Après l’apocalypse, quel avenir pour la bande de Gaza ?

L’enclave palestinienne est un champ de ruines : 60 % des bâtiments ont été endommagés ou totalement détruits, selon l’ONU. Alors que les bombardements continuent, se pose la question de l’après-guerre.

Céline Martelet  et  Noé Pignède  • 2 octobre 2024 abonné·es
Après l’apocalypse, quel avenir pour la bande de Gaza ?
Amal, réfugiée au Caire, tient dans ses mains les clés de son appartement, détruit par une frappe de l’armée israélienne à Gaza.
© Alexandre Rito

Dans un appartement de la banlieue du Caire, une Palestinienne fait tourner un trousseau de clés entre ses doigts. Celles de son appartement, détruit par une frappe aérienne en octobre 2023. Amal, la cinquantaine, a fui la bande de Gaza en avril pour faire soigner son mari en Égypte. «Je n’ai plus rien. Même la porte d’entrée n’existe plus, mais on retournera à Gaza, peu importe si c’est pour planter une tente sur les décombres de mon immeuble. Mes enfants ont le droit de vivre dans leur pays. Ce n’est pas négociable. »

Il n’y a plus de vie à Gaza. Tout est détruit, c’est inimaginable.

Mohamed

Assise dans le fauteuil d’un salon vide, Amal est épuisée physiquement et psychologiquement. Le cliquetis des clés rythme ses phrases. «Elles sont le symbole de nos droits. Cette terre est la nôtre et nous lui serons toujours loyaux», souffle-t-elle. Mais rentrer pour vivre où, et dans quelles conditions ? En mai 2024, l’ONU prévenait : si le conflit cessait, les travaux pour rebâtir l’enclave palestinienne dureraient jusqu’en 2040. Seize années de reconstruction et près de 50 milliards de dollars. Un défi immense. «Il n’y a plus de vie à Gaza. Tout est détruit, c’est inimaginable, nous écrit Mohamed depuis Nuseirat, au centre de l’enclave. Ce que vous voyez à la télévision n’est rien par rapport à la réalité. »

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Dans le dernier plan de paix mis sur la table des négociations par Joe Biden, le président américain prévoyait cette reconstruction avec l’aide des États-Unis et de la communauté internationale. De son côté, depuis le début des tractations, le Hamas exige notamment le retour des déplacés, y compris dans le nord de la bande de Gaza, zone d’où a été lancée l’attaque du 7 octobre 2023. Après plusieurs mois de négociations, ce plan a finalement été rejeté par les deux parties cet été.

Une occupation militaire

Dès les premières semaines de sa guerre contre le Hamas, le premier ministre israélien pave la voie d’une réoccupation partielle de l’enclave palestinienne. Lors d’une interview à la chaîne américaine ABC en novembre, Benyamin ­Netanyahou déclare qu’«Israël [y] assurera pour une durée indéterminée la responsabilité générale de la sécurité». Plutôt qu’une annexion du territoire et un retour des colons, dont rêve l’aile la plus extrémiste de son gouvernement, il prône donc une occupation militaire.

Tous les jalons de ce scénario sont déjà posés : les principaux axes de la bande de Gaza sont désormais tenus par l’armée israélienne. Les soldats ont même construit une route linéaire qui coupe en deux le territoire et établit une ligne de démarcation entre le Nord et le Sud. Une ligne infranchissable pour les civils, qui sépare des milliers de familles.

Comme en Cisjordanie, il faudra qu’on ait la liberté d’entrer quand on veut pour ‘tondre le gazon’. 

K. Michael

Le 29 mai dernier, Israël a également pris le contrôle de toute la frontière avec l’Égypte : le point de passage de Rafah, seule porte de sortie pour les Gazaouis, ainsi que le très convoité corridor de Philadelphie. Longue de 14 kilomètres, cette fine bande de terre était la seule frontière de la bande de Gaza qui n’était pas contrôlée par les Israéliens. Pour justifier leur présence, qu’ils souhaitent pérenniser, ils assurent qu’elle était le principal canal de contrebande d’armes du Hamas. Conséquence : plus rien n’entre ou ne sort sans le feu vert d’Israël, à commencer par l’aide humanitaire. Un siège militaire total.

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«Pour être sûr que le Hamas ne se forme pas à nouveau, la seule option est de mettre en place cette occupation militaire », affirme Kobi Michael, chercheur à l’Institut des études de sécurité nationale (INSS) en Israël. L’ancien directeur adjoint du ministère des Affaires stratégiques promet tout de même qu’après quelques années les forces armées se retireront. «Mais comme en Cisjordanie, il faudra qu’on ait la liberté d’entrer quand on veut pour ‘tondre le gazon’ », prévient-il, en référence aux raids militaires lancés régulièrement dans les territoires palestiniens occupés. « On entre, on démantèle les cellules, on tue les terroristes, et on ressort. Ça prend 5-10 minutes », précise Kobi Michael, un léger sourire dans la voix.

Quel avenir politique ?

