ce qui représente une économie substantielle de plus d’un milliard d’euros. Ce sont donc les complémentaires santé qui verront leur part augmenter de 30 à 40 %.

Les cotisations des complémentaires santé ont déjà augmenté de 8 % en moyenne l’année dernière.

Or, celles-ci, par la voie de la fédération de la Mutualité française, organisme qui regroupe les complémentaires santé à statut mutualiste, ont d’ores et déjà annoncé qu’elles répercuteront cette hausse sur les cotisations. Et donc, sur les assurés. Le tout, alors que les cotisations des complémentaires santé ont déjà augmenté de 8 % en moyenne l’année dernière. Des économies sur le dos des Français, et notamment des plus fragiles. Cela « touchera l’ensemble des populations et plus particulièrement les personnes qui consultent fréquemment des médecins, tels que les seniors ou les personnes souffrant d’une affection longue durée (ALD) », déplore ainsi la Mutualité.

La suppression de 4 000 postes d’enseignants

C’est peut-être la mesure de rigueur la plus visible de ce budget. En tout cas, une dont on parle le plus. Le PLF 2025 prévoit de supprimer plus de 4 000 postes d’enseignants. La plus grosse réduction d’effectifs depuis l’arrivée d’Emmanuel Macron au pouvoir en 2017. L’argument avancé par le gouvernement est simple. Simpliste même. Les effectifs d’élèves sont amenés à diminuer dans les années à venir. Il est donc logique de baisser le nombre d’enseignants. Ce qui ne fait pas, mathématiquement, varier le taux d’encadrement.

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Pourtant, ce raisonnement ne cache pas la baisse massive du nombre d’enseignants depuis deux décennies. « Rien que pour le second degré, le Snes, syndicat majoritaire en collège et lycée, a calculé qu’il faudrait créer environ 10 000 emplois pour retrouver le taux d’encadrement de 2017, et un peu plus de 45 000 pour revenir à la situation de 2006 », note ainsi Mediapart. Ces retraits d’emplois sont « d’une ampleur dévastatrice », a estimé l’intersyndicale du secteur dans un courrier envoyé à la ministre de l’Éducation, Anne Genetet. « Une ligne rouge est franchie : au moment où l’école publique va mal, la seule réponse du gouvernement est de fermer des postes et donc de maintenir l’illusion qu’on peut faire mieux avec moins », poursuivent les organisations syndicales qui menacent d’un grand mouvement de grève.

1 milliard en moins pour MaPrimeRénov’

Du côté de l’écologie, le gouvernement a annoncé une coupe d’un milliard d’euros dans le budget alloué à MaPrimeRénov’. Ce dispositif de rénovation énergétique, mis en place en 2020, permet d’obtenir des subventions pour des travaux d’isolation ou de changement de système de chauffage, sous conditions de revenus. Le gouvernement justifie ce rabotage du budget par une demande en baisse, mais les professionnels de la rénovation et les associations du logement déplorent un manque de visibilité.

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Le dispositif a régulièrement changé de conditions d’attribution. Initialement ouvert à un large éventail de travaux, le dispositif s’est ensuite restreint aux rénovations lourdes, sans succès, avant de rouvrir en 2024 aux travaux plus simples. Des membres du cabinet du ministère de la Transition écologique ont annoncé que « les modalités concernant la future mouture de MaPrimeRénov’ sont encore en discussion », dans Le Parisien. Les acteurs du secteur craignent que cette incertitude ne freine encore davantage les ambitions de rénovation énergétique en France.

Le Fonds Vert revu à la baisse

L’enveloppe du Fonds vert passe de 2,5 milliards d’euros à seulement 1 milliard d’euros, soit une baisse de 60 % par rapport au projet de loi de finances de 2024. Annoncé par le gouvernement Borne et effectif depuis janvier 2023, le dispositif permet d’accompagner les collectivités territoriales dans la transition écologique. Il permet de financer, par exemple, des travaux de rénovation énergétique ou encore de soutenir des projets d’adaptation au changement climatique.

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Dans un contexte où de nombreux territoires français sont déjà touchés par des incidents naturels majeurs, comme des inondations ou des incendies, ce rabotage du budget inquiète particulièrement les élus locaux. Dans des propos recueillis par Franceinfo, Daniel Cornalba, maire d’Étang-la-Ville dans les Yvelines, fulmine : « Quand vous avez lancé vos investissements, que les premiers coups de pioche vont commencer à l’automne, et que finalement on vous dit, pile au moment que vos marchés sont lancés, qu’on ne va peut-être pas donner l’argent, on se fait rouler dans la farine ».

