Licenciée après le harcèlement sexuel d’un manager, une équipière fait plier McDo aux prud’hommes

Après une procédure longue de plus de deux ans, une salariée du fast-food de la gare de l’Est, à Paris, a obtenu la nullité de son licenciement, après avoir accusé un formateur de harcèlement sexuel et moral.

Hugo Boursier  • 11 octobre 2024 abonné·es
Licenciée après le harcèlement sexuel d’un manager, une équipière fait plier McDo aux prud’hommes
© Lucas Van Oort / Unsplash

Des mois d’attente, de doutes et cette impression pesante de crier, parfois, dans le vide. Et puis la délivrance, finale : Mélanie, 47 ans, vient de remporter une longue bataille aux prud’hommes face au géant américain, McDonald’s.

L’équipière, qui justifiait d’une ancienneté de plus de 23 ans pour l’entreprise, travaillait au fast-food de la gare de l’Est, à Paris, depuis 2019. Elle avait été licenciée pour inaptitude le 24 janvier 2022, n’ayant pas répondu aux propositions de reclassement de la part de son employeur. Un licenciement dont elle contestait les motifs, accusant un manager de l’avoir harcelée sexuellement et moralement, ce qui avait abouti à plusieurs arrêts maladie.

J’ai gagné, je n’arrive pas à y croire.

Mélanie

Plus de deux ans plus tard et après un délibéré qui s’est tenu mardi 8 octobre, la décision a été communiquée le lendemain : l’employeur devra verser 39 189 euros de dommages et intérêts pour licenciement nul. « J’ai gagné, je n’arrive pas à y croire », réagissait Mélanie, à l’annonce d’une décision qu’elle attendait depuis si longtemps.

Le combat de Mélanie permet d’examiner les failles dans l’obligation de sécurité au travail que doit à ses salariés l’entreprise Areas, numéro 1 de la restauration dans les gares de France, et opérateur du McDonald’s à la gare de l’Est. Surtout : il donne à voir la manière dont les faits de harcèlement moral et sexuel sont traités en interne.

Emprise

Les faits remontent au mois d’octobre 2020 et ont commencé quelques jours seulement après l’arrivée de ce manager, dont le rôle est de former les équipes. Après des premières remarques déplacées, et ce parfois devant d’autres salariés, ce supérieur hiérarchique passe aux gestes inappropriés. Le 26 octobre, Mélanie l’accuse de l’avoir questionnée sur ses préférences sexuelles. Il lui aurait murmuré, à l’oreille : « Tu penses que ça va rentrer ? ».

Le même jour, dans l’après-midi, le formateur serait entré dans les vestiaires pour rejoindre l’équipière et l’aurait plaquée contre le mur pour l’embrasser en introduisant sa main sous son pantalon. « J’étais choquée, tétanisée, je suis restée seule dans le vestiaire jusqu’à la fin de ma pause », décrit-elle dans la plainte qu’elle déposera le 4 janvier 2021 et que nous avons pu consulter. Une plainte aujourd’hui classée sans suite par le parquet. Le manager réfute ces faits lorsqu’il a été auditionné par ses responsables.

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Trois jours plus tard, le manager serait repassé dans les vestiaires, dans lesquels Mélanie dit avoir été agressée sexuellement. « Quelle a été votre réaction à ce moment-là ? », demande l’officier de police judiciaire à Mélanie. « À nouveau tétanisée, je ne bouge pas, je ne dis rien, je le laisse faire, c’est horrible [sic] », retranscrit-t-il dans la plainte. Mélanie explique alors qu’une « emprise » s’installe. Le manager a des rapports sexuels avec la salariée à deux reprises dans un hôtel proche du lieu de travail. Elle se fait arrêter quelques semaines plus tard. Son psychiatre lui diagnostique un « syndrome dépressif mélancoliforme avec anxiété, une anhédonie (1) et trouble important de sommeil avec cauchemars ».

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Perte de la capacité à ressentir le plaisir.

Avant cet arrêt, Mélanie informe son responsable de la situation par une lettre remise en main propre le 30 novembre 2020. Une autre salariée, Amélie*, se plaint, elle aussi, de harcèlement sexuel de la part du même manager à son encontre, le 15 décembre. Une enquête interne est menée par la responsable des ressources humaines, deux membres du CSSCT et le référent harcèlement de la société.

Le manager réfute les faits qui lui sont reprochés. Dans le rapport d’audition que nous avons pu consulter, les auteurs de l’enquête écrivent : « [Le manager] pense que si cette personne se plaint aujourd’hui, c’est peut-être parce qu’il lui a dit que ça ne pouvait pas marcher entre eux ». L’intéressé aurait précisé : « Cela a été mal pris ou mal interprété ». Il reconnaît toutefois avoir participé à donner des notes sur le physique des salariés. « Cela se fait dans tous les restaurants. Les gens se notent sur le physique », admet-il. Sur leur site internet, Areas promet pourtant que leurs équipes sont « non seulement compétentes, mais aussi passionnés par leur travail ». Une description qui semble bien loin de cette pratique stigmatisante.

« Des comportements pouvant entraîner des équivoques »

Auditionnée à son tour, Mélanie voit sa démarche être remise en doute. « Pouvez-vous nous dire ce qui vous a amenée à nous informer de ces faits de manière aussi tardive plus d’un mois après ? [sic] », questionnent les auteurs de l’enquête. « Pourquoi ne pas avoir alerté votre responsable dès le premier fait qui ne vous convenait pas début octobre 2020 ? », enchaînent-ils. Le délai avant lequel la direction a été informée est aussi pointé du doigt pour l’autre salariée se plaignant de harcèlement sexuel. Les autres salarié·es de ce McDonald’s n’auraient pas été interrogé·es.

En mars 2021, la responsable des ressources humaines adresse un courrier recommandé à Mélanie. Areas semble minimiser les faits évoqués par les deux salariées. Aux yeux de la direction, l’enquête n’aurait fait que révéler « des comportements pouvant entraîner des équivoques ». Face à ces attitudes, la direction « sollicite » un « comportement exemplaire » à ses équipes, « ceci passant par le respect, la courtoisie et la bienveillance de la part de chacun ». Le tout, « afin de clôturer définitivement ces polémiques », balaie la responsable RH.

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La conclusion de l’enquête est sans appel : « N’ayant aucun témoignage sur les faits révélés, ils ont été jugés non constitutifs de harcèlement, toutefois inappropriés dans le cadre professionnel ». Le manager, lui, ne reçoit qu’un simple rappel. « Votre langage et votre attitude doivent rester adaptés au milieu professionnel en toutes circonstances », reçoit-il dans un courrier que nous avons pu consulter. Mélanie est scotchée. « McDo, c’était toute ma vie. Et là, il n’y a plus rien. Aucune reconnaissance ».

Je voyais le manager travailler dans d’autres McDo, partout en France. Et moi, ma vie s’écroulait.

Mélanie

L’année 2021 se poursuit, le manager achève sa mission et continue de former d’autres équipes. Mélanie, elle, enchaîne les arrêts maladie. Après « l’inaptitude définitive à son poste dans cette entreprise » déclarée par le médecin, en novembre 2021, Areas lui propose de partir de ce McDonald’s et de travailler dans d’autres fast-foods parisiens. Une suggestion qui restera sans réponse et aboutira à la procédure de licenciement. « Pendant tout ce temps je voyais le manager travailler dans d’autres McDo, partout en France. Et moi, ma vie s’écroulait », se souvient-elle. Avant, peut-être de se reconstruire, grâce à cette victoire aux prud’hommes.

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