Dans l’esprit de ceux qui défendent cette occupation militaire, l’administration de la bande de Gaza serait laissée aux Palestiniens, sous le patronage d’une force internationale approuvée par Israël. Quelle autorité sera capable de réparer les bâtiments et les âmes après une telle guerre ? La peur, la souffrance et le désespoir ont alimenté la haine du voisin israélien, mais aussi le rejet du Hamas, critiqué par certains, à demi-mot, pour avoir déclenché ce nouveau cycle de violences. «Gaza ne pourra pas être reconstruit avec le Hamas, donc tout le monde est d’accord pour dire qu’il nous faut de nouveaux dirigeants », confie Mohammed, depuis Nuseirat.

La seule solution, c’est la mise en place d’un gouvernement unifié en Cisjordanie occupée et dans la bande de Gaza.

M. Barghouti

Cet été, les autorités israéliennes ont mis sur la table une proposition qui semble séduire aussi les États-Unis : placer la bande de Gaza sous l’égide d’une force panarabe, qui serait ainsi chargée de gérer sa gouvernance mais aussi sa reconstruction. « Nous sommes capables de nous diriger nous-mêmes, en tant que Palestiniens, s’agace Mustafa Barghouti, ­secrétaire général du parti de l’Initiative nationale palestinienne (PNI), basé à Ramallah. Ce serait considéré comme une nouvelle occupation. Est-ce que les Français accepteraient que l’Italie vienne les administrer ? La seule solution, c’est la mise en place d’un gouvernement unifié en Cisjordanie occupée et dans la bande de Gaza, validé par les différents partis palestiniens. »

Dans cette logique de compromis, le Hamas a déjà accepté de ne pas participer à ce gouvernement d’union ; un prérequis pour que cette solution soit étudiée par la communauté internationale.

Le risque d’une annexion totale

En coulisse, la droite la plus extrême du gouvernement Netanyahou cultive toujours l’espoir d’un scénario bien plus radical pour l’enclave palestinienne : celui d’une expulsion de tous les civils. « C’est une issue juste, correcte, morale et humaine », déclare Itamar Ben-Gvir en janvier dernier, lors d’une réunion de son parti. Le ministre de la Sécurité nationale en profite ce jour-là pour lancer un appel aux autres forces politiques aux commandes : «Nous avons l’occasion de mettre au point un projet visant à encourager l’émigration des habitants de Gaza vers d’autres pays du monde. »

Ils vont faire quoi ? Nous mettre dans des bus pour nous enfermer dans un camp immense au milieu d’un désert ?

Ayman

Ce plan germe depuis deux décennies dans l’esprit du mouvement fondamentaliste messianique, qui regrette le retrait israélien de la bande de Gaza, décidé en 2005 par Ariel Sharon. Le premier ministre avait ordonné le retrait des militaires et l’évacuation des 8 000 colons installés dans la zone. Presque vingt ans après, ces femmes et ces hommes attendent de pouvoir « rentrer » et vivre ce qu’ils considèrent comme une « volonté divine». D’autres familles sont déterminées à les suivre pour étendre encore un peu plus la colonisation israélienne.

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«Israël veut pousser le plus possible de Palestiniens à partir, affirme Hamed Qossay, docteur en science politique. C’est ce qu’il espérait dans les deux premiers mois de la guerre, mais son plan a échoué à cause du blocage de l’Égypte. » Le Caire refuse depuis le 7 octobre de laisser entrer librement les Gazaouis qui cherchent à fuir les bombes. Ceux qui ont réussi à sortir ont dû payer plusieurs milliers d’euros. « Désormais, Israël veut rendre la vie de plus en plus difficile à ceux qui restent et espère toujours pouvoir les expulser», ajoute le chercheur, diplômé de l’université de Bordeaux. Le scénario du pire pour les deux millions de Gazaouis encore sur place. «Ils vont faire quoi ? Nous mettre dans des bus pour nous enfermer dans un camp immense au milieu d’un désert ? », soupire Ayman, un père de famille.

Il y en a qui disent : ‘On veut faire de Gaza un parking.’ OK. Mais comment on fait avec les deux millions de Gazaouis ?

G. Bashkin

Face à cette volonté d’occupation partielle ou totale plébiscitée par la plupart des politiciens israéliens, certains, comme l’activiste de gauche Gershon Baskin, espèrent encore mettre un terme à la spirale de violence qui meurtrit le Proche-Orient depuis un siècle. «Il va falloir que les gens retrouvent la raison et arrêtent de faire des déclarations stupides, tonne l’éditorialiste. Les Israéliens sont traumatisés, guidés par un désir de vengeance, la plupart ne pensent plus de manière cohérente. Il y en a qui disent : ‘On veut faire de Gaza un parking.’ OK. Mais comment on fait avec les deux millions de Gazaouis ? On les met dans des trains ? Des chambres à gaz ?, questionne Gershon Baskin. Il faut pour le peuple palestinien un État souverain, à Gaza et en Cisjordanie. »

Mais, face à la surenchère guerrière, le camp de la paix qu’il représente est presque inaudible. « Ma voix est minoritaire, j’en ai conscience, admet-il. Mais elle n’en demeure pas moins importante. »

Monde
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7 octobre : l'avant et l'après
Temps de lecture : 8 minutes

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