François Ruffin, une conception stalinienne de la classe
Le député critique la stratégie de LFI, laquelle, selon lui, « racialiserait » le conflit de classe. Sans voir que le conflit de classe est déjà racialisé.
dans l’hebdo N° 1831 Acheter ce numéro
François Ruffin a créé la polémique à la Fête de l’Humanité à la suite de la sortie de son nouveau livre, Itinéraire. Ma France en entier, pas à moitié ! (éditions Les liens qui libèrent), centré en grande partie sur son désaccord stratégique avec La France insoumise (LFI). Il lui reproche ainsi de s’être exclusivement centrée sur la jeunesse et les personnes racisées, abandonnant les classes populaires au Rassemblement national (RN).
Il y aurait bien des choses à répondre à l’auteur d’un point de vue politique, mais ce billet se contentera de discuter ses idées du point de vue intersectionnel. Ruffin a pour préoccupation de remettre au centre du jeu politique une lecture en termes de classe, et il a bien raison sur ce point. Mais le problème vient de sa conception de la classe, qui semble en grande partie héritée d’une vision stalinienne qu’il n’interroge pas beaucoup : celle d’une classe mythifiée et qui n’a jamais vraiment existé comme telle, blanche, masculine, hétérosexuelle (1). Sa seule innovation est d’y inclure les campagnes et de décentrer le regard des grands centres industriels (évolution de la période oblige).
Voir les travaux de Gérard Noiriel sur ce point.
Ainsi, Ruffin proclame vouloir défendre l’unité des luttes, mais il le fait en rigidifiant les catégories. Toutes ses terminologies passent leur temps à séparer : d’un côté « la France des bourgs », de l’autre celle « des tours » ; d’un côté les « campagnes populaires », de l’autre « les quartiers populaires ». On dirait à l’entendre que trop donner à l’une de ces luttes, c’est prendre à l’autre, que classe et race s’opposent, alors que le plus souvent elles se superposent ! Et d’ailleurs lui-même finit souvent par le reconnaître quand on le pousse dans ses retranchements.
Cela vient également du fait qu’il reste prisonnier d’un schème de l’addition des dominations, au détriment d’une véritable intersectionnalité : il ne conçoit les rapports entre classe et race qu’en termes d’addition, et non de croisement : « On m’accuse de vouloir ‘abandonner les quartiers populaires’. Pas du tout : je veux les additionner, pas les soustraire », dit-il ainsi (p. 103).
Il est absurde de vouloir avoir une analyse de classe sans analyse de race, ou de vouloir les penser séparément puis les additionner.
Tant et si bien qu’il en vient à critiquer la stratégie de LFI qui, selon lui, « racialiserait » le conflit de classe. Sans voir que le conflit de classe est déjà racialisé ! Marx a bien montré que, sans la colonisation, le capitalisme n’aurait pas pu se développer. Encore aujourd’hui, à l’échelle mondiale, on assiste à une division internationale du travail entre pays du Nord et pays du Sud. En France, par le biais du racisme et de l’exploitation capitaliste, les personnes racisées sont surexploitées.
Ainsi, il est absurde de vouloir avoir une analyse de classe sans analyse de race, ou de vouloir les penser séparément puis les additionner : au contraire, il faut les penser ensemble et lutter en même temps contre toute forme d’exploitation et d’oppression. Car, dans les faits, elles fonctionnent ensemble ! C’est cela, avoir une analyse unitaire, et c’est cela, la véritable convergence des luttes.
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