L’agriculture écologique, la grande amputée

Alors que l’agriculture représente le second secteur le plus polluant, avec près de 20 % des émissions de gaz à effet de serre en France, le gouvernement ne compte visiblement pas y remédier. Ainsi, au ministère de l’Agriculture, plus de la moitié des crédits destinés à l’écologie sont tout simplement retirés comme le remarquent nos confrères de Contexte.

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Par exemple, le soutien au plan haie baisse de 72 %, passant de 110 à 30 millions d’euros. Le financement de la stratégie de réduction de l’utilisation des produits phytosanitaires est lui réduit de 35 % (de 250 à 160 millions d’euros). Des coupes à mettre en comparaison avec les exonérations fiscales obtenues par les agriculteurs, à la suite de leur mobilisation à l’hiver dernier. Celles-ci, toutes demandées par la FNSEA ou la Coordination rurale, des syndicats agricoles défendant une vision intensive de l’agriculture, sont maintenues. Soit 582 millions d’euros de manque à gagner pour l’État, selon Mediapart.

Les travailleurs saisonniers maintenus dans la précarité, pour le bonheur de la FNSEA

La mesure est directement tirée d’un « projet de loi » transmis par la FNSEA au gouvernement à la fin de l’été, intitulée « Entreprendre en agriculture ». Elle vise à exonérer intégralement de cotisations patronales les contrats saisonniers rémunérés entre 1 et 1,2 SMIC. Et partiellement pour les salaires compris entre 1,2 et 1,5 SMIC.

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Ce dispositif, appelé TO-DE pour travailleurs occasionnels et demandeurs d’emploi, et dont Politis vous a parlé à plusieurs reprises ces derniers mois, est dénoncé par tous les syndicats des salariés du secteur agricole comme une véritable « trappe à pauvreté » sans impact sur le travail illégal – l’affaire de « traite d’êtres humains » révélé en 2023 en Champagne en étant une illustration. Le budget prévoit pourtant de le graver dans la loi. Malgré son coût de près de 450 millions d’euros. Mais il ne faudrait pas fâcher les gros exploitants agricoles.

Les quartiers non-prioritaires du gouvernement

Un véritable désert. C’est l’image qui surgit lorsque l’on regarde le budget dédié aux quartiers populaires dans le projet de loi de finances 2025. Les maires des municipalités en difficulté avaient déjà ce paysage en tête quand ils ont découvert, à l’annonce du gouvernement, l’absence de ministre ou de secrétaire d’État chargé de la politique de la ville. Leur surprise s’est doublée d’un certain effroi quand ils ont vu la baisse importante des crédits accordés à la rénovation des 1 580 quartiers prioritaires : une chute de 14 % en 2025, passant de 639,5 à 549,6 millions d’euros.

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Cette décision a choqué l’association des Maires Ville & banlieue, un an après les révoltes suite à la mort de Nahel Merzouk, à Nanterre. La suppression des 4 000 postes dans l’Éducation nationale ne rassure pas non plus, tant dans certaines localités, notamment en Seine-Saint-Denis, l’absence de professeurs est criante. Un peu de bâti neuf, et rien dans le social. Cette recette de droite est aussi vieille qu’inefficace.

Égalité femmes-hommes : le strict minimum

Pas de ministère et quelques millions en plus. Voilà ce qu’il faut comprendre du programme du gouvernement en faveur de l’égalité femmes-hommes. La secrétaire d’État à l’Égalité voit son portefeuille passer de 77,4 millions d’euros en 2024 à 85,11 millions. C’est 10,4 % en plus, mais ça reste 40 millions d’euros de moins qu’un projet aussi contesté que le SNU. Surtout : toutes les associations féministes demandent bien plus. Et ce depuis de nombreuses années.

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L’Espagne, pays souvent cité comme l’un de ceux les plus en pointe dans la lutte contre les violences sexistes et sexuelles, a aligné plusieurs centaines de millions d’euros. Alors que le procès des violeurs de Mazan secoue la France, l’exécutif reste timide. Pendant ce temps, le nombre de féminicides ne baisse pas. D’ailleurs, Politis vous invite à une soirée de débats, concerts et autres performances ce vendredi soir au Carreau du Temple à Paris (billets à prendre ici).